Colloque du CNAL : « La laïcité et l’école : les enseignants ont la parole »

Colloque du CNAL : « La laïcité et l’école : les enseignants ont la parole »

Les cinq organisations constitutives du Comité National d’Action Laïque (ligue de l’Enseignement, DDEN, FCPE, UNSA-Education et SE-UNSA) ont organisé un colloque le 13 juin sur le thème « La laïcité́ à l’école : les enseignants ont la parole. » 

Cette étude décrit la manière dont est mis en pratique le principe de laïcité́ dans les écoles et établissements scolaires publics. Grâce à un sondage qui a été́ commandé à l’institut IFOP, complèté par une enquête de terrain, le Comité́ National d’Action Laïque peut se faire le porte-parole de ce que les enseignants ont à dire sur la laïcité́. En procédant à cette étude, le CNAL a voulu aller à la rencontre des enseignants pour qu’ils parlent non seulement de leur action quotidienne au service de la compréhension de la laïcité́ par les élèves et les familles, mais aussi pour prendre la mesure de leurs difficultés, entendre leurs interrogations, parfois leur désarroi, face à ce qu’un universitaire auditionné appelle « le surgissement du réel dans le quotidien de la classe  ».

Cette étude, mise à la disposition de tous, apporte des informations contrastées qui permettent de sortir des généralisations hâtives. A l’issue de ce travail de toute une année scolaire, le CNAL est en mesure de produire 5 constats.

1. La situation est globalement apaisée, l’étude donne à voir une école laïque qui met en application le principe de laïcité́, qui ne combat pas les religions mais qui les tient à distance. 

Neuf enseignants sur 10 estiment que le climat scolaire autour de la laïcité́ est aujourd’hui apaisé dans leur école ou dans leur établissement scolaire. Les trois quarts des enseignants sont confiants concernant l’adhésion des familles à la laïcité́. La loi du 15 mars 2004 est ainsi peu contestée et, quand elle l’est, 97 % des enseignants disent que les difficultés sont réglées par le dialogue. Si l’on met de côté́ les situations où les élèves ne situent pas encore la différence entre savoir et croyance et les provocations adolescentes, les problèmes rencontrés sont très rarement des atteintes insupportables à la laïcité́. Cette étude permet de rendre compte d’une multiplicité́ d’actions, d’enseignements disciplinaires ou interdisciplinaires, de projets spécifiques, de pratiques coopératives, de pédagogies actives, d’actions quotidiennes, qui permettent aux enseignants de faire comprendre et de faire vivre le principe de laïcité́. Il y a là un travail important effectué par les enseignants et de belles réussites à valoriser.

2. Les difficultés rencontrées et les contestations de la laïcité́ sont un phénomène mineur mais préoccupant, qui se manifeste de façon beaucoup plus vive en éducation prioritaire. 

En effet, si ces difficultés et ces contestations sont peu nombreuses en général, elles affichent un score préoccupant en éducation prioritaire concernant les élèves (34 % contre 9 % hors REP), leurs parents (22% contre 8% hors REP) et même de la part de certains enseignants ou d’autres personnels (23 % contre 6% hors REP). L’influence de l’actualité́ internationale sur les contestations du principe de laïcité́ est très nette. Il faut également relever que 12 % des enseignants disent s’autocensurer « régulièrement ou de temps en temps ». Si l’on raisonne à partir des chiffres collectes par l’IFOP auprès des enseignants, c’est environ l’établissement sur 10 en France qui connaitre régulièrement ou de temps en temps des difficultés ou des contestations, ce qui rend compte d’une situation qui doit retenir l’attention de tous.

3. Les actes ou paroles d’intolérance entre élèves, de racisme, d’antisémitisme, de pression à l’égard des filles atteignent un niveau inquiétant 

L’étude du CNAL montre que l’école a à faire face à la montée des intolérances. Les chiffres produits par le sondage IFOP, tout comme les paroles des enseignants recueillies par les enquêteurs- du CNAL, sont alarmants et les enseignants disent leur grande inquiétude. Cela permet de mesurer toute l’importance du rôle de l’école pour contrecarrer ces tendances néfastes et l’immense tâche confiée à tous les personnels de l’éducation nationale.

