Comité Technique Académique Normandie : Une crise ? Quelle crise ?
Madame la Rectrice, mesdames et messieurs membres du CTA
Une crise ?
Voilà bientôt 17 mois que l’Éducation Nationale est confrontée à une crise sanitaire inédite, et si ce CTA se tient dans un contexte plus favorable, l’avenir reste pour le moins incertain. L’année scolaire 2020-2021 s’est déroulée en « mode dégradé », et le bilan est lourd, tant pour les personnels que pour les élèves. Pourtant, dans l’ordre du jour de ce dernier CTA avant la rentrée, rien n’évoque le caractère exceptionnel de la période.
Pour l’Unsa-Éducation, il est impératif que le ministère se questionne sur les effets de la crise sur ses personnels.
Nos collègues se sont trouvés sous tension durant des mois, et la gouvernance du système éducatif a généré avec une constance sidérante de multiples problèmes supplémentaires, avec comme dernier avatar les « couacs » du BAC, allant des difficultés d’un Grand Oral mal pensé au dysfonctionnement prévisible du traitement dématérialisé des copies. Au cours des derniers mois, la défiance s’est accrue et le fossé a continué à se creuser entre les discours et la réalité. Le pilotage a souvent failli, pas les acteurs de terrain.
Ces derniers n’ont pas épargné leur peine, mais leur ressenti est aujourd’hui sans appel. À ce titre, le baromètre des Métiers de l’Unsa-Éducation livre, à l’échelle de la Normandie, quelques données intéressantes. Dans notre Région académique 41% des personnels interrogés sur leur état d’esprit dans le contexte sanitaire estiment qu’ils vont plutôt bien. En revanche, plus de 56% font état d’une forme de souffrance ou de malaise persistant ; 65% estiment que leurs conditions de travail ne sont pas satisfaisantes ; 38% manifestent leur désir de changer de métier dans les prochaines années et, pour finir, 68% affirment qu’ils ne conseilleraient pas leur métier à un jeune de leur entourage.
Au vu de ces constats, le ministère doit apporter des réponses concrètes et significatives, car la crise n’a été parfois que le révélateur et l’amplificateur de problèmes structurels anciens.
Pour l’Unsa-Éducation, la situation des personnels de santé doit, pour le bien de tous, faire l’objet d’une attention particulière.
Depuis plusieurs années, notre Fédération n’a de cesse de revendiquer une véritable médecine du travail dans l’Éducation Nationale. Aujourd’hui, à côté des besoins énormes des élèves, un suivi médical et régulier de tous les personnels est plus que jamais nécessaire. Les besoins et les attentes sont énormes. Mais la situation est plus qu’inquiétante.
Les collègues médecins de notre Académie sont surchargé.e.s et épuisé.e.s. Pour le moment, les demandes de revalorisation restent lettre morte et le métier n’attire plus. Dans certains départements, la réduction des effectifs contraint les services à des réorganisations à marche forcée, dégradant encore sensiblement les conditions de travail et menaçant la qualité du service fourni.
Pour ce qui est des infirmières et infirmiers, qui se sont pleinement mobilisés au cours de cette crise sanitaire, le Grenelle de l’Éducation a fait l’effet d’une douche froide, tant l’enveloppe indemnitaire est réduite. A l’absence de reconnaissance et de perspective s’ajoute également le mépris dont témoigne la triste manœuvre de la Cour des comptes, qui au travers d’une nouvelle enquête ciblée feint d’ignorer l’investissement des personnels dans la gestion de la crise Covid et reporte sur les acteurs de terrain les insuffisances qui relèvent en réalité de l’incurie de l’État.
L’Unsa-Éducation attend des réponses à la hauteur des enjeux : il est là aussi urgent de travailler à l’attractivité du métier et à la revalorisation ; il faut stopper la logique de précarisation et créer des emplois de fonctionnaires pleinement reconnus.
Nous avons pris l’exemple des personnels de santé, mais il est évident que la question de la reconnaissance se pose pour de très nombreux métiers de notre ministère.
Lors des conclusions du Grenelle, le ministre a annoncé des éléments budgétaires, présenté une dizaine d’engagements et initié des discussions qui ont débuté au mois de juin. Quelques avancées positives semblent acquises (négociation avec A&I, directeurs d’école…) et l’Unsa-Éducation ne pratiquera pas la politique de la chaise vide : avec lucidité et détermination, nous poursuivrons notre participation aux négociations afin de défendre au mieux l’intérêt des personnels.
Toutefois, la « revalorisation historique », maintes fois annoncée par notre ministre n’est plus à l’ordre du jour. Pas de loi de programmation non plus. En outre, plusieurs catégories de personnels restent encore à l’écart des annonces.
Bref, en réalité c’est bien la déception, mâtinée de colère, qui l’emporte. La parole du ministre apparaît totalement discréditée auprès des personnels. Selon notre baromètre, près de 85% des agents de l’académie de Normandie se disent en désaccord avec les choix politiques opérés dans leur secteur d’activité. 6% ne se prononcent pas. Cela fait moins de 9% de personnes « plutôt en accord ».
Cette défiance résulte du fossé croissant entre les paroles et les actes.
À cet égard, les annonces nationales et régionales sur la RH de proximité sont emblématiques : à l’heure où vous communiquez, Madame la rectrice, dans un document de 24 pages, sur votre souci des agents et leur nécessaire « reconnaissance », ces mêmes agents nous disent qu’ils ne se sont jamais sentis aussi peu considérés ; vous évoquez le développement de « l’écoute individualisée des personnels » ? gageons qu’elle serait moins urgente si vous ne dégradiez pas tant leurs conditions de travail. Vous prétendez « accompagner les projets d’évolution » ? Dans le même temps vous retirez des droits à tous les collègues concernant la carrière et le mouvement : dans ces domaines, l’opacité et le déficit d’information sont désormais la règle. Madame la rectrice, pour le moment l’Unsa-Éducation considère que cette politique RH de proximité est avant tout une opération de communication, qui masque mal les réalités vécues sur le terrain et relève au fond d’une conception réactionnaire et paternaliste de la fonction publique.
Enfin, il nous faut pour terminer évoquer un aspect essentiel de la crise : son impact sur les élèves.
L’Unsa-Éducation se félicite qu’une logique de maintien d’ouverture des écoles et EPLE ait été suivie, même si nous déplorons que dans certains cas cette logique se soit traduite par des décisions malvenues.
Il reste que la scolarité des élèves a été lourdement affectée. Non, la vie des écoles et établissements ne s’est pas déroulée normalement depuis 17 mois. Tout a été plus compliqué : alternance des temps et formes d’enseignement, limitations des interactions, projets abandonnés etc. Nous avons déjà évoqué ces contraintes qui ont lourdement pesé sur les apprentissages et les acquis des élèves. A cela s’ajoutent bien entendu les conséquences psychologiques et économiques qui ont touché les familles.
Les défis pédagogiques et éducatifs sont immenses. Ce sont des personnels eux-mêmes éprouvés qui devront les relever et garantir un service d’Éducation de qualité. Cela ne peut se faire si l’on maintient les suppressions de postes. Cela ne se fera pas non plus par recours à des personnels précaires ou à des heures supplémentaires.
Pour l’Unsa-Éducation, il est temps d’agir de manière concrète et pérenne en abondant significativement les moyens alloués à l’École pour la rentrée.