Lecture simpliste

Il n’y a parfois qu’un pas entre une explication simple et une approche simpliste, une volonté de vulgariser et une vulgaire caricature, une information et de la manipulation. Ce pas, le 20 heures de France 2 l’a allégrement franchi dans un reportage sur l’apprentissage de la lecture, dont l’accroche annonçait que sur ce sujet, la science avait tranché.

Il n’y a parfois qu’un pas entre une explication simple et une approche simpliste, une volonté de vulgariser et une vulgaire caricature, une information et de la manipulation. Ce pas, le 20 heures de France 2 l’a allégrement franchi dans un reportage sur l’apprentissage de la lecture, dont l’accroche annonçait que sur ce sujet, la science avait tranché.

Tranché quoi ? Ce fameux et persistant débat entre méthode globale (et semi-globale) et méthode syllabique. Cette dernière –selon le reportage l’emportant haut la main, preuves scientifiques à l’appui. Tout d’abord les neurosciences et l’imagerie médicale mettent en évidence les stimulations des zones du cerveau. Ensuite, un sociologue armé de tests et de chiffres lui permettent d’affirmer que c’est même un gain de 20% que la bonne vieille méthode du b + a = ba provoquerait par rapport à sa présumée concurrente.
En cette période de rentrée, alors que se profilent de nombreuses réunions dans les écoles, voici les parents d’enfants de CP armés pour aller affronter l’enseignant et l’interroger sur la méthode de lecture qu’il utilise… Et attention s’il évoque une démarche mixte. C’est du syllabique qu’il faut. Ils l’ont dit à la télé. Ils ont même ajouté que malgré ces résultats scientifiques connus, le ministère de l’Éducation nationale ne faisait rien -sous-entendu n’imposait pas la méthode efficace. Quel scandale !

S’il y a scandale, il est dans le raccourci d’une telle présentation qui conduit à la tromperie du public que les médias –et encore plus, ceux du service public sont censés informer.

Car avant tout, il aurait fallu s’interroger sur ce que lire veux dire. S’agit-il de déchiffrer, comme le solfège permet de donner le nom des notes inscrites sur une portée ? Alors effectivement, à un moment ou un autre, il sera indispensable de mettre en place cette opération nommée combinatoire et qui rend possible le passage des lettres aux sons, même –pour faire davantage savant des graphèmes aux phonèmes, donc –pour faire plus simple au b + a = ba.

Mais s’il s’agit de faire du sens, de comprendre ce qui est écrit, voire même d’y mettre du sentiment, donc d’interpréter le texte à la manière du musicien qui joue sa partition, alors, il faudra au lecteur bien plus qu’une capacité à déchiffrer.

Cet apprentissage complexe d’une lecture aisée, rapide, comprise, interprétative relève d’une alchimie dont les scanner et autres IRM ne peuvent rendre compte. Comment en effet mesurer l’envie de lire ? Comment mettre en pourcentage l’influence de l’enseignant, de sa personnalité, de son approche, de sa pédagogie…(ce qu’on appelle « l’effet maître ») ? Comment scanner l’impact des autres, de l’environnement familial, social, culturel ? Comment représenter statistiquement la poésie, l’imaginaire, le plaisir ? Comment rendre compte du vocabulaire connu, des syntaxes maitrisées, des expressions comprises ?


Dans ses écrits, Stanislas Dehaene, neuroscientifique dont les travaux sont à l’origine de cette mise en évidence du fonctionnement du cerveau lors de l’apprentissage de la lecture, reconnait la complexité de ces opérations et les multiples facteurs qui entrent en ligne de compte. Mais ce n’est pas les quelques secondes de son témoignage dans le reportage qui ont permis d’appréhender l’ensemble de ces éléments. Les journalistes coupables d’une telle simplification auront certainement fait une mauvaise lecture de ses textes. Non pas une lecture globale (car comme tous lecteurs expérimentés, nous photographions les mots et syllabes connus et ne recourrons que très rarement à du déchiffrage), mais une lecture orientée, sélective, ne retenant que les arguments servant leurs propos.

