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L’État de droit peut-il être détricoté en 18 mois par l’extrême-droite ? 

La communication de la sénatrice écologiste Mélanie Vogel, dans laquelle elle affirmait qu’un gouvernement autoritaire en France (type RN) pouvait détricoter l’État de droit en moins de 18 mois, a fait le tour des réseaux sociaux.

Il faut prendre cette alerte très au sérieux, dans la mesure où elle s’appuie sur des éléments solides, en particulier sur des expériences européennes et une étude du parlement européen à la demande des Écologistes sur les mécanismes, parfois fragiles, du maintien d’un véritable état de droit.

Il existe évidemment des garde-fous comme le Conseil Constitutionnel (dont certains membres pourraient être nommés par le RN en cas de majorité absolue aux législatives et de présidence de l’Assemblée nationale), l’autorité judiciaire ou encore les institutions européennes.

Toutefois, le risque est réel au regard même de la nature de nos institutions très centralisées. C’est à la fois un gage de stabilité mais également notre talon d’Achille compte-tenu de l’importance des pouvoirs du Président de la République comparativement aux autres démocraties (ordonnances, dissolution, référendum, état d’urgence pour lequel il n’y a aucun recours, procédure législative spéciale prévue à l’article 47-1 qui réduit les délais de délibération, le désormais célèbre article 49-3 qui permet de passer en force pour le gouvernement, l’article 44 qui bloque le vote du Sénat, …).

Ainsi l’extrême droite pourrait-elle, sans aucune modification constitutionnelle, organiser progressivement le glissement vers moins d’égalité, de liberté et in fine moins de démocratie.

En contrevenant au principe même de l’État de droit qui garantit la primauté du droit sur le pouvoir politique, l’extrême-droite pourrait s’attaquer aux droits fondamentaux, ceux qui nous servent de boussole et sont issus de la DDHC.

Le programme du RN est d’ailleurs, en l’espèce, extrêmement clair avec un modèle qui se rapprocherait davantage de l’État policier avec des mesures de contrôle et de surveillance extrêmement fortes ainsi qu’un traitement différencié de la population en fonction de son origine.

Autrement dit, une majorité absolue de l’extrême-droite à l’Assemblée nationale serait la première étape d’un processus aventureux et dangereux surtout s’il devait se poursuivre par l’accès à la présidence de la République. Cela donnerait définitivement les mains libres à ce pouvoir pour agir sans entraves et dans une forme de légalité dévoyée.

En effet, s’il arrive au pouvoir, le RN pourra à la fois faire un usage plus grave, plus discriminatoire et plus liberticide de l’arsenal juridique déjà existant et adopter de nouveaux textes plus contraignants par ailleurs.

Concrètement, sur la question des libertés, (y compris les libertés publiques, la liberté de manifester ou la liberté d’association) cela peut se traduire par un usage liberticide de dispositions en vigueur. La loi séparatisme de 2021 est un bon exemple. En effet, entre le contrat d’engagement républicain que doivent signer toutes les associations qui demandent des subventions et l’élargissement des critères qui permettent à l’exécutif de prononcer la dissolution administrative d’une association, les droits humains et les libertés publiques sont clairement menacés quand il s’agit d’un pouvoir autoritaire. Dans les territoires administrés par le RN la mise sous coupe réglée du tissu associatif est une stratégie bien établie.

De même, le programme du RN renvoie systématiquement à la neutralisation, au contrôle et à la sanction, préparant ainsi l’émergence d’un régime politique où le dissensus et la contestation n’auraient pas droit de cité. C’est le contraire de la conception d’un état démocratique avec des espaces d’expression protégés et garantit au plus haut niveau de l’État.