4. L’appréciation des enseignants sur les formations, sur les dispositifs et les aides mis à leur disposition pour faire partager aux élèves le principe de laïcité́, est très contrastée 

Les outils diffusés par le ministère de l’éducation nationale sont diversement reçus par les enseignants et ne leur sont pas tous d’une égale utilité́. Si la Charte de la laïcité́ est très utilisée, il n’en est pas de même pour d’autres outils, comme le livret laïcité́, ou d’autres dispositifs comme la réserve citoyenne. Les trois quarts des enseignants déclarent n’avoir jamais reçu de formation initiale pour enseigner le principe de laïcité́ et, même s’ils observent un réel progrès depuis quelques années, ils sont très peu nombreux (6%) à avoir bénéficié́ d’une formation continue sur la laïcité́ et très peu nombreux à voir leur travail sur la laïcité́ pris en compte lors de leur inspection. L’étude du CNAL met en évidence que, si dans les cas de difficultés importantes, les enseignants peuvent avoir besoin d’un soutien extérieur bienvenu, leurs demandes se portent essentiellement sur des outils pédagogiques concrets et sur de la formation de proximité́ et en équipe, formation qui soit une vraie ressource dans leur pratique quotidienne.

5. Enfin, pour les enseignants, c’est la montée des communautarismes qui met en danger la laïcité́ en France 

Alors que la laïcité́ est un élément jugé important pour l’identité́ de la France par plus de 9 enseignants sur 10 (93%), et qu’ils semblent un peu moins inquiets que l’ensemble de leurs concitoyens sur le fait qu’elle soit en danger en France (59% vs 72%), les enseignants sont une majorité́ à s’alarmer de la montée des communautarismes (52% vs 30% de l’ensemble des Français) et 27% d’entre eux se montrent inquiets concernant l’adhésion des élèves et des familles aux valeurs de la République, une inquiétude deux fois plus ressentie par les enseignants en REP (57% contre 20% en établissements non REP) et les enseignants exerçant dans les lycées professionnels (46%). Pour ce qu’ils nous disent ici de la mise en danger de notre pacte républicain, les enseignants doivent être considérés comme des lanceurs d’alerte. Pour que l’école ne soit pas en difficulté́ pour transmettre ce principe fondamental d’organisation de la République qu’est la laïcité́, les enseignants nous mettent en garde : la République doit agir en conformité́ avec les principes qu’elle demande aux enseignants de faire partager aux élèves. Comme cela a été́ précisé́ en audition « il ne faut pas que les règles de vie que l’école est chargée de transmettre ne marchent qu’à l’école  ».

L’examen des témoignages apportés par les membres des équipes éducatives auditionnées ou interrogées par les enquêteurs du CNAL fait apparaitre un constat décisif, plusieurs fois énoncé́ : « On ne peut pas séparer l’affirmation des principes laïques et la question sociale  ». De ce point de vue, la définition de la laïcité́ comme un simple « vivre ensemble » est très insuffisante, tout simplement parce que le « vivre ensemble » a assez peu de réalité́ concrète pour beaucoup de nos concitoyens. Ce n’est bien souvent qu’un « côte à côte » sans projet commun, qui devient donc très vite un « face à face ».

Oui, il y a bien un danger de communautarisme aujourd’hui, mais comment ne pas voir que ce communautarisme est en même temps largement subi par les plus démunis et construit par les plus forts. Et si on parlait aussi du communautarisme de ces municipalités qui préfèrent payer des amendes plutôt que de construire leur quota de logements sociaux ? Dans une étude effectuée récemment pour la Fondation Jean Jaurès, Jérôme Fourquet décrit ce qu’il appelle « la sécession des riches » : « La cohésion de la société́ française est mise à mal aujourd’hui par un processus, presque invisible l’œil nu, mais néanmoins lourd de conséquences. Il s’agit d’un processus de séparatisme social qui concerne toute une partie de la frange supérieure de la société́. Les occasions de contacts et d’interactions entre les catégories supérieures et le reste de la population sont concentrées dans des ghettos urbains ou ruraux, concrètement, cela signifie que nous vivons dans une France dans laquelle les jeunes ne se rencontrent plus, ne se parlent plus. Et quand la République laisse faire ou, pire, organise l’entre soi, elle met son école en difficulté́. Peut-il y avoir une laïcité́ bien comprise par tous sans fraternité́ ?

