Analyses et décryptages

Elections européennes : la Hongrie, une vitrine de l’extrême-droite qui suscite crainte et réflexion

Le mouvement Fidesz de Viktor Orban, parti ultraconservateur et d’extrême-droite s’est employé, depuis son retour au pouvoir en 2010, à limiter l’exercice de la démocratie dans son pays. Il a de nouveau triomphé aux élections de 2022, en obtenant plus de la moitié des voix et deux tiers des sièges au Parlement. De quoi lui laisser les coudées franches pour réduire l’indépendance des médias, de la justice, détruire méthodiquement l’éducation et mettre la main sur les institutions culturelles. Il se réclame du concept de « démocratie illibérale » : les électeurs, sont encore là pour la façade. Éducation muselée, société cadenassée, l’UNSA Éducation fait le tour des mesures prises en Hongrie qui prouvent, une fois encore, que l’extrême-droite, ça ne s’essaie pas.

Le personnel éducatif dans le viseur

 Le corps enseignant apparait comme la nouvelle bête noire de Viktor Orban après les juges et les médias. Le Fidesz a, dès son arrivée au pouvoir, supprimé le ministère de l’Éducation nationale pour le mettre sous la tutelle du ministère de l’Intérieur et s’emploie, à présent, à saper tous les fondements de l’éducation.

La liberté pédagogique est prise pour cible, depuis 2010 : limitation du choix des manuels, cours obligatoires de religion ou morale, nouveau socle commun d’apprentissage. L’Histoire doit être traitée de façon « réaliste et positive », il faut mettre en valeur les heures glorieuses du passé hongrois. La période Horthy (1920-1944) devient celle de la remise sur pied du pays, alors qu’elle s’est terminée par la déportation de 430.000 Juifs (une sorte de Pétain hongrois pour l’historienne C. Horel). On peut également citer l’étude obligatoire en littérature de 4 auteurs ouvertement antisémites : József Nyírö, István Sinka, Dezsö Szabó et Albert Wass. Tout cela démontre que le gouvernement Orbán considère l’éducation comme l’un des principaux terrains de son combat idéologique.

L’hostilité du régime n’épargne pas les conditions matérielles. D’après un rapport de l’OCDE, la Hongrie est l’un des pays qui investit le moins dans l’éducation. L’exemple du lycée de Budapest cité dans le journal Nepszava est édifiant : « le directeur demande aux parents de fournir stylos, feutres effaçables pour tableau blanc, craies, papier, piles, crayon, balais, chaises et même des sacs poubelle ». Les professeurs hongrois sont parmi les moins bien payés de l’Union européenne avec des salaires oscillants entre 500 et 1.000 € par mois. De quoi décourager les vocations : le pays est aujourd’hui confronté à une importante pénurie d’enseignants, il en manque environ 16.000 et la moitié des effectifs a plus de 50 ans.

Loin de capituler, les professeurs et les étudiants ont protesté contre la dégradation de la liberté pédagogique lors de grandes grèves et manifestations. Ils l’ont payé durement : en octobre 2022 le licenciement de dizaines d’enseignants qui avaient protesté, a tenté de museler leur opposition. En juillet 2023, la « loi vengeance » comme ils la qualifient, a été adoptée par le Parlement. Celle-ci modifie leur statut, ils ne sont plus fonctionnaires mais « employé de l’éducation publique ». Elle contraint aussi drastiquement leurs conditions de travail : augmentation de la charge de travail jusqu’à 12 heures par jour, imposition de mobilités géographiques, notation annuelle qui impactera directement leur rémunération et ne récompensera que les plus zélés, droit de grève encore réduit.

Une société corsetée

 Au-delà de la seule éducation, Viktor Orbán fort de son triomphe de 2022, continue tous azimuts la bataille des valeurs : chrétienté et nationalisme y font figure de totems. Tout ce qui pourrait déroger à ces « valeurs », brandies en étendard, est pointé du doigt et menacé.

Dans cette lutte, la première victime est la communauté LGBT alors que le pays était jusqu’alors progressiste : l’homosexualité y avait été dépénalisée dès le début des années 1960 et l’union civile entre partenaires de même sexe rendue possible depuis 1996 (pour l’union libre, 2009 pour un « partenariat civil »). Le Fidesz a, dès son arrivée, piétiné cette tolérance.  Ainsi il interdit les études de genre, l’inscription du changement de sexe à l’état civil et l’adoption par les couples homosexuels. Il n’est également plus possible d’évoquer le changement de sexe ou l’homosexualité auprès des mineurs, en vertu d’une loi adoptée en 2021. Ceci signifie concrètement, selon plusieurs ONG, que des programmes éducatifs, des publicités, des livres ou des séries dans lesquels l’homosexualité est évoquée seront interdits. Interdits donc Harry Potter, Friends ou Billy Elliot.

Plus terrible encore, cette loi fait l’amalgame entre homosexualité et pédophilie. Afin de la justifier, le Fidesz n’a pas hésiter à dénoncer la décadence occidentale où des activistes LGBT « visitent les crèches et les écoles pour y mener des cours d’éducation sexuelle » et précise : « les homosexuels ne doivent pas franchir une ligne rouge : laissez nos enfants tranquilles ». Seuls les cours d’éducation sexuelle qui parlent de l’hétérosexualité sont donc autorisés.

Conviction ou opportunisme politique, Viktor Orban se veut le chantre des valeurs traditionnelles chrétiennes. Il s’attaque donc à l’avortement. En 2012, «la vie du fœtus dès sa conception » est inscrite dans la constitution Depuis septembre 2022, afin de décourager les « velléités » d’IVG, un décret impose aux femmes qui veulent avorter, d’écouter les battements de cœur du fœtus.

La population hongroise, peut-être car elle n’a pas connu la période de libéralisation des mœurs des années 1970 comme la partie occidentale de l’Europe, semble séduite par ce tourant réactionnaire. L’Union européenne, elle s’est dite préoccupée. Elle a réagi aux manquements manifestes à l’État de droit en bloquant près de 30 milliards d’euros de subventions, sans grands changements pour le moment.

 

L’UNSA Éducation apporte son soutien à l’ensemble du peuple hongrois et en particulier au monde enseignant. Elle s’indigne fortement des mesures prises et du fait que, malgré des sanctions de l’Union européenne, la Hongrie s’enfonce dans l’autocratie. Elle est aux cotés de toutes les formes d’oppositions au régime. La manifestation du 6 avril dernier qui a réuni à Budapest 100 000 personnes autour de l’opposant à Orban, Peter Magyar laisse l’espoir d’un scénario à la polonaise vers l’alternance politique.

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