Jean Luc Berthier, co-auteur de « Les neurosciences cognitives dans la classe »
Le concept de Cogni’classes est porté par un collectif d’experts en éducation, professeurs, formateurs, soutenus par des spécialistes universitaires et institutionnels. Leur but est de mettre à portée de connaissance d’un grand nombre d’équipes enseignantes les apports des neurosciences cognitives, afin d’en appliquer les principes au service de la pédagogie. Que l’apprentissage soit efficace, attractif et moins discriminant pour chacun.e des élèves. L’enjeu est donc un enjeu de formation, d’appropriation pour viser un large rayonnement de nouvelles modalités de pratiques de classes.
Les pistes pédagogiques retenues reposent le plus souvent sur : mémorisation, compréhension, attention, implication active et évaluation. Il est préconisé de s’engager plutôt en équipe que seul, car ce sera plus facile d’expliquer ces changements auprès des parents, des élèves, de l’encadrement si c’est à plusieurs. Un pilote se charge du projet et enrôle ses pairs. Le site sciences-cognitives.fr est conçu pour accompagner en formation vidéo, documents et outils pour professionnels et élèves. Le livre publié récemment est également un outil pratique pour qui voudrait se lancer.
Question d’Educ a posé trois questions à Jean-Luc Berthier, co-auteur de cet ouvrage.
Comment tout cela a-t-il commencé ?
La genèse de l’organisation « Apprendre et Former avec les sciences cognitives », animée par une quarantaine d’acteurs de l’éducation – professeurs expérimentateurs et formateurs, chercheurs, personnels d’encadrement, experts – a démarré lorsque j’occupais la fonction de responsable de la formation des personnels de direction à l’Ecole supérieure de l’EN devenue depuis l’IHEEF.
J’ai eu l’opportunité de travailler avec des spécialistes de la psychologie cognitive de l’apprentissage. Mon expérience antérieure de chef d’établissement en zone difficile aidant, j’ai été convaincu de la nécessité d’introduire, en les rendant concrèts dans la classe, opérationnels et cohérents, des éléments issus de la connaissance sur le cerveau de l’apprenant.
Depuis, nous avons mis en place des centaines de cogni’classes, pilotés par des milliers d’enseignants, qui s’approprient des modalités, pas toujours nouvelles mais en tous cas revisitées, sur les thèmes que vous avez cités : mémoire, attention, compréhension, implication, évaluation et numérique adapté.
Comment vous situez-vous dans le débat actuel sur les neurosciences à l’école, les craintes ou oppositions qu’elles suscitent ?
Permettez-moi de rectifier, il ne s’agit pas de neurosciences, qui n’est qu’un domaine des sciences cognitives, relatif à l’exploration du cerveau par des investigations du type neuro-imagerie. Mais bien de neurosciences cognitives, l’adjectif est important, s’appuyant soit sur les neurosciences, soit sur la psychologie cognitive plus traditionnelle. Le débat actuel qui fait tension entre neurosciences et sciences de l’éducation, résulte selon nous en partie, de méconnaissances réciproques, qui devraient s’estomper.
L’idée clé est de travailler sur des données scientifiquement validées. En chassant tout neuromythe, fausse croyance et biais cognitif, qui conduisent à des pratiques mal fondées. Par exemple une meilleure manière de gérer les systèmes de mémoire, sur les mécanismes de l’implication active en prenant de la distance avec le mode inefficace de la transmission, en connaissant mieux l’impact du sommeil, prévu par la nature pour apprendre, ou encore sur la nécessité de développer les capacités attentionnelles. Les exemples sont nombreux.
En quoi votre dispositif Cogni’classe peut-il concerner l’ensemble d’une équipe éducative dans la pluralité des métiers de l’éducation ?
L’une des originalités de notre action, qui nous place en interlocuteur privilégié des responsables du ministère ou du milieu de la recherche, repose en partie sur le fait que nous croyons à l’interaction de trois axes. Le premier est évidemment la recherche d’une meilleure réussite scolaire des élèves, et plus généralement du climat scolaire.
Le second est une réflexion sur les postures de l’enseignant. On ne peut s’approprier des modalités nouvelles qu’en expérimentant, en doutant, y compris avec les élèves, en jouant le jeu de l’inter-formation entre collègues. Les enseignants nous le disent, à travers ces expérimentations, leur métier a changé. Ils retrouvent un sursaut professionnel.
Enfin par l’implication forte et incontournable des équipes d’encadrement. Le constat est net : pas de projet porteur et d’engagement fort des enseignants, sans le concours de la direction, leur connaissance des enjeux, des possibles et des limites. Sans l’accompagnement, la mise en place de conditions d’équipe, d’espace, de moyens. Sans le rayonnement du projet au sein de l’établissement devenu apprenant. D’où l’énorme travail que nous effectuons lors des rencontres professionnelles avec ces personnels.
Pour conclure, les ingrédients de cette réussite sont la sensibilisation, la formation, beaucoup d’ouverture d’esprit, et la conviction qu’il ne s’agit aucunement d’une révolution, mais bien d’une évolution basée sur des connaissances validées sur le cerveau. Et toujours, du concret, de l’application dans la classe.
Les neurosciences cognitives dans la classe, ESF Editeur