Mais l’étude du CNAL montre aussi que la question sociale n’explique pas tout. La dimension religieuse, peut-être même plus encore culturelle, est un aspect tout aussi essentiel de la question. L’omniprésence de la religion est réelle dans certains territoires. Il y a chez certains une incontestable instrumentalisation du religieux pour essayer de se soustraire aux lois de la République et imposer leur organisation communautariste. Certes, comme un universitaire auditionné a pu le dire, il faut faire « attention à une laïcité́ à tête chercheuse qui ne viserait que l’islam  », il faut certes aussi faire attention comme le soulève un autre « à ne pas toujours ressasser les mêmes incidents qui donnent une vision déformée de la réalité́ », mais l’enquête du CNAL ne met pas la poussière sous le tapis. Il existe une forte pression religieuse sur certains territoires qui pèse sur les familles et les élèves, et qui pèse donc sur l’école publique et ses personnels. Et si cela ne doit pas conduire à sous-estimer les pressions des autres religions, l’étude met en évidence une tension particulière avec des concitoyens de confession musulmane.

Comment faire pour construire cette culture commune de la laïcité́ qui n’existe pas suffisamment dans notre pays ? Voici quelques propositions formulées au cours de l’étude et que le CNAL reprend à son compte sous forme de questions.

· 1. Peut-on enseigner sereinement la laïcité́ dans un pays dans lequel le débat autour de la laïcité́ est souvent confus, la laïcité́ souvent instrumentalisée ou dévoyée, et dans lequel les enseignants ne perçoivent pas clairement de consensus au sein de la société́ sur ce qu’est la laïcité́ ? 
Ce consensus, les cinq organisations constitutives du CNAL montrent de par leur action conduite depuis 1953, qu’il est possible de le construire. Les organisations du CNAL peuvent avoir des points de vue différents mais, sur l’essentiel, elles trouvent toujours un point d’équilibre qui donne de la force à leur engagement commun pour promouvoir la laïcité́ à l’école. Gardons à l’esprit qu’à chaque fois que les invectives fusent entre défenseurs de la laïcité́, notamment à travers les réseaux sociaux, cela disqualifie le principe qui est cher au CNAL, et ses adversaires de toujours profitent des querelles. Et ce que nous demandent les enseignants à travers cette étude, c’est qu’on les sécurise avec un discours national clair qui donne un cadre, mais qui les laisse aussi s’impliquer localement. Et cela joue dans les deux sens car il n’y a pas de pragmatisme local possible, sans principe national commun à tous. Comme l’a dit un chercheur lors de son audition, il faudrait « être jacobin sur les valeurs et girondin sur les organisations ». C’est dans cet esprit, qu’un formateur en ESPE suggère l’édition nationale d’un document simple à destination des familles à distribuer au moment de la rentrée : la laïcité́, qu’est-ce que c’est ?

· 2. Peut-on faire vivre la laïcité́ dans un pays qui a laissé́ se ghettoïser des parties entières de son territoire ? 
Pour que la République demeure indivisible et ne dérive pas en segments communautarisés, les Constituants de 1946 et ceux de 1958 nous ont donné́ la méthode qu’on serait bien inspirés de ne pas oublier : pour rester indivisible, notre République doit être laïque, démocratique et sociale. Les enseignants demandent donc davantage de mixité́ sociale et scolaire. Mais comment aller très loin dans ce domaine dans un pays qui a en quelque sorte organisé le séparatisme scolaire et social en lançant la concurrence privée de son enseignement public ?

