Les politiques de jeunesse en France avec Patricia Loncle-Moriceau

Patricia Loncle-Moriceau est chercheuse-enseignante à l’École des hautes études en santé publique de Rennes et titulaire de la Chaire de Recherche sur la jeunesse. Elle travaille sur les politiques publiques qui s’adressent à la jeunesse et qui sont mises en œuvre du niveau local au niveau européen). Par ailleurs, elle développe une analyse des fonctionnements des territoires sous l’angle des réseaux locaux d’acteurs. Son dernier ouvrage en anglais aborde les trajectoires éducatives en Europe : Shaping the Futures of Young Europeans*.

*Shaping the Futures of Young Europeans
education governance in eight European countries

Edited by MARCELO PARREIRA DO AMARAL,
ROGER DALE & PATRICIA LONCLE
2015 paperback 188 pages

– Quelles sont les évolutions notables dans les politiques de jeunesse au cours des dix dernières années ?

La première évolution est la montée en charge de toutes les collectivités territoriales sur les questions de jeunesse. Jusqu’à, il y a une dizaine d’années, elles faisaient des choses, pas forcément affichées comme politiques de jeunesse mais intervenaient en direction des jeunes. Depuis 10 ans, on constate une systématisation de leurs interventions par des projets de politiques de jeunesse avec un cadre établi.

Puis, et c’est paradoxal, il y a eu une reformulation, une clarification de l’intervention auprès des jeunes mais ça ne veut pas systématiquement dire un renforcement significatif des financements.

Cette montée en charge des collectivités territoriales de tous les échelons ne s’est pas nécessairement accompagnée d’une réflexion sur une articulation entre les différents niveaux. Tout le monde a bâti ses propres projets mais n’a pas pensé l’articulation avec les autres.

Enfin, en terme de formulation de contenus de politique publique, je dirais qu’on a eu une croissance significative des questions relatives à l’emploi des jeunes par rapport à ce qui pouvait être proposé précédemment. Les questions de l’emploi sont devenues une priorité.

– Comment s’articulent les différents niveaux de responsabilité entre l’Europe, l’État et les territoires ?

Ça ne s’articule pas très clairement, notamment entre l’Europe et les échelons nationaux et infranationaux en France.

Quand on regarde ce qui se passe en Europe, on voit des pays qui vont clairement faire référence aux recommandations de la Commission européenne et du Conseil de l’Europe pour les intégrer dans leur cadre national. En France, au niveau de l’État, on connaît ces recommandations mais on n’a pas cette habitude d’y faire référence. Je pense qu’il y a un transfert des objectifs européens qui se fait vers la France mais de manière un peu implicite.

Ensuite, entre l’État et les territoires, il y a des articulations qui devraient s’effectuer et transiter par les DRJSCS, les DDCSPP et les collectivités territoriales. Ce que j’observe dans les territoires avec lesquels je travaille, ce sont des relations un peu ambiguës. Entre les exécutifs des collectivités territoriales et les responsables de ces services ça ne fonctionne pas toujours très bien. Parfois même les exécutifs municipaux ou intercommunaux se construisent contre les services de l’État.

Par contre, je pense qu’au niveau opérationnel, c’est plus fluide. Par exemple, les établissements scolaires vont travailler avec les professionnels des quartiers qui interviennent en direction des jeunes. À ce niveau territorial de mise en œuvre de l’action publique, il semble que les articulations se font.

– Quelle est la place des politiques éducatives dans les politiques de jeunesse ?

Tout dépend comment on définit le champ de l’éducation. On peut considérer l’éducation formelle, non formelle et informelle : le formel étant ce qui émane de l’école, le non formel de l’éducation populaire et l’informel des jeunes eux-mêmes. Le côtoiement de ces domaines se fait depuis toujours, il n’y a donc pas une séparation très nette.

On voit bien que pendant longtemps l’Éducation nationale a eu tendance à fonctionner de manière un peu autonome et que cela s’est infléchi progressivement au cours des dernières décennies.

On voit aussi des collectivités territoriales qui développaient de plus en plus leurs propres politiques éducatives, c’est à dire des politiques en lien avec les établissements scolaires. Je ne sais pas si on peut dire que les politiques éducatives sont dans les politiques de jeunesse mais elles sont très imbriquées. Cette imbrication pose des questions et n’est pas toujours simple parce que les professionnels des domaines de l’éducation et du non formel n’ont pas toujours exactement les mêmes logiques de fonctionnement ou référentiels de métier. Mais les réflexions autour de la question de l’emploi des jeunes, de la lutte contre le décrochage scolaire sont extrêmement portées par tous les acteurs publics à tous les niveaux. Ils sont alors obligés de se rapprocher pour leur mise en œuvre. Le tissage se fait concrètement du fait de cette norme de l’emploi qui devient absolument centrale dans l’intervention auprès des jeunes. Les professionnels de la jeunesse ont résisté un petit moment en disant qu’ils ne devaient pas être concernés que par l’emploi, mais ils sont rattrapés par leurs financeurs qui leur imposent cela.

