Pierre Merle, auteur de « Polémiques et fake news scolaires »

Le dernier ouvrage de Pierre Merle traite de la production de l’ignorance en matière de politiques éducatives, par le biais des polémiques et fake news scolaires. Les fake news peuvent se définir comme des contre-vérité manifestes, des informations partielles ou partiales. Elles prospèrent dans le monde éducatif pour de multiples raisons que l’auteur analyse. L’absence de connaissances favorisant la diffusion d’opinions, de nombreux obstacles se trouvent sur la voie du débat en éducation. Entretien.

    1 – Le sujet traité dans cet ouvrage est très politique, qu’est ce qui vous a motivé à vous en emparer ?
Les questions scolaires sont souvent politiques, notamment les programmes d’enseignement, sources de polémiques récurrentes. Ce livre est politique pour une autre raison. Il s’intéresse aux discours politiques sur l’école. Les contrevérités sont légion si bien que les croyances idéologiques s’affirment au détriment des connaissances scientifiques et des politiques éducatives efficaces. Pour favoriser celles-ci, mon travail de sociologue a consisté à montrer l’existence de fake news scolaires qui constituent des obstacles au changement.

2 –  Les exemples que vous prenez sont des sujets récurrents de polémiques (le niveau scolaire, les notes, le redoublement), en quoi participent-ils au phénomène nouveau  de fake news ?
Les exemples que j’analyse participent au phénomène des fake news dans la mesure où les réseaux sociaux diffusent avec une grande rapidité les informations sensationnalistes. Pour accroître la diffusion de leurs propos, les hommes politiques sont tentés par la caricature. Il est normal qu’une nouvelle loi sur l’école suscite des inquiétudes. Si certaines ne sont pas fondées, elles ne constituent pas toutes des « bobards ». Le terme ministériel a eu du succès sur les réseaux sociaux. Le ministre augmente sa visibilité politique, mais son propos rend plus difficile un dialogue pourtant nécessaire. Sur des domaines compliqués (Parcoursup, le niveau scolaire, le redoublement, la méthode syllabique…), la simplification est une forme de désinformation. Elle crée des oppositions factices. Faute de prendre en compte la complexité du travail pédagogique et des décisions que les acteurs de terrain doivent assurer, la simplification débouche potentiellement sur de fausses solutions.

3 – A qui profite la diffusion de fake news scolaires ?
Je vais partir d’un exemple. Luc Ferry, ancien ministre, a déclaré : « Je ne comprends pas que des gens intelligents cèdent à l’idéologie gentillette selon laquelle les notes chiffrées seraient traumatisantes pour les enfants, comme si casser le thermomètre allait tout arranger » (Le Figaro, 1/12/2014).
Ces propos sont une fake news. D’une part, toutes les recherches ont montré que les notes ne sont pas fiables. La métaphore du thermomètre n’est pas pertinente. D’autre part, les notes ne sont pas indispensables. Certains systèmes scolaires performants n’y ont pas ou peu recours. Enfin, les notes basses altèrent l’image de soi scolaire des élèves faibles, réduisent « leurs ressources attentionnelles », et favorisent « la résignation apprise »1.
A qui profite cette fake news ? Il faut certes continuer à féliciter les bons élèves mais, aussi, ne pas utiliser un système de notation qui exerce des effets négatifs sur les élèves en difficulté. Les classes sans note sont un bon exemple. En mathématiques, elles favorisent sensiblement les progrès des élèves faibles sans réduire la progression des meilleurs. L’éloge non fondé des notes contribue à perpétuer les inégalités du système éducatif français. Il en est de même du redoublement.

4 – Une fédération syndicale telle que la nôtre, ancrée dans le réformisme, subit aussi les fake news scolaires. Peut-elle participer à lutter contre « la production de l’ignorance scolaire »? Comment ?
Les personnels éducatifs et les organisations syndicales subissent des fake news scolaires et peuvent participer à la lutte contre « la production de l’ignorance scolaire ». Faute de méthode miracle, il faut adopter de bonnes pratiques : croiser les sources, éviter les sources de seconde main (consulter les études de Pisa et ne pas se contenter des discours des politiques et des écrits des médias), connaître les a priori inévitables que nous avons tous, être capable de revisiter son jugement, être ouvert au dialogue… Chacun devrait s’approprier  et diffuser l’aphorisme de Bachelard : « Face au réel, ce qu’on croit savoir clairement occulte ce qu’on devrait savoir ».

Pierre Merle, professeur de sociologie, ESPE de Bretagne, a publié des ouvrages sur les pratiques d’ évaluation ou la ségrégation scolaire notamment , le dernier paru en mars 2019 :
Polémiques et fake news scolaires. La production de l’ignorance, Ed. Le Bord de l’Eau.

