Pratiques culturelles et numériques des ados
Laurence Allard, chercheuse à l’Université Paris 3, fait des pratiques expressives numériques des adolescents un de ses objets de recherche, en se spécialisant sur les usages du mobile. Elle a présenté une partie de ses recherches récemment à la rencontre coordonnée par l’Injep au centre Beaubourg, sur la question de l’engagement des jeunes dans la culture.
Connaître et comprendre aident à apprivoiser ce monde numérique dont la plupart les adultes ne détiennent ni les codes ni les usages. Si les usages numériques des adolescents sont souvent mis à l’index pour parler de harcèlement, voire d’embrigadement, les travaux de cette chercheuse nous éclairent sur d’autres réalités numériques.
Le mobile ou le smartphone, devenu compagnon d’existence, isole son utilisateur, même dans un vivre ensemble familial. Le téléphone portable est associé à une révolution sociale de l’écriture ordinaire. Jamais on a autant écrit et dans toutes les couches sociales, à tous les âges.
Laurence Allard observe les pratiques adolescentes autour de leur téléphone, elle les qualifie d’ « ados vampires » en faisant remarquer leurs comportements lorsque les activités scolaires et familiales cessent. Ce sont des pratiques sociales de nuit, souvent à l’insu des adultes. La possibilité de traîner ensemble, à distance loin du contrôle parental. Le mobile permet d’écrire comme on s’ennuie, il est le média de la voix intérieure. En étudiant un corpus d’images postées de nuit sur les réseaux sociaux (Twitter, Instagram, Snapchat), elle observe la communication de soi-même. Ce n’est pas un simple renfermement narcissique mais plutôt une extériorisation expressive de ses affects.
En journée, les adolescents transforment de manière créative une existence banale passée le plus souvent dans des espaces clos (lycées, collèges, chambres). Les applications mobiles changent le statut même de la photographie, elles permettent d’être présent au monde sous des aspects pluriels. Elles exercent la créativité durablement et contribuent à se construire une identité par l’expression de soi. Les cultures de l’écrit et de l’image convergent sur l’écran ; les signes sont métissés, les images annotées. Emojis, gifs animés participent d’une textualité hybride. Le « mot »de l’année 2016, apparu un milliard de fois par jour, dans les échanges numériques est ❤.
Ces échanges portent sur l’amitié ou le partage des passions. La culture Fandom est une forme de reconnaissance entre pairs, elle suppose d’explorer un domaine de prédilection pour pouvoir partager des connaissances avec de nouveaux cercles de pairs. Il y a des enjeux identitaires incontestables dans ces pratiques re-créatives.
Laurence Allard conclut sur l’ambivalence du numérique mobile qui peut tout autant ouvrir sur des puissances d’agir ou aliéner sur un spectacle observé continu. Il faut se défier des approches populistes des pratiques juvéniles, cette génération est née avec ces outils, doit-elle comme la précédente regarder Internet ou participer à la fabrication du monde connecté qui vient ? Elle plaide pour un faberborn des digital natives…
Les évolutions sociétales, techniques et culturelles sont permanentes et de plus en plus rapides c’est pourquoi les démarches éducatives doivent se diversifier en tenant compte des pratiques contemporaines. Plutôt que se lamenter ou vouloir régenter des usages que les adultes éducateurs ne maîtrisent pas totalement, retenons l’ouverture sur la créativité nouvelle née de l’usage du mobile. Et continuons d’inventer des usages pédagogiques de ces outils !