Analyses et décryptages

Législatives 2024 : l’extrême droite est aussi l’ennemie de l’enseignement supérieur et de la recherche

Le Rassemblement National (RN) n’a jamais été aussi proche d’exercer le pouvoir et le risque que la France soit dirigée par un gouvernement d’extrême droite d’ici quelques jours est grand. Les éléments programmatiques du RN concernant l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) sont, pour ainsi dire, inexistants ; seule l’école est brièvement abordée dans leurs propositions. Cette complète vacuité du programme est révélatrice de la considération que porte le RN sur les enjeux de l’ESR.

Cependant, pour se faire une idée du danger que représente ce parti d’extrême droite pour l’ESR, on peut, en premier lieu, essayer d’esquisser le rapport à la science du RN à travers ses prises de positions sur différents sujets récents, comme la pandémie de COVID ou les enjeux écologiques et climatiques. Dans un deuxième temps, il est utile de voir ce que les partis d’extrême droite, dont le RN se revendique être proche, peuvent mener comme politique lorsqu’ils arrivent au pouvoir dans d’autres pays. Enfin, on rappellera les dégâts que pourrait causer la préférence nationale voulue par le RN si elle était appliquée dans l’ESR.

Durant la pandémie, le RN n’a cessé de s’asseoir sur les résultats scientifiques pour mieux cultiver un discours simpliste et populiste au service de leur stratégie de développement. Par exemple, Marine Le Pen a alimenté l’opposition à la vaccination, en particulier celle des enfants, en assénant des contre-vérités et sophismes sur l’efficacité de la vaccination pour lutter contre la propagation du virus [1]. Sur les enjeux écologiques, le programme du RN relève du déni de réalité. Loin de prendre en considération l’accélération du bouleversement climatique que les scientifiques démontrent d’une étude à une autre, le RN propose une approche écologique inconséquente à rebours des recommandations du GIEC. Le RN porte ainsi l’idée de moratoire sur certaines énergies renouvelables (voire même de “démanteler les parcs [éolien] existants ” [2]) ; promeut une politique de transport basée sur la voiture individuelle par la baisse la TVA sur les carburants à 5.5%, par une modification des limitations de vitesses routières, en revenant sur l’interdiction future des moteurs à combustion [3] ; s’oppose aux réglementations thermiques des bâtiments [3].

Nous pouvons, en outre, anticiper les répercussions sur l’ESR d’un gouvernement du RN en regardant également ce qui se passe dans des pays déjà gouvernés par l’extrême droite et dont le RN se réclame proche. On prendra l’exemple de la Hongrie, pays où Marine Le Pen a d’ailleurs obtenu son prêt pour financer sa campagne de 2022. Depuis l’arrivée de Orbán à la tête du pays, les universités hongroises subissent diverses pressions et la liberté académique (pédagogique et de recherche) est la cible principale du gouvernement. Ainsi, la politique d’Orbán consiste à attaquer toutes les recherches dont les résultats contredisent ses valeurs réactionnaires et d’extrême droite. Ceci s’est par exemple matérialisé par l’interdiction des études sur le genre et les femmes [4]. Orbán a également complètement assujetti les universités en instaurant de nouvelles entités, de type fondation, pour les piloter [5]. Ces fondations, en gérant directement, entre autres choses, le financement des universités, se substituent à l’État. Elles ont donc la possibilité d’imposer, par le financement, des orientations aux travaux universitaires [6]. Pire, en leur transférant des actifs publics très importants provenant de l’État Hongrois, Orbán pourrait s’assurer de la pérennité de sa politique sur l’ESR même s’il venait à perdre le pouvoir. C’est là aussi, une des caractéristiques des partis d’extrême droite : une fois le pouvoir conquis démocratiquement, ils s’assurent de ne plus le perdre.

Enfin, avec la préférence nationale que le RN met en première ligne de sa politique, l’ESR pourrait être gravement impacté. En effet, les politiques discriminatoires voulues par le RN conduiraient à se couper des forces vives que représentent les étudiant·es étrange·res pour l’ESR français. Alors que l’époque appelle à plus de coopérations scientifiques, que la France a besoin d’asseoir sa diplomatie par le soft power que représente l’accueil d’étudiant·es venu·es de tout horizon [7], le RN prône des mesures pour dissuader les étrangers de venir faire leurs études en France. Il faut rappeler au moins deux faits importants pour comprendre l’ineptie de telles mesures. D’abord, si les étudiants étrangers bénéficient de conditions d’études presques identiques à celles des étudiants nés en France (notons que le programme Choose France voulu par E. Macron a introduit les frais d’inscription différenciés pour certains étudiants), leur impact économique est particulièrement favorable à la France. Il a été estimé que l’accueil des étudiant·es étrange·res rapporte à la France plus de 1,3 milliards d’€ par an [8]. Ensuite, une très grande part des activités de recherche de la France est réalisée par les étudiants inscrits en doctorat. Or, avec une proportion de 42% des doctorants étrangers, la France est le troisième pays au monde en termes d’accueil d’étudiants étrangers en thèse [9]. C’est une force pour la recherche française qui par ailleurs, et contrairement aux autres pays, voit ses effectifs globaux de doctorants baisser. La recherche française n’a pas le luxe de se couper de la qualité des ces étudiants venus travailler en France et pour la France. 

Pour ces différentes raisons, évoquées ici très rapidement, on voit donc que le RN est aussi une menace pour l’enseignement supérieur et la recherche. 

 

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