 

· – 3. Peut-on faire vivre la laïcité́ avec l’échec scolaire précoce et cumulatif des élèves issus des familles les plus défavorisées, échec qui met gravement en cause l’idéal du système éducatif d’assurer l’égalité́ des enfants ? 
C’est en France que les destins scolaires sont les plus liés aux origines sociales. Tout doit donc être fait pour éviter de placer notre école laïque en position délicate, une position en quelque sorte de cristallisation de toutes les insatisfactions, en tant que représentant une République qui oublie parfois que la devise républicaine est un tout et qu’il est illusoire de penser faire vivre la liberté́ si on oublie l’égalité́ et la fraternité́.

· 4. Peut-on, enfin, être un personnel de l’enseignement public sans être un militant de la laïcité́ ? Nos enseignants sont-ils suffisamment préparés, s’est interrogée une personne auditionnée, « à incarner une posture républicaine ? ». Il faut, a-t-il été́ dit lors des auditions, être attentif à la bonne compréhension de la laïcité́ par les futurs enseignants au moment des concours de recrutement et dans les formations « initiale et continue », formations qu’il faut à l’évidence améliorer quantitativement et qualitativement. Il faut entendre à cet égard la lassitude des enseignants face à des formateurs eux-mêmes pas toujours bien formés ou divergents entre eux, face à des formations soit insuffisantes ou même inexistantes, soit « qui ne font pas suffisamment ressource  » pour reprendre l’expression d’un personnel auditionné. Et la formation continue des personnels ne doit pas oublier les contractuels, de plus en plus nombreux.

En conclusion, ce qui est demandé aujourd’hui à l’école et à ses personnels, c’est de faire en sorte que la laïcité́ puise être le levier d’une émancipation des citoyens au sein d’une société́ que sa diversité́ croissante écartèle entre une tentation d’une uniformisation caporaliste et celle d’une dangereuse paresse multiculturalisme. La mission de l’école n’a jamais été́ facile. Elle est aujourd’hui d’une importance cruciale pour la République. Au terme de cette étude, le CNAL ouvre des pistes pour une laïcité́ en actes, une laïcité́ qui libère et qui émancipe, une laïcité́ qui n’interdit pas tout mais qui ne permet pas tout. Une laïcité́ qui se fait aimer car elle garantit l’égalité́ et la liberté́ de tous et de chacun. 

Colloque du CNAL : « La laïcité et l’école : les enseignants ont la parole »

Les cinq organisations constitutives du Comité National d’Action Laïque (ligue de l’Enseignement, DDEN, FCPE, UNSA-Education et SE-UNSA) ont organisé un colloque le 13 juin sur le thème « La laïcité́ à l’école : les enseignants ont la parole. » 

Cette étude décrit la manière dont est mis en pratique le principe de laïcité́ dans les écoles et établissements scolaires publics. Grâce à un sondage qui a été́ commandé à l’institut IFOP, complèté par une enquête de terrain, le Comité́ National d’Action Laïque peut se faire le porte-parole de ce que les enseignants ont à dire sur la laïcité́. En procédant à cette étude, le CNAL a voulu aller à la rencontre des enseignants pour qu’ils parlent non seulement de leur action quotidienne au service de la compréhension de la laïcité́ par les élèves et les familles, mais aussi pour prendre la mesure de leurs difficultés, entendre leurs interrogations, parfois leur désarroi, face à ce qu’un universitaire auditionné appelle « le surgissement du réel dans le quotidien de la classe  ».

Cette étude, mise à la disposition de tous, apporte des informations contrastées qui permettent de sortir des généralisations hâtives. A l’issue de ce travail de toute une année scolaire, le CNAL est en mesure de produire 5 constats.

1. La situation est globalement apaisée, l’étude donne à voir une école laïque qui met en application le principe de laïcité́, qui ne combat pas les religions mais qui les tient à distance. 

