Les étudiant(e)s philippin(e)s, simples pièces dans la machinerie des entreprises à bas coût

En septembre dernier, les Nations Unies ont décidé que l’enseignement primaire et secondaire devait être gratuit. Pourtant, les Philippines s’orientent vers la direction opposée. Les autorités confient, en effet, la gestion de l’enseignement secondaire à des entreprises commerciales privées. Le principe est simple : payer pour apprendre. Dans une étude commanditée par l’Internationale de l’Education, le chercheur Curtis Riep montre comment le droit à l’éducation est mis en vente, abandonnant tous les espoirs des jeunes à la merci du marché.

Dans les pays les plus pauvres du monde, l’éducation soi-disant « à bas prix » revient à un coût de plus en plus élevé pour ceux et celles qui ne peuvent se la permettre. Les autorités officielles philippines arguent de ce que les caisses publiques nationales ne possèdent pas les fonds suffisants pour soutenir un système d’enseignement secondaire gratuit de qualité. Selon l’étude, cette assertion n’est pas du tout fondée.

Aux Philippines, 40 pour cent des écoles secondaires, soit 5.130 établissements, sont détenues par le secteur privé. Elles réclament des droits d’inscription annoncés comme étant « à bas prix ». Ces frais sont cependant inabordables pour la plupart des élèves venant de foyers à faible revenu. Les frais annuels, souvent supérieurs à 500 dollars américains, rendent l’école inaccessible pour les familles pauvres et leurs enfants, sachant que la plupart d’entre elles vivent avec moins d’un dollar américain par jour.

Riep précise également dans cette étude que la décision du gouvernement d’externaliser l’enseignement secondaire aux plus offrants est plus un choix stratégique qu’un choix résultant d’une contrainte financière. Le mouvement vers des écoles lucratives à bas prix semble relever davantage d’un programme économique visant à créer des consommateurs/trices plutôt que des citoyen(ne)s et à garantir une main-d’œuvre future suffisamment flexible pour pouvoir répondre aux besoins du marché en matière de travail bon marché.

Depuis 2009, les fonds alloués par le gouvernement aux chaînes d’écoles privées ont augmenté pour atteindre plus de 31 milliards de pesos philippins, environ 700 millions de dollars américains – un montant qui, toujours d’après Riep, aurait permis d’assurer le financement de 60.000 classes supplémentaires, ainsi que le logement d’environ 3 millions d’élèves.

Parmi les bénéficiaires des subventions gouvernementales, révèle l’étude, se trouvent Pearson Plc et le Groupe Ayala, qui promeuvent des Centres d’éducation privés à bas prix, connus sous l’appellation APEC (pour Affordable Private Education Centers). Assurant la supervision d’une multitude de sociétés aux Philippines et à travers le monde, Ayala intervient dans l’élaboration des programmes scolaires de ses écoles lucratives à bas prix de manière à produire des travailleurs/euses possédant les compétences répondant à ses besoins en matière de main-d’œuvre. Réputés pour pratiquer la « rétroconception » des programmes scolaires au sein de leurs établissements, c’est-à-dire appliquer des programmes scolaires adaptés à certains besoins spécifiques, les APEC se donnent pour mission de créer une génération programmée « possédant des compétences, des valeurs et des connaissances spécifiques pouvant être utilisées sur le marché mondial du travail ». La libre pensée n’a pas de place dans le monde des APEC.
D’ici la fin de 2016, les écoles APEC se sont donné pour objectif d’accueillir 4.000 élèves, ou client(e)s, selon leurs termes – dans au moins 50 écoles au cours des trois prochaines années. Pour la seule ville de Manille, le nombre d’établissements scolaires à bas prix devrait doubler et passer à 24 d’ici la fin de l’année.

Le gouvernement philippin a récemment annoncé qu’il envisageait de créer les classes de première et de terminale. Il s’agit d’une avancée significative pour le pays et ses enfants. Toutefois, si l’on souhaite que ces deux années soient réellement profitables, le gouvernement philippin doit s’engager à injecter davantage de ressources financières dans le système d’éducation. Au niveau mondial, il est recommandé aux gouvernements d’investir 6 pour cent du produit intérieur brut et 20 pour cent du budget national dans l’éducation. Les Philippines ne parviennent toujours pas à atteindre ces objectifs, puisque moins de 3 pour cent va à l’éducation.

Comment un gouvernement qui déclare déjà ne pas avoir la capacité de financer l’enseignement secondaire peut-il envisager de payer pour deux années supplémentaires d’enseignement obligatoire ? Le travail de Riep montre précisément comment  cela peut être accompli en passant par le secteur privé. Bien que le Président philippin Benigno S. Aquino III prétende que deux années d’enseignement supplémentaires sont nécessaires pour préparer davantage de jeunes aux emplois de haut niveau, il suffit d’observer, d’un autre côté, le nombre d’employeurs liés au réseau des sociétés du groupe Ayala.
Un consensus international soutient que l’éducation à vocation commerciale n’est pas une solution.  L’un des principaux Objectifs pour le développement durable définis par l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre veut que « […] toutes les filles et tous les garçons suivent, sur un pied d’égalité, un cycle complet d’enseignement primaire et secondaire gratuit et de qualité […] ». Mais au lieu de pouvoir bénéficier d’une éducation gratuite et de qualité, la jeunesse philippine se voit contrainte d’ouvrir le portefeuille pour accéder à la formule d’éducation la moins chère. L’éducation à bas prix est tarifée à un prix que ni les Philippines, ni les jeunes, ni les générations futures ne peuvent se permettre de payer. Il est grand temps que le gouvernement philippin revienne à la raison.