Étrange conception de l’information. Démarche peu professionnelle. Une exception ? Il faut le souhaiter. Elle rime avec déception. Avec cette fameuse syllabe « ption » que savait si bien déchiffrer l’enfant de 8 ans mise en scène dans le reportage.

Trop simple ?

Surtout, trop simpliste !

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Il n’y a parfois qu’un pas entre une explication simple et une approche simpliste, une volonté de vulgariser et une vulgaire caricature, une information et de la manipulation. Ce pas, le 20 heures de France 2 l’a allégrement franchi dans un reportage sur l’apprentissage de la lecture, dont l’accroche annonçait que sur ce sujet, la science avait tranché.

Tranché quoi ? Ce fameux et persistant débat entre méthode globale (et semi-globale) et méthode syllabique. Cette dernière –selon le reportage l’emportant haut la main, preuves scientifiques à l’appui. Tout d’abord les neurosciences et l’imagerie médicale mettent en évidence les stimulations des zones du cerveau. Ensuite, un sociologue armé de tests et de chiffres lui permettent d’affirmer que c’est même un gain de 20% que la bonne vieille méthode du b + a = ba provoquerait par rapport à sa présumée concurrente.
En cette période de rentrée, alors que se profilent de nombreuses réunions dans les écoles, voici les parents d’enfants de CP armés pour aller affronter l’enseignant et l’interroger sur la méthode de lecture qu’il utilise… Et attention s’il évoque une démarche mixte. C’est du syllabique qu’il faut. Ils l’ont dit à la télé. Ils ont même ajouté que malgré ces résultats scientifiques connus, le ministère de l’Éducation nationale ne faisait rien -sous-entendu n’imposait pas la méthode efficace. Quel scandale !

S’il y a scandale, il est dans le raccourci d’une telle présentation qui conduit à la tromperie du public que les médias –et encore plus, ceux du service public sont censés informer.

Car avant tout, il aurait fallu s’interroger sur ce que lire veux dire. S’agit-il de déchiffrer, comme le solfège permet de donner le nom des notes inscrites sur une portée ? Alors effectivement, à un moment ou un autre, il sera indispensable de mettre en place cette opération nommée combinatoire et qui rend possible le passage des lettres aux sons, même –pour faire davantage savant des graphèmes aux phonèmes, donc –pour faire plus simple au b + a = ba.

Mais s’il s’agit de faire du sens, de comprendre ce qui est écrit, voire même d’y mettre du sentiment, donc d’interpréter le texte à la manière du musicien qui joue sa partition, alors, il faudra au lecteur bien plus qu’une capacité à déchiffrer.

Cet apprentissage complexe d’une lecture aisée, rapide, comprise, interprétative relève d’une alchimie dont les scanner et autres IRM ne peuvent rendre compte. Comment en effet mesurer l’envie de lire ? Comment mettre en pourcentage l’influence de l’enseignant, de sa personnalité, de son approche, de sa pédagogie…(ce qu’on appelle « l’effet maître ») ? Comment scanner l’impact des autres, de l’environnement familial, social, culturel ? Comment représenter statistiquement la poésie, l’imaginaire, le plaisir ? Comment rendre compte du vocabulaire connu, des syntaxes maitrisées, des expressions comprises ?


Dans ses écrits, Stanislas Dehaene, neuroscientifique dont les travaux sont à l’origine de cette mise en évidence du fonctionnement du cerveau lors de l’apprentissage de la lecture, reconnait la complexité de ces opérations et les multiples facteurs qui entrent en ligne de compte. Mais ce n’est pas les quelques secondes de son témoignage dans le reportage qui ont permis d’appréhender l’ensemble de ces éléments. Les journalistes coupables d’une telle simplification auront certainement fait une mauvaise lecture de ses textes. Non pas une lecture globale (car comme tous lecteurs expérimentés, nous photographions les mots et syllabes connus et ne recourrons que très rarement à du déchiffrage), mais une lecture orientée, sélective, ne retenant que les arguments servant leurs propos.

Étrange conception de l’information. Démarche peu professionnelle. Une exception ? Il faut le souhaiter. Elle rime avec déception. Avec cette fameuse syllabe « ption » que savait si bien déchiffrer l’enfant de 8 ans mise en scène dans le reportage.

Trop simple ?

Surtout, trop simpliste !