Neuf enseignants sur 10 estiment que le climat scolaire autour de la laïcité́ est aujourd’hui apaisé dans leur école ou dans leur établissement scolaire. Les trois quarts des enseignants sont confiants concernant l’adhésion des familles à la laïcité́. La loi du 15 mars 2004 est ainsi peu contestée et, quand elle l’est, 97 % des enseignants disent que les difficultés sont réglées par le dialogue. Si l’on met de côté́ les situations où les élèves ne situent pas encore la différence entre savoir et croyance et les provocations adolescentes, les problèmes rencontrés sont très rarement des atteintes insupportables à la laïcité́. Cette étude permet de rendre compte d’une multiplicité́ d’actions, d’enseignements disciplinaires ou interdisciplinaires, de projets spécifiques, de pratiques coopératives, de pédagogies actives, d’actions quotidiennes, qui permettent aux enseignants de faire comprendre et de faire vivre le principe de laïcité́. Il y a là un travail important effectué par les enseignants et de belles réussites à valoriser.

2. Les difficultés rencontrées et les contestations de la laïcité́ sont un phénomène mineur mais préoccupant, qui se manifeste de façon beaucoup plus vive en éducation prioritaire. 

En effet, si ces difficultés et ces contestations sont peu nombreuses en général, elles affichent un score préoccupant en éducation prioritaire concernant les élèves (34 % contre 9 % hors REP), leurs parents (22% contre 8% hors REP) et même de la part de certains enseignants ou d’autres personnels (23 % contre 6% hors REP). L’influence de l’actualité́ internationale sur les contestations du principe de laïcité́ est très nette. Il faut également relever que 12 % des enseignants disent s’autocensurer « régulièrement ou de temps en temps ». Si l’on raisonne à partir des chiffres collectes par l’IFOP auprès des enseignants, c’est environ l’établissement sur 10 en France qui connaitre régulièrement ou de temps en temps des difficultés ou des contestations, ce qui rend compte d’une situation qui doit retenir l’attention de tous.

3. Les actes ou paroles d’intolérance entre élèves, de racisme, d’antisémitisme, de pression à l’égard des filles atteignent un niveau inquiétant 

L’étude du CNAL montre que l’école a à faire face à la montée des intolérances. Les chiffres produits par le sondage IFOP, tout comme les paroles des enseignants recueillies par les enquêteurs- du CNAL, sont alarmants et les enseignants disent leur grande inquiétude. Cela permet de mesurer toute l’importance du rôle de l’école pour contrecarrer ces tendances néfastes et l’immense tâche confiée à tous les personnels de l’éducation nationale.

4. L’appréciation des enseignants sur les formations, sur les dispositifs et les aides mis à leur disposition pour faire partager aux élèves le principe de laïcité́, est très contrastée 

Les outils diffusés par le ministère de l’éducation nationale sont diversement reçus par les enseignants et ne leur sont pas tous d’une égale utilité́. Si la Charte de la laïcité́ est très utilisée, il n’en est pas de même pour d’autres outils, comme le livret laïcité́, ou d’autres dispositifs comme la réserve citoyenne. Les trois quarts des enseignants déclarent n’avoir jamais reçu de formation initiale pour enseigner le principe de laïcité́ et, même s’ils observent un réel progrès depuis quelques années, ils sont très peu nombreux (6%) à avoir bénéficié́ d’une formation continue sur la laïcité́ et très peu nombreux à voir leur travail sur la laïcité́ pris en compte lors de leur inspection. L’étude du CNAL met en évidence que, si dans les cas de difficultés importantes, les enseignants peuvent avoir besoin d’un soutien extérieur bienvenu, leurs demandes se portent essentiellement sur des outils pédagogiques concrets et sur de la formation de proximité́ et en équipe, formation qui soit une vraie ressource dans leur pratique quotidienne.

5. Enfin, pour les enseignants, c’est la montée des communautarismes qui met en danger la laïcité́ en France 

Alors que la laïcité́ est un élément jugé important pour l’identité́ de la France par plus de 9 enseignants sur 10 (93%), et qu’ils semblent un peu moins inquiets que l’ensemble de leurs concitoyens sur le fait qu’elle soit en danger en France (59% vs 72%), les enseignants sont une majorité́ à s’alarmer de la montée des communautarismes (52% vs 30% de l’ensemble des Français) et 27% d’entre eux se montrent inquiets concernant l’adhésion des élèves et des familles aux valeurs de la République, une inquiétude deux fois plus ressentie par les enseignants en REP (57% contre 20% en établissements non REP) et les enseignants exerçant dans les lycées professionnels (46%). Pour ce qu’ils nous disent ici de la mise en danger de notre pacte républicain, les enseignants doivent être considérés comme des lanceurs d’alerte. Pour que l’école ne soit pas en difficulté́ pour transmettre ce principe fondamental d’organisation de la République qu’est la laïcité́, les enseignants nous mettent en garde : la République doit agir en conformité́ avec les principes qu’elle demande aux enseignants de faire partager aux élèves. Comme cela a été́ précisé́ en audition « il ne faut pas que les règles de vie que l’école est chargée de transmettre ne marchent qu’à l’école  ».