– La participation des jeunes peut-elle être au cœur des politiques publiques en leur faveur ?

Je vais vous faire une réponse à deux niveaux. Je pense que la participation des jeunes peut être au cœur des politiques publiques, je pense même qu’elle doit être au cœur des politiques publiques – c’est un avis politique – à force de travailler sur ces questions-là, depuis longtemps maintenant, j’ai la conviction qu’il faut absolument aller vers une implication beaucoup plus systématique des jeunes à tous les échelons de décision dans les politiques publiques qui les concernent, et même dans les politiques publiques en général. Je pense que, si on veut éviter un certain nombre de crises liées à la démocratie aujourd’hui, il faut absolument systématiser ces questions-là. Il me semble que, d’une manière générale, quand on regarde ce qui se passe réellement dans les territoires, dans les établissements scolaires, le chemin est encore long à parcourir pour que les jeunes soient associés à toutes les étapes de décision des politiques publiques de jeunesse et des politiques publiques d’éducation, si on ne cite que ces deux-là.

Alors, il y a plein d’initiatives, plein de choses qui se font dans les territoires et dans les établissements mais ça reste souvent un peu timide. Ça reste souvent de la consultation des jeunes, on va les faire participer, on va leur demander ce qu’ils pensent de ce qu’on fait, mais on ne les associe pas vraiment à la réflexion en amont de la prise de décision, à la décision, à la gouvernance des établissements ou bien des collectivités territoriales. Ça, on en est encore très loin.

En tant que chercheuse engagée sur ces questions depuis longtemps, je pense que c’est absolument nécessaire et même crucial et urgent.

Il y a des pays qui prennent cela très au sérieux. Nous travaillons sur la participation locale des jeunes dans les villes européennes et, nous avons des réunions de consortium : nous sommes allés, il y a peu de temps à Göteborg en Suède, nous sommes allés faire des visites de terrain et nous avons vu des jeunes très engagés dans certaines structures (pas à l’école parce que ce ne sont pas les structures que nous avons vues) mais nous avons vu un grand centre social, un grand centre équivalent à un CRIJ en France. Là, nous voyions des jeunes totalement impliqués dans le fonctionnement et la prise de décision. En France, on en est loin.

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Patricia Loncle-Moriceau est chercheuse-enseignante à l’École des hautes études en santé publique de Rennes et titulaire de la Chaire de Recherche sur la jeunesse. Elle travaille sur les politiques publiques qui s’adressent à la jeunesse et qui sont mises en œuvre du niveau local au niveau européen). Par ailleurs, elle développe une analyse des fonctionnements des territoires sous l’angle des réseaux locaux d’acteurs. Son dernier ouvrage en anglais aborde les trajectoires éducatives en Europe : Shaping the Futures of Young Europeans*.

*Shaping the Futures of Young Europeans
education governance in eight European countries

Edited by MARCELO PARREIRA DO AMARAL,
ROGER DALE & PATRICIA LONCLE
2015 paperback 188 pages

– Quelles sont les évolutions notables dans les politiques de jeunesse au cours des dix dernières années ?

La première évolution est la montée en charge de toutes les collectivités territoriales sur les questions de jeunesse. Jusqu’à, il y a une dizaine d’années, elles faisaient des choses, pas forcément affichées comme politiques de jeunesse mais intervenaient en direction des jeunes. Depuis 10 ans, on constate une systématisation de leurs interventions par des projets de politiques de jeunesse avec un cadre établi.

Puis, et c’est paradoxal, il y a eu une reformulation, une clarification de l’intervention auprès des jeunes mais ça ne veut pas systématiquement dire un renforcement significatif des financements.

Cette montée en charge des collectivités territoriales de tous les échelons ne s’est pas nécessairement accompagnée d’une réflexion sur une articulation entre les différents niveaux. Tout le monde a bâti ses propres projets mais n’a pas pensé l’articulation avec les autres.

Enfin, en terme de formulation de contenus de politique publique, je dirais qu’on a eu une croissance significative des questions relatives à l’emploi des jeunes par rapport à ce qui pouvait être proposé précédemment. Les questions de l’emploi sont devenues une priorité.

– Comment s’articulent les différents niveaux de responsabilité entre l’Europe, l’État et les territoires ?

Ça ne s’articule pas très clairement, notamment entre l’Europe et les échelons nationaux et infranationaux en France.

Quand on regarde ce qui se passe en Europe, on voit des pays qui vont clairement faire référence aux recommandations de la Commission européenne et du Conseil de l’Europe pour les intégrer dans leur cadre national. En France, au niveau de l’État, on connaît ces recommandations mais on n’a pas cette habitude d’y faire référence. Je pense qu’il y a un transfert des objectifs européens qui se fait vers la France mais de manière un peu implicite.

