4 ans après, le second procès consécutif à l’assassinat de Samuel Paty

Huit personnes âgées de 22 à 65 ans comparaissent à compter du lundi 4 novembre à Paris pour leur implication présumée dans l’assassinat du professeur Samuel Paty, décapité le 16 octobre 2020 par Abdoullakh Anzorov, 18 ans, un Russe islamiste radicalisé d’origine tchétchène. Alors que l’émotion reste intacte, quelles sont les attentes de ce procès ? Quels en sont les enjeux ?
  • L’instrumentalisation de la laïcité

Avant sa mort, Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie au collège du Bois-d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine dans les Yvelines, avait été la cible d’une intense campagne de cyberharcèlement.

Nous n’oublierons pas qu’à l’origine de cette tragédie, il y a le mensonge d’une collégienne qui accusa à tort notre collègue en lui reprochant des discriminations à l’encontre des Musulmans. En l’espèce, c’est le cours d’Éducation Morale et civique qui était visé.

Les réseaux sociaux ont permis la propagation virale de cette accusation mensongère relayée notamment par des adultes. Cet emballement a conduit, selon le Parquet National Antiterroriste, à la « mise à mort » de Samuel Paty.

La jeune fille et cinq autres collégiens ont été condamnés en décembre 2023 à des peines allant de 14 mois avec sursis à deux ans (dont six mois ferme) après un procès à huis clos devant le tribunal pour enfants.

  • La manipulation des adultes

A partir du lundi 4 novembre 2024, deux des accusés sont jugés pour complicité d’assassinat terroriste, un crime passible de la perpétuité, les six autres pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Ils risquent jusqu’à 30 ans d’emprisonnement pour cet appel à la haine qui a permis les conditions de réalisation de cet acte odieux.

  • Des enjeux de sécurité

Comment tout cela a-t-il été possible ? Inévitablement la question de la sécurisation des établissements sera en filigrane de ce procès. Malgré des moyens déployés par les collectivités territoriales avec le soutien de l’État, force est de constater que les travaux se font trop lentement au regard des enjeux. Les investissements consentis ne sont pas toujours à la hauteur et les collectivités n’ont pas forcément les moyens d’assurer les travaux de réhabilitation ou d’équipement des établissements qui en ont besoin. Ce n’est pas la volonté qui manque, mais certainement les moyens à disposition des acteurs locaux.

Quoi qu’il en soit, les écoles ne sont pas des bunkers et il est difficile d’assurer un contrôle strict des entrées. 

Pour ce qui est de l’abord des établissements et du contrôle des entrées, des efforts sont faits sur les mesures de sécurité, les contrôles à l’entrée, mais toujours avec des moyens extrêmement limités puisque ces contrôles ne peuvent être assurés que par des surveillants qui ne sont ni formés, ni habilités, ni équipés pour de telles missions.

Malgré tout, les consignes de sécurité sont au centre des réunions de rentrée et les protocoles sont renforcés depuis ce drame pour faire prendre conscience à l’ensemble de la communauté éducative (et notamment aux adultes) de la situation. Tout est fait pour qu’ils soient particulièrement vigilants.

  • Une grande attention portée au climat scolaire

La généralisation des « carrés régaliens » en septembre 2021 dans toutes les académies est censée s’accompagner d’une information de tous les personnels sur les dispositifs de protection en place pour que chacun puisse également savoir vers qui se tourner en cas de difficulté. Notre article en détaille les objectifs.

Quatre domaines (valeurs de la République, radicalisation, violences, harcèlement) constituent les angles de ce carré. Une équipe dédiée doit assurer un suivi des signalements et apporter une réponse rapide à toute amorce de conflit.

En outre, mesurer les atteintes à la laïcité est, par exemple, l’un des leviers qui peut être actionné par les Équipes Académiques Valeurs de la République qui publient des bilans mensuels assez précis sur la nature des atteintes et le cadre dans lequel elles se sont exercées.

Tout cela n’exonère pas d’un travail lent et minutieux de dialogue sur le terrain. Les équipes sont soumises à de nombreuses pressions au quotidien qu’elles gèrent admirablement dans l’écrasante majorité des cas mais à quel prix ? 

  • Le procès de la protection des agents

La protection fonctionnelle est un principe général du droit destiné à protéger les agents publics contre les attaques ou les mises en causes pénales dont ils peuvent être l’objet dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions.

Depuis la généralisation du « carré régalien », la protection fonctionnelle est systématisée en cas d’agression d’un personnel et l’Institution accompagne les dépôts de plainte.

Malgré ce, les demandes sont au plus haut comme l’indique notre article.

Pour faire face à la montée des dérives (propos, attitudes, agressions) à l’encontre des agent∙es public∙ques, tant sur les réseaux sociaux que dans l’exercice de leurs missions, l’UNSA Éducation demande aux employeurs de soutenir résolument ses personnels, trouver des réponses adaptées et prévenir les risques physiques et psychosociaux.

  • Des personnels formés

Les formations sur ces questions ont été multipliées pour les personnels pour qu’ils soient plus à l’aise et répondre aux questionnements (ou aux provocations) des élèves. Un travail important a été réalisé mais pas de manière uniforme sur le territoire et surtout pas auprès de tous les personnels.

Pour une meilleure cohésion et une plus grande efficacité de l’action de la communauté éducative, c’est un plan ambitieux de formation initiale et continue auprès de tous les personnels qu’il convient d’engager parallèlement à une sensibilisation de tous les parents qui doivent être les premiers partenaires de l’École.

  • La prévention de la violence : l’éducation à la citoyenneté

Dans une société tendue où les passions l’emportent souvent sur la réflexion, le débat et l’échange, il est impératif de travailler sur le temps long pour asseoir les enjeux éducatifs. Cet objectif républicain est l’une des missions cardinales de l’École mais demande du temps, de la sérénité et une véritable continuité dans les politiques éducatives.

Ce travail ne peut, par ailleurs, se cantonner aux programmes d’éducation morale et civique (EMC). Ils ont, certes, été rénovés depuis ce drame et ont remis de manière plus marquée la laïcité (et son lien avec les valeurs de la République) au cœur des questions traitées. Par conséquent, sur le fond, ce n’est pas une véritable nouveauté, mais il s’agit de renforcer cette notion auprès des jeunes. Évidemment, après l’assassinat de notre collègue Samuel Paty, les enseignants ont, plus que jamais, insisté sur le principe de laïcité lors de leurs cours d’EMC.

Il n’en reste pas moins que le faible volume d’heures dévolue à ces disciplines ne permet pas de creuser le sujet avec les élèves et de mettre en place des échanges approfondis voire des débats. Des efforts ont été faits, certes, mais nous sommes encore loin du compte. 

Pour l’UNSA Education, de nombreuses questions sont posées à travers ce second procès. Evidemment, en premier lieu, il s’agit surtout pour la justice d’effectuer sereinement son travail. Parallèlement, le souvenir de notre collègue doit nous inspirer encore et toujours, qu’il s’agisse de la promotion des valeurs de la République, de la défense du principe de laïcité ou de l’esprit critique. La réflexion doit se poursuivre sur les tensions de notre société qui n’épargnent pas le climat scolaire, l’appropriation du principe de laïcité par toute la communauté éducative et, in fine, sur l’objectif essentiel du vivre-ensemble.

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