L’examen des témoignages apportés par les membres des équipes éducatives auditionnées ou interrogées par les enquêteurs du CNAL fait apparaitre un constat décisif, plusieurs fois énoncé́ : « On ne peut pas séparer l’affirmation des principes laïques et la question sociale  ». De ce point de vue, la définition de la laïcité́ comme un simple « vivre ensemble » est très insuffisante, tout simplement parce que le « vivre ensemble » a assez peu de réalité́ concrète pour beaucoup de nos concitoyens. Ce n’est bien souvent qu’un « côte à côte » sans projet commun, qui devient donc très vite un « face à face ».

Oui, il y a bien un danger de communautarisme aujourd’hui, mais comment ne pas voir que ce communautarisme est en même temps largement subi par les plus démunis et construit par les plus forts. Et si on parlait aussi du communautarisme de ces municipalités qui préfèrent payer des amendes plutôt que de construire leur quota de logements sociaux ? Dans une étude effectuée récemment pour la Fondation Jean Jaurès, Jérôme Fourquet décrit ce qu’il appelle « la sécession des riches » : « La cohésion de la société́ française est mise à mal aujourd’hui par un processus, presque invisible l’œil nu, mais néanmoins lourd de conséquences. Il s’agit d’un processus de séparatisme social qui concerne toute une partie de la frange supérieure de la société́. Les occasions de contacts et d’interactions entre les catégories supérieures et le reste de la population sont concentrées dans des ghettos urbains ou ruraux, concrètement, cela signifie que nous vivons dans une France dans laquelle les jeunes ne se rencontrent plus, ne se parlent plus. Et quand la République laisse faire ou, pire, organise l’entre soi, elle met son école en difficulté́. Peut-il y avoir une laïcité́ bien comprise par tous sans fraternité́ ?

Mais l’étude du CNAL montre aussi que la question sociale n’explique pas tout. La dimension religieuse, peut-être même plus encore culturelle, est un aspect tout aussi essentiel de la question. L’omniprésence de la religion est réelle dans certains territoires. Il y a chez certains une incontestable instrumentalisation du religieux pour essayer de se soustraire aux lois de la République et imposer leur organisation communautariste. Certes, comme un universitaire auditionné a pu le dire, il faut faire « attention à une laïcité́ à tête chercheuse qui ne viserait que l’islam  », il faut certes aussi faire attention comme le soulève un autre « à ne pas toujours ressasser les mêmes incidents qui donnent une vision déformée de la réalité́ », mais l’enquête du CNAL ne met pas la poussière sous le tapis. Il existe une forte pression religieuse sur certains territoires qui pèse sur les familles et les élèves, et qui pèse donc sur l’école publique et ses personnels. Et si cela ne doit pas conduire à sous-estimer les pressions des autres religions, l’étude met en évidence une tension particulière avec des concitoyens de confession musulmane.

Comment faire pour construire cette culture commune de la laïcité́ qui n’existe pas suffisamment dans notre pays ? Voici quelques propositions formulées au cours de l’étude et que le CNAL reprend à son compte sous forme de questions.

