Analyses et décryptages

Services publics, maltraitance et expérience de Milgram

Quand nous choisissons la Fonction Publique, nous savons que nous allons servir la communauté, nous mettre littéralement au service du public. Pour autant, dans un contexte de pénurie des moyens et à cause d’une gestion calamiteuse par nos politiques, sommes-nous parfois maltraitants entre agents, avec les usagers ? L'expérience de Milgram réalisée en 1963 nous montre que le risque est grand et nous en explique une partie des causes. Aujourd’hui, la montée de l’extrême droite et la banalisation des pensées simplistes nous font craindre une bascule vers une maltraitance systématique ciblée, où la cible s’élargirait chaque jour un peu plus.

“L’expérience de Milgram¹ est une étude de psychologie sociale menée par Stanley Milgram en 1963. Elle a pour but d’étudier le comportement humain face à l’autorité et la soumission à celle-ci, et consiste à tester la capacité des individus à obéir, même si cela implique d’infliger des souffrances à autrui.”²

On est fonctionnaire, on fonctionne

Cette phrase, qui provoque de l’urticaire chez certains et ne reflète que notre mission première chez d’autres, est une illustration de ce tiraillement entre notre devoir et les limites de notre obéissance. Nous ne sommes pourtant pas les rouages d’un système sans aucun libre arbitre.

Je suis désolé, mais je ne suis pas responsable de cette situation.

Je suis désolé, mais je ne fait que mon travail

Nous sommes souvent conscients des souffrances que nous infligeons, des injustices que nous cautionnons, mais nous continuons car nous nous réfugions derrière une autorité supérieure censée endosser la responsabilité des actes que nous commettons.

C’est de sa faute, il pourrait faire un effort.

Il est responsable de ses actes, s’il en avait la volonté, il ferait autrement

Reporter la faute sur celui qui subit la maltraitance plutôt que sur l’autorité.  Durant l’expérience, en plus du fait d’accepter d’infliger des maltraitances, une chose est frappante : les participants en arrivent à réprimander ceux qui les subissent. Plutôt que de remettre en question les ordres qu’ils reçoivent, ils se focalisent sur leurs victimes les rendant responsables de leur état.

J’adapterai les consignes officielles, je contournerai le dispositif, comme d’habitude

Tricher, contourner les règles pour ne pas affronter l’autorité. C’est une autre façon de “faire avec” sans être dans une opposition frontale qui nous mettrait en difficulté. Chacun d’entre nous l’a déjà fait à de multiples reprises. Face à des règles absurdes ou inapplicables, nous préférons résister localement mais sans l’afficher ouvertement.

Ignorer les plaintes, se dérober, nier les évidences pour se sortir au plus vite de cette situation.  Dans l’expérience de Milgram, 62% des sujets de l’expérience poursuivent les maltraitances croissantes jusqu’au bout, respectant les injonctions de l’autorité. Ce pourcentage tombe à 20% si le représentant de l’autorité est absent et ne contrôle plus le processus. L’obéissance cesse si deux représentants de l’autorité expriment un désaccord. Seul un petit nombre trouve la force et le courage d’arrêter et de s’opposer à l’autorité.

Déjà aujourd’hui, nous sommes face à des dilemmes et des conflits de loyauté. Nos conditions de travail se dégradent. Les moyens pour remplir nos missions ne sont pas à la hauteur des enjeux. Nous voulons malgré tout remplir notre mission de service public, que nous avons à cœur. Les burn-out se multiplient, le nombre de démissions est grandissant. Ce sont autant de signes d’une perte de sens de nos missions et de l’isolement croissant des personnels.

Et demain ? Si l’extrême droite arrive au pouvoir ? Jusqu’où sommes-nous prêts à aller dans l’application de règles qui heurteraient profondément nos valeurs? Comment résister au pouvoir de l’injonction autoritaire, au conformisme ?³ User de son libre arbitre n’est pas une chose si simple, surtout lorsque l’on se sent seul. Le meilleur moyen est de rompre cette solitude et de se regrouper en collectif, de se battre ensemble. Les syndicats sont là pour ça. C’est sans aucun doute pour cela que l’extrême droite ne les aime pas et veut réduire leurs possibilités d’actions.

 

1 – Lien vers une vidéo explicative de l’expérience de Milgram https://player.vimeo.com/video/405404140

2 – (Wikipédia) Dans cette expérience, il y a le sujet qui inflige les punitions et deux complices, l’autorité et celui qui subit les maltraitances.

3 – Une autre vidéo portant sur l’effet de groupe, le conformisme https://player.vimeo.com/video/480295523

 

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