Ensuite, entre l’État et les territoires, il y a des articulations qui devraient s’effectuer et transiter par les DRJSCS, les DDCSPP et les collectivités territoriales. Ce que j’observe dans les territoires avec lesquels je travaille, ce sont des relations un peu ambiguës. Entre les exécutifs des collectivités territoriales et les responsables de ces services ça ne fonctionne pas toujours très bien. Parfois même les exécutifs municipaux ou intercommunaux se construisent contre les services de l’État.

Par contre, je pense qu’au niveau opérationnel, c’est plus fluide. Par exemple, les établissements scolaires vont travailler avec les professionnels des quartiers qui interviennent en direction des jeunes. À ce niveau territorial de mise en œuvre de l’action publique, il semble que les articulations se font.

– Quelle est la place des politiques éducatives dans les politiques de jeunesse ?

Tout dépend comment on définit le champ de l’éducation. On peut considérer l’éducation formelle, non formelle et informelle : le formel étant ce qui émane de l’école, le non formel de l’éducation populaire et l’informel des jeunes eux-mêmes. Le côtoiement de ces domaines se fait depuis toujours, il n’y a donc pas une séparation très nette.

On voit bien que pendant longtemps l’Éducation nationale a eu tendance à fonctionner de manière un peu autonome et que cela s’est infléchi progressivement au cours des dernières décennies.

On voit aussi des collectivités territoriales qui développaient de plus en plus leurs propres politiques éducatives, c’est à dire des politiques en lien avec les établissements scolaires. Je ne sais pas si on peut dire que les politiques éducatives sont dans les politiques de jeunesse mais elles sont très imbriquées. Cette imbrication pose des questions et n’est pas toujours simple parce que les professionnels des domaines de l’éducation et du non formel n’ont pas toujours exactement les mêmes logiques de fonctionnement ou référentiels de métier. Mais les réflexions autour de la question de l’emploi des jeunes, de la lutte contre le décrochage scolaire sont extrêmement portées par tous les acteurs publics à tous les niveaux. Ils sont alors obligés de se rapprocher pour leur mise en œuvre. Le tissage se fait concrètement du fait de cette norme de l’emploi qui devient absolument centrale dans l’intervention auprès des jeunes. Les professionnels de la jeunesse ont résisté un petit moment en disant qu’ils ne devaient pas être concernés que par l’emploi, mais ils sont rattrapés par leurs financeurs qui leur imposent cela.

– La participation des jeunes peut-elle être au cœur des politiques publiques en leur faveur ?

Je vais vous faire une réponse à deux niveaux. Je pense que la participation des jeunes peut être au cœur des politiques publiques, je pense même qu’elle doit être au cœur des politiques publiques – c’est un avis politique – à force de travailler sur ces questions-là, depuis longtemps maintenant, j’ai la conviction qu’il faut absolument aller vers une implication beaucoup plus systématique des jeunes à tous les échelons de décision dans les politiques publiques qui les concernent, et même dans les politiques publiques en général. Je pense que, si on veut éviter un certain nombre de crises liées à la démocratie aujourd’hui, il faut absolument systématiser ces questions-là. Il me semble que, d’une manière générale, quand on regarde ce qui se passe réellement dans les territoires, dans les établissements scolaires, le chemin est encore long à parcourir pour que les jeunes soient associés à toutes les étapes de décision des politiques publiques de jeunesse et des politiques publiques d’éducation, si on ne cite que ces deux-là.

Alors, il y a plein d’initiatives, plein de choses qui se font dans les territoires et dans les établissements mais ça reste souvent un peu timide. Ça reste souvent de la consultation des jeunes, on va les faire participer, on va leur demander ce qu’ils pensent de ce qu’on fait, mais on ne les associe pas vraiment à la réflexion en amont de la prise de décision, à la décision, à la gouvernance des établissements ou bien des collectivités territoriales. Ça, on en est encore très loin.

En tant que chercheuse engagée sur ces questions depuis longtemps, je pense que c’est absolument nécessaire et même crucial et urgent.

Il y a des pays qui prennent cela très au sérieux. Nous travaillons sur la participation locale des jeunes dans les villes européennes et, nous avons des réunions de consortium : nous sommes allés, il y a peu de temps à Göteborg en Suède, nous sommes allés faire des visites de terrain et nous avons vu des jeunes très engagés dans certaines structures (pas à l’école parce que ce ne sont pas les structures que nous avons vues) mais nous avons vu un grand centre social, un grand centre équivalent à un CRIJ en France. Là, nous voyions des jeunes totalement impliqués dans le fonctionnement et la prise de décision. En France, on en est loin.