· 1. Peut-on enseigner sereinement la laïcité́ dans un pays dans lequel le débat autour de la laïcité́ est souvent confus, la laïcité́ souvent instrumentalisée ou dévoyée, et dans lequel les enseignants ne perçoivent pas clairement de consensus au sein de la société́ sur ce qu’est la laïcité́ ? 
Ce consensus, les cinq organisations constitutives du CNAL montrent de par leur action conduite depuis 1953, qu’il est possible de le construire. Les organisations du CNAL peuvent avoir des points de vue différents mais, sur l’essentiel, elles trouvent toujours un point d’équilibre qui donne de la force à leur engagement commun pour promouvoir la laïcité́ à l’école. Gardons à l’esprit qu’à chaque fois que les invectives fusent entre défenseurs de la laïcité́, notamment à travers les réseaux sociaux, cela disqualifie le principe qui est cher au CNAL, et ses adversaires de toujours profitent des querelles. Et ce que nous demandent les enseignants à travers cette étude, c’est qu’on les sécurise avec un discours national clair qui donne un cadre, mais qui les laisse aussi s’impliquer localement. Et cela joue dans les deux sens car il n’y a pas de pragmatisme local possible, sans principe national commun à tous. Comme l’a dit un chercheur lors de son audition, il faudrait « être jacobin sur les valeurs et girondin sur les organisations ». C’est dans cet esprit, qu’un formateur en ESPE suggère l’édition nationale d’un document simple à destination des familles à distribuer au moment de la rentrée : la laïcité́, qu’est-ce que c’est ?

· 2. Peut-on faire vivre la laïcité́ dans un pays qui a laissé́ se ghettoïser des parties entières de son territoire ? 
Pour que la République demeure indivisible et ne dérive pas en segments communautarisés, les Constituants de 1946 et ceux de 1958 nous ont donné́ la méthode qu’on serait bien inspirés de ne pas oublier : pour rester indivisible, notre République doit être laïque, démocratique et sociale. Les enseignants demandent donc davantage de mixité́ sociale et scolaire. Mais comment aller très loin dans ce domaine dans un pays qui a en quelque sorte organisé le séparatisme scolaire et social en lançant la concurrence privée de son enseignement public ?

 

· – 3. Peut-on faire vivre la laïcité́ avec l’échec scolaire précoce et cumulatif des élèves issus des familles les plus défavorisées, échec qui met gravement en cause l’idéal du système éducatif d’assurer l’égalité́ des enfants ? 
C’est en France que les destins scolaires sont les plus liés aux origines sociales. Tout doit donc être fait pour éviter de placer notre école laïque en position délicate, une position en quelque sorte de cristallisation de toutes les insatisfactions, en tant que représentant une République qui oublie parfois que la devise républicaine est un tout et qu’il est illusoire de penser faire vivre la liberté́ si on oublie l’égalité́ et la fraternité́.

· 4. Peut-on, enfin, être un personnel de l’enseignement public sans être un militant de la laïcité́ ? Nos enseignants sont-ils suffisamment préparés, s’est interrogée une personne auditionnée, « à incarner une posture républicaine ? ». Il faut, a-t-il été́ dit lors des auditions, être attentif à la bonne compréhension de la laïcité́ par les futurs enseignants au moment des concours de recrutement et dans les formations « initiale et continue », formations qu’il faut à l’évidence améliorer quantitativement et qualitativement. Il faut entendre à cet égard la lassitude des enseignants face à des formateurs eux-mêmes pas toujours bien formés ou divergents entre eux, face à des formations soit insuffisantes ou même inexistantes, soit « qui ne font pas suffisamment ressource  » pour reprendre l’expression d’un personnel auditionné. Et la formation continue des personnels ne doit pas oublier les contractuels, de plus en plus nombreux.

En conclusion, ce qui est demandé aujourd’hui à l’école et à ses personnels, c’est de faire en sorte que la laïcité́ puise être le levier d’une émancipation des citoyens au sein d’une société́ que sa diversité́ croissante écartèle entre une tentation d’une uniformisation caporaliste et celle d’une dangereuse paresse multiculturalisme. La mission de l’école n’a jamais été́ facile. Elle est aujourd’hui d’une importance cruciale pour la République. Au terme de cette étude, le CNAL ouvre des pistes pour une laïcité́ en actes, une laïcité́ qui libère et qui émancipe, une laïcité́ qui n’interdit pas tout mais qui ne permet pas tout. Une laïcité́ qui se fait aimer car elle garantit l’égalité́ et la liberté́ de tous et de chacun.