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Le dernier ouvrage de Pierre Merle traite de la production de l’ignorance en matière de politiques éducatives, par le biais des polémiques et fake news scolaires. Les fake news peuvent se définir comme des contre-vérité manifestes, des informations partielles ou partiales. Elles prospèrent dans le monde éducatif pour de multiples raisons que l’auteur analyse. L’absence de connaissances favorisant la diffusion d’opinions, de nombreux obstacles se trouvent sur la voie du débat en éducation. Entretien.

    1 – Le sujet traité dans cet ouvrage est très politique, qu’est ce qui vous a motivé à vous en emparer ?
Les questions scolaires sont souvent politiques, notamment les programmes d’enseignement, sources de polémiques récurrentes. Ce livre est politique pour une autre raison. Il s’intéresse aux discours politiques sur l’école. Les contrevérités sont légion si bien que les croyances idéologiques s’affirment au détriment des connaissances scientifiques et des politiques éducatives efficaces. Pour favoriser celles-ci, mon travail de sociologue a consisté à montrer l’existence de fake news scolaires qui constituent des obstacles au changement.

2 –  Les exemples que vous prenez sont des sujets récurrents de polémiques (le niveau scolaire, les notes, le redoublement), en quoi participent-ils au phénomène nouveau  de fake news ?
Les exemples que j’analyse participent au phénomène des fake news dans la mesure où les réseaux sociaux diffusent avec une grande rapidité les informations sensationnalistes. Pour accroître la diffusion de leurs propos, les hommes politiques sont tentés par la caricature. Il est normal qu’une nouvelle loi sur l’école suscite des inquiétudes. Si certaines ne sont pas fondées, elles ne constituent pas toutes des « bobards ». Le terme ministériel a eu du succès sur les réseaux sociaux. Le ministre augmente sa visibilité politique, mais son propos rend plus difficile un dialogue pourtant nécessaire. Sur des domaines compliqués (Parcoursup, le niveau scolaire, le redoublement, la méthode syllabique…), la simplification est une forme de désinformation. Elle crée des oppositions factices. Faute de prendre en compte la complexité du travail pédagogique et des décisions que les acteurs de terrain doivent assurer, la simplification débouche potentiellement sur de fausses solutions.

3 – A qui profite la diffusion de fake news scolaires ?
Je vais partir d’un exemple. Luc Ferry, ancien ministre, a déclaré : « Je ne comprends pas que des gens intelligents cèdent à l’idéologie gentillette selon laquelle les notes chiffrées seraient traumatisantes pour les enfants, comme si casser le thermomètre allait tout arranger » (Le Figaro, 1/12/2014).
Ces propos sont une fake news. D’une part, toutes les recherches ont montré que les notes ne sont pas fiables. La métaphore du thermomètre n’est pas pertinente. D’autre part, les notes ne sont pas indispensables. Certains systèmes scolaires performants n’y ont pas ou peu recours. Enfin, les notes basses altèrent l’image de soi scolaire des élèves faibles, réduisent « leurs ressources attentionnelles », et favorisent « la résignation apprise »1.
A qui profite cette fake news ? Il faut certes continuer à féliciter les bons élèves mais, aussi, ne pas utiliser un système de notation qui exerce des effets négatifs sur les élèves en difficulté. Les classes sans note sont un bon exemple. En mathématiques, elles favorisent sensiblement les progrès des élèves faibles sans réduire la progression des meilleurs. L’éloge non fondé des notes contribue à perpétuer les inégalités du système éducatif français. Il en est de même du redoublement.

4 – Une fédération syndicale telle que la nôtre, ancrée dans le réformisme, subit aussi les fake news scolaires. Peut-elle participer à lutter contre « la production de l’ignorance scolaire »? Comment ?
Les personnels éducatifs et les organisations syndicales subissent des fake news scolaires et peuvent participer à la lutte contre « la production de l’ignorance scolaire ». Faute de méthode miracle, il faut adopter de bonnes pratiques : croiser les sources, éviter les sources de seconde main (consulter les études de Pisa et ne pas se contenter des discours des politiques et des écrits des médias), connaître les a priori inévitables que nous avons tous, être capable de revisiter son jugement, être ouvert au dialogue… Chacun devrait s’approprier  et diffuser l’aphorisme de Bachelard : « Face au réel, ce qu’on croit savoir clairement occulte ce qu’on devrait savoir ».

Pierre Merle, professeur de sociologie, ESPE de Bretagne, a publié des ouvrages sur les pratiques d’ évaluation ou la ségrégation scolaire notamment , le dernier paru en mars 2019 :
Polémiques et fake news scolaires. La production de l’ignorance, Ed. Le Bord de l’Eau.