Par ailleurs, le corpus idéologique du RN s’appuie sur l’idée d’une « préférence nationale » rebaptisée récemment « priorité nationale ». L’introduction de ce concept aurait des conséquences lourdes sur la notion de « droits » qui ne seraient plus, de fait, universels mais l’agrégation de droits catégoriels. Le RN propose par exemple de « protéger les droits des compatriotes en situation de handicap ». La remise en cause du droit du sol, principe républicain inscrit dans la loi depuis 1889, participe à cette logique de catégorisation de la société pour proposer un autre modèle qui s’éloigne fondamentalement des principes promus jusqu’alors par notre République.

Ce détournement possible, cet affaiblissement envisagé de l’État de droit selon une argumentation spécieuse qui voudrait que les règles établies notamment sur le plan européen sont un carcan dont il faudrait se défaire. Le droit et les institutions européennes sont pourtant un des seuls rempart contre les dérives comme l’indique le rapport annuel de la Commission Européenne sur « l’état de droit ». Le RN sait d’ailleurs très bien que arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme sont obligatoires mais pas exécutoires et que la France ne serait pas inquiétée si elle y contrevenait.

Mais dans le fond, le principal danger c’est que le droit en lui-même peut être instrumentalisé car comme le rappelle la juriste Stéphanie Hennette-Vauchez : « c’est un outil du pouvoir, il n’a pas d’essence et n’est pas immunisé par un usage raciste ou liberticide ». C’est une question sensible qui se pose, y compris dans de grandes démocraties comme les Etats-Unis, à l’occasion de nominations de juges réactionnaires.

En outre, les régimes autoritaires en Hongrie, en Pologne ou en Italie ont fait des ravages et ces pays ne doivent leur résistance qu’à la qualité de leurs contre -pouvoirs comme la décentralisation en Italie qui limite de facto les pouvoirs de G. Mélonie.

L’histoire nous invite cependant à la prudence concernant les digues et la capacité de résistance des contre-pouvoirs. C’est ainsi que le Conseil d’État dans sa forme actuelle ambivalente s’était « sali les mains » sous le régime de Vichy comme la haute juridiction l’avait reconnu elle-même en 1990.

On peut d’ailleurs se demander fébrilement ce qu’aurait donné une extrême-droite au pouvoir au moment de la crise sanitaire. Le « Conseil de défense » était devenu un haut lieu de décision à cette époque. La culture politique brutale de l’extrême-droite aurait pu faire craindre le pire en termes de respect des libertés et de gestion du régime d’exception.

Qu’imaginer pendant la réforme des retraites où les tensions ont été vives ? L’usage brutal et vertical du pouvoir inhérent à l’extrême-droite se serait heurté à un peuple hostile. Quelle aurait été la réponse du pouvoir en place ?

De même, la censure du Conseil Constitutionnel sur des attaques frontales du RN pourraient s’entendre.  En revanche, l’introduction de mesures techniques généralisées sur, par exemple, les conditions d’accès à certaines prestations ou allocation pourraient être introduites sans une opposition catégorique des sages du Conseil. Le Conseil constitutionnel n’est donc pas un obstacle absolu et ne saurait bloquer outre-mesure l’action législative du RN qui aurait beau jeu de surfer sur les risques d’un « gouvernement des juges », illégitime qui s’opposerait à la vox populi. C’est exactement ce qui s’est produit dans des pays comme la Pologne.

Par conséquent, la fragilité des contre-pouvoirs ne peut qu’inquiéter et ce d’autant plus quand l’on constate la prolifération de la propagande d’extrême-droite à travers des médias de plus en plus installés. La stratégie de communication est une arme puissante qui bouscule le paysage médiatique. Le vote de rejet devient a priori un vote de conviction en même temps que la sémantique RN se fait entendre partout sur le territoire. Cette accoutumance de l’opinion à la brutalisation du débat et cette libération de la parole d’extrême-droite prépare l’acceptation du peuple à tous les excès et à tous les revirements en termes de droits et de valeurs.

En somme, quand l’extrême droite prend le pouvoir, elle ne le rend pas et organise une société basée sur des valeurs bien loin des idéaux de liberté, égalité, fraternité, laïcité de notre République. On pourrait dès lors légitimement redouter un basculement de régime.

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