L’Education, creuset de l’émancipation

Il y a toujours beaucoup de richesses et d’intelligence dans les réflexions de Dominique Schnapper (sociologue et politologue, directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, EHESS). Aussi lorsqu’elle exprime son analyse sur la transmission des valeurs par l’Ecole, il va de soi que ces propos méritent d’être pris en compte et relayés (article « L’école, vecteur des valeurs de la République », paru dans Le Monde le 28.11.2014).

D’autant que nous ne pouvons que partager le début de son texte, lorsqu’elle écrit :

« La République se donne pour principe et pour valeur d’intégrer les hommes par la citoyenneté en dépassant toutes leurs diversités concrètes, en transcendant tous leurs particularismes. Elle entend faire vivre dans la même société politique des populations que distinguent, outre les âges et les sexes, les origines historiques, les croyances et les pratiques religieuses, les conditions sociales d’existence. Elle garantit à tous la liberté de rester fidèles à des collectivités historiques ou religieuses particulières dans l’espace privé, en leur assurant la liberté et l’égalité des droits civils, juridiques et politiques dans l’espace public. Il va de soi que ce principe ne peut être appliqué tel quel, mais il constitue une idée régulatrice.

Reste qu’affirmer le fondement de la citoyenneté ne suffit pas à constituer une communauté de citoyens. Il faut que, par l’action continue d’institutions, au sens large du terme, puissent se transmettre les manières d’être et de vivre ensemble qui caractérisent une collectivité historique et politique particulière.

C’est pourquoi l’école commune à tous est l’institution de la République par excellence. L’école n’est pas seulement chargée de préparer les enfants à exercer une activité professionnelle, elle doit former des citoyens qui partagent une culture commune, une même ambition politique fondée sur les mêmes valeurs. A l’image de la société politique, elle constitue un espace fictif, dans lequel les élèves, comme les citoyens, sont traités de manière égale, indépendamment de leurs caractéristiques familiales et sociales. L’ordre de l’école est, comme celui de la citoyenneté, impersonnel et formel. Il doit former l’enfant à comprendre et à maîtriser l’impersonnalité de la société politique. C’est par l’école que peuvent se transmettre les valeurs, les connaissances et les pratiques qui permettent à des individus divers et inégaux de vivre ensemble − ce qui ne veut pas dire seulement cohabiter sans violence, mais échanger entre eux pour élaborer ensemble une vie commune dans laquelle chacun se sente reconnu. »

La chercheure interroge justement lorsqu’elle constate que « l’enfant démocratique porte très tôt d’autres aspirations. La situation pédagogique est en tant que telle asymétrique – elle distingue ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, les adultes et les enfants − et cette asymétrie pose un défi à l’ethos démocratique. »

Par contre, la déduction qu’elle en propose demande –à tout le moins- d’être discuté, voire contesté.

En effet, Dominique Schnapper, dénonce « un univers sans contrôle social » dans lequel « la médiatisation, l’immédiateté et la spectacularisation tendent à favoriser l’événement, l’immédiat, le surprenant, l’émotionnel, l’excessif et le scandaleux, plutôt que l’analyse de fond ou de structure, le nuancé, le distancé, le relatif, le contrôlé, le rationnel, en un mot, la vérité. Les analyses nuancées, la prise de distance d’avec l’émotion du moment au nom de la raison ennuient, alors que la transgression fascine. Et, comme tout le monde se donne le droit de transgresser les limites, la transgression doit toujours aller plus loin, être toujours plus transgressive », le tout renforcé par « un nouvel élan pris avec les nouvelles technologies ».

Certes, la « question de la transmission » questionne fortement l’école et son fonctionnement. Si « transmettre implique que certains veuillent léguer, fût-ce en la réinterprétant, une culture héritée, et que d’autres veuillent entendre ce qui vient du passé, qu’ils aient la volonté de s’inscrire dans un processus qui dépasse leur expérience immédiate », cela suppose aussi une démarche active et constructive. Au-delà de la crise éducative, c’est une crise de la culture que nous vivons. L’incapacité actuelle à construire une culture partagée, de permettre à chacun de s’y reconnaître en participant à son élaboration, conduit aux replis communautaires et à l’exaltation des identités particulières (fussent-elles imaginaires).

Or, dans une approche de culture pour tous (et non d’une culture commune qui ne serait que l’imposition à tous d’une culture dominante), l’Ecole, plus globalement l’Education ont une mission d’importance : non seulement celle de permettre « l’épanouissement de l’élève », mais surtout de leur garantir la capacité d’une émancipation, condition indispensable à l’exercice de la citoyenneté.