Fred van Leeuwen
Secrétaire général, Internationale de l’Éducation

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En septembre dernier, les Nations Unies ont décidé que l’enseignement primaire et secondaire devait être gratuit. Pourtant, les Philippines s’orientent vers la direction opposée. Les autorités confient, en effet, la gestion de l’enseignement secondaire à des entreprises commerciales privées. Le principe est simple : payer pour apprendre. Dans une étude commanditée par l’Internationale de l’Education, le chercheur Curtis Riep montre comment le droit à l’éducation est mis en vente, abandonnant tous les espoirs des jeunes à la merci du marché.

Dans les pays les plus pauvres du monde, l’éducation soi-disant « à bas prix » revient à un coût de plus en plus élevé pour ceux et celles qui ne peuvent se la permettre. Les autorités officielles philippines arguent de ce que les caisses publiques nationales ne possèdent pas les fonds suffisants pour soutenir un système d’enseignement secondaire gratuit de qualité. Selon l’étude, cette assertion n’est pas du tout fondée.

Aux Philippines, 40 pour cent des écoles secondaires, soit 5.130 établissements, sont détenues par le secteur privé. Elles réclament des droits d’inscription annoncés comme étant « à bas prix ». Ces frais sont cependant inabordables pour la plupart des élèves venant de foyers à faible revenu. Les frais annuels, souvent supérieurs à 500 dollars américains, rendent l’école inaccessible pour les familles pauvres et leurs enfants, sachant que la plupart d’entre elles vivent avec moins d’un dollar américain par jour.

Riep précise également dans cette étude que la décision du gouvernement d’externaliser l’enseignement secondaire aux plus offrants est plus un choix stratégique qu’un choix résultant d’une contrainte financière. Le mouvement vers des écoles lucratives à bas prix semble relever davantage d’un programme économique visant à créer des consommateurs/trices plutôt que des citoyen(ne)s et à garantir une main-d’œuvre future suffisamment flexible pour pouvoir répondre aux besoins du marché en matière de travail bon marché.

Depuis 2009, les fonds alloués par le gouvernement aux chaînes d’écoles privées ont augmenté pour atteindre plus de 31 milliards de pesos philippins, environ 700 millions de dollars américains – un montant qui, toujours d’après Riep, aurait permis d’assurer le financement de 60.000 classes supplémentaires, ainsi que le logement d’environ 3 millions d’élèves.

Parmi les bénéficiaires des subventions gouvernementales, révèle l’étude, se trouvent Pearson Plc et le Groupe Ayala, qui promeuvent des Centres d’éducation privés à bas prix, connus sous l’appellation APEC (pour Affordable Private Education Centers). Assurant la supervision d’une multitude de sociétés aux Philippines et à travers le monde, Ayala intervient dans l’élaboration des programmes scolaires de ses écoles lucratives à bas prix de manière à produire des travailleurs/euses possédant les compétences répondant à ses besoins en matière de main-d’œuvre. Réputés pour pratiquer la « rétroconception » des programmes scolaires au sein de leurs établissements, c’est-à-dire appliquer des programmes scolaires adaptés à certains besoins spécifiques, les APEC se donnent pour mission de créer une génération programmée « possédant des compétences, des valeurs et des connaissances spécifiques pouvant être utilisées sur le marché mondial du travail ». La libre pensée n’a pas de place dans le monde des APEC.
D’ici la fin de 2016, les écoles APEC se sont donné pour objectif d’accueillir 4.000 élèves, ou client(e)s, selon leurs termes – dans au moins 50 écoles au cours des trois prochaines années. Pour la seule ville de Manille, le nombre d’établissements scolaires à bas prix devrait doubler et passer à 24 d’ici la fin de l’année.

Le gouvernement philippin a récemment annoncé qu’il envisageait de créer les classes de première et de terminale. Il s’agit d’une avancée significative pour le pays et ses enfants. Toutefois, si l’on souhaite que ces deux années soient réellement profitables, le gouvernement philippin doit s’engager à injecter davantage de ressources financières dans le système d’éducation. Au niveau mondial, il est recommandé aux gouvernements d’investir 6 pour cent du produit intérieur brut et 20 pour cent du budget national dans l’éducation. Les Philippines ne parviennent toujours pas à atteindre ces objectifs, puisque moins de 3 pour cent va à l’éducation.

Comment un gouvernement qui déclare déjà ne pas avoir la capacité de financer l’enseignement secondaire peut-il envisager de payer pour deux années supplémentaires d’enseignement obligatoire ? Le travail de Riep montre précisément comment  cela peut être accompli en passant par le secteur privé. Bien que le Président philippin Benigno S. Aquino III prétende que deux années d’enseignement supplémentaires sont nécessaires pour préparer davantage de jeunes aux emplois de haut niveau, il suffit d’observer, d’un autre côté, le nombre d’employeurs liés au réseau des sociétés du groupe Ayala.
Un consensus international soutient que l’éducation à vocation commerciale n’est pas une solution.  L’un des principaux Objectifs pour le développement durable définis par l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre veut que « […] toutes les filles et tous les garçons suivent, sur un pied d’égalité, un cycle complet d’enseignement primaire et secondaire gratuit et de qualité […] ». Mais au lieu de pouvoir bénéficier d’une éducation gratuite et de qualité, la jeunesse philippine se voit contrainte d’ouvrir le portefeuille pour accéder à la formule d’éducation la moins chère. L’éducation à bas prix est tarifée à un prix que ni les Philippines, ni les jeunes, ni les générations futures ne peuvent se permettre de payer. Il est grand temps que le gouvernement philippin revienne à la raison.

Fred van Leeuwen
Secrétaire général, Internationale de l’Éducation