 

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Il y a toujours beaucoup de richesses et d’intelligence dans les réflexions de Dominique Schnapper (sociologue et politologue, directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, EHESS). Aussi lorsqu’elle exprime son analyse sur la transmission des valeurs par l’Ecole, il va de soi que ces propos méritent d’être pris en compte et relayés (article « L’école, vecteur des valeurs de la République », paru dans Le Monde le 28.11.2014).

D’autant que nous ne pouvons que partager le début de son texte, lorsqu’elle écrit :

« La République se donne pour principe et pour valeur d’intégrer les hommes par la citoyenneté en dépassant toutes leurs diversités concrètes, en transcendant tous leurs particularismes. Elle entend faire vivre dans la même société politique des populations que distinguent, outre les âges et les sexes, les origines historiques, les croyances et les pratiques religieuses, les conditions sociales d’existence. Elle garantit à tous la liberté de rester fidèles à des collectivités historiques ou religieuses particulières dans l’espace privé, en leur assurant la liberté et l’égalité des droits civils, juridiques et politiques dans l’espace public. Il va de soi que ce principe ne peut être appliqué tel quel, mais il constitue une idée régulatrice.

Reste qu’affirmer le fondement de la citoyenneté ne suffit pas à constituer une communauté de citoyens. Il faut que, par l’action continue d’institutions, au sens large du terme, puissent se transmettre les manières d’être et de vivre ensemble qui caractérisent une collectivité historique et politique particulière.

C’est pourquoi l’école commune à tous est l’institution de la République par excellence. L’école n’est pas seulement chargée de préparer les enfants à exercer une activité professionnelle, elle doit former des citoyens qui partagent une culture commune, une même ambition politique fondée sur les mêmes valeurs. A l’image de la société politique, elle constitue un espace fictif, dans lequel les élèves, comme les citoyens, sont traités de manière égale, indépendamment de leurs caractéristiques familiales et sociales. L’ordre de l’école est, comme celui de la citoyenneté, impersonnel et formel. Il doit former l’enfant à comprendre et à maîtriser l’impersonnalité de la société politique. C’est par l’école que peuvent se transmettre les valeurs, les connaissances et les pratiques qui permettent à des individus divers et inégaux de vivre ensemble − ce qui ne veut pas dire seulement cohabiter sans violence, mais échanger entre eux pour élaborer ensemble une vie commune dans laquelle chacun se sente reconnu. »

La chercheure interroge justement lorsqu’elle constate que « l’enfant démocratique porte très tôt d’autres aspirations. La situation pédagogique est en tant que telle asymétrique – elle distingue ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, les adultes et les enfants − et cette asymétrie pose un défi à l’ethos démocratique. »

Par contre, la déduction qu’elle en propose demande –à tout le moins- d’être discuté, voire contesté.

En effet, Dominique Schnapper, dénonce « un univers sans contrôle social » dans lequel « la médiatisation, l’immédiateté et la spectacularisation tendent à favoriser l’événement, l’immédiat, le surprenant, l’émotionnel, l’excessif et le scandaleux, plutôt que l’analyse de fond ou de structure, le nuancé, le distancé, le relatif, le contrôlé, le rationnel, en un mot, la vérité. Les analyses nuancées, la prise de distance d’avec l’émotion du moment au nom de la raison ennuient, alors que la transgression fascine. Et, comme tout le monde se donne le droit de transgresser les limites, la transgression doit toujours aller plus loin, être toujours plus transgressive », le tout renforcé par « un nouvel élan pris avec les nouvelles technologies ».

Certes, la « question de la transmission » questionne fortement l’école et son fonctionnement. Si « transmettre implique que certains veuillent léguer, fût-ce en la réinterprétant, une culture héritée, et que d’autres veuillent entendre ce qui vient du passé, qu’ils aient la volonté de s’inscrire dans un processus qui dépasse leur expérience immédiate », cela suppose aussi une démarche active et constructive. Au-delà de la crise éducative, c’est une crise de la culture que nous vivons. L’incapacité actuelle à construire une culture partagée, de permettre à chacun de s’y reconnaître en participant à son élaboration, conduit aux replis communautaires et à l’exaltation des identités particulières (fussent-elles imaginaires).

Or, dans une approche de culture pour tous (et non d’une culture commune qui ne serait que l’imposition à tous d’une culture dominante), l’Ecole, plus globalement l’Education ont une mission d’importance : non seulement celle de permettre « l’épanouissement de l’élève », mais surtout de leur garantir la capacité d’une émancipation, condition indispensable à l’exercice de la citoyenneté.