Innovez, innovez, il en restera toujours quelque chose

Je pensais mon titre original. Il n’en est rien. La revue Sciences Humaines (entre autres) l’utilisa en février 2001 pour un de ses articles. Mais puisqu’il s’agit du même sujet, ou presque, c’est décidé, je le garde.

A l’époque, en effet, l’actualité était de commenter les réformes de Jack Lang alors nouveau ministre de l’Education nationale, dont la mise en place d’un Conseil national de l’innovation pour la réussite scolaire, « chargé de soutenir et de diffuser les pratiques innovantes identifiées sur le terrain, en organisant un débat le plus ouvert possible avec les responsables du système éducatif, des chercheurs, des représentants des mouvements pédagogiques et des experts étrangers ». Or, ces 28 et 29 mars 2017 sont les journées de l’innovation pour ce même ministère de l’Education nationale.

En 16 ans bien des choses ont changées. Oui. Mais finalement pas tant que cela.

L’innovation existe, comme elle a toujours existé. Souvent avec beaucoup de difficultés pour être reconnue. Encore plus pour être valorisée, diffusée, partagée, mutualisée…

Devoir consacrer une ou deux journées annuellement à l’innovation par une manifestation institutionnelle montre combien cette approche demeure marginale.

« Par rapport à la reproduction à l’identique, phénomène normal, la création innovatrice est un phénomène déviant, marginal, rare », écrit Edgar Morin dans son dernier ouvrage (Connaissance, ignorance, mystère). Il prolonge sa réflexion en affirmant que la vie est un permanent recommencement, « un recommencement du même, une reproduction à l’identique, qui, à certains moments décisifs, d’origine extérieure ou/et intérieure se modifie ou se transforme. L’union dialogique d’un principe d’invariance et d’un principe de transformation est le caractère essentiel de la vie ». Il parle là de la vie biologique. Mais il ajoute plus loin que « les sociétés humaines sont des êtres vivants dotées d’auto-éco-organisation. Ce sont à la fois des machines physiques, des machines vivantes, des machines sociales ». Nul doute que notre organisation éducative répond à cette définition.

Vraisemblablement la nécessité de transformation, et donc d’innovation, relève-t-elle pour le domaine éducatif, et davantage encore pour le système scolaire, d’une double pression. Intérieure, parce que nombreux sont les acteurs éducatifs qui, investis dans leur mission, souhaite expérimenter des outils et des démarches toujours plus performants. Extérieure, parce que face aux dysfonctionnements, la société attend de son Ecole, de son « appareil éducatif » qu’il se réforme et évolue. « Une évolution créatrice » disait Bergson, « une créativité évolutive » complète Morin.

De nouveaux apports viennent également bousculer le monde de l’Education. De manière endogène et exogène. Je n’en citerai que deux : le numérique et les neurosciences.

Tous deux ne relèvent pas directement de ce que l’on peut appeler les « sciences de l’Education ». Numérique et neurosciences se sont développées -et continuent à le faire- dans des domaines très divers et loin souvent des questions d’Education. Pourtant, beaucoup ont intégré que leur développement pouvait relever également d’enjeux éducatifs.

De manière extérieure, la société numérique impose d’autres rapports aux savoirs, d’autres modes de communications et d’interaction, d’autres relations à soi et aux autres. Il s’agit donc de s’y préparer, d’en faire un apprentissage, de s’y éduquer. Mais de manière interne, les pédagogues y voient également de nouvelles manières de transmettre, de s’approprier des connaissances, de maitriser des compétences.  Il ne s’agit nullement de ne pas prendre en compte les limites ou les dangers potentiels de certains usages du numérique, encore moins d’y voir le remède à tous les maux ou le futur remplacement des enseignants et éducateurs par des machines. Mais juste de reconnaitre leurs apports dans un système appelé à évoluer. Ainsi dans une interaction systémique, l’évolution du numérique dans la société conduit à innover dans les pratiques pédagogique et ces innovations basées sur l’usage du numérique contribue à la transformation de la société.

Plus récentes, plus polémiques aussi et actuellement très médiatisées, les découvertes des neurosciences conduisent à cette même double logique. La meilleure connaissance des mécanismes de fonctionnement du cerveau invite à les prendre davantage en compte dans les démarches d’apprentissage. C’est la pression exogène, dont Stanislas Dehaene, professeur de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France, est l’archétype. Mais également, de manière endogène, des enseignants tentent de traduire les apports de la science dans l’action pédagogique quotidienne. C’est la revendication de Céline Alvarez (Les lois naturelles de l’enfants) ou de Eric Gaspar (Explose ton score au collège). Mieux prendre en compte le fonctionnement du cerveau améliorerait les démarches d’apprentissage et un apprentissage plus performant développerait de nouvelles possibilités cérébrales : le cerveau ayant cette capacité plastique à apprendre et à évoluer.

Dans les deux cas, il n’y a aucun automatisme, ni aucune solution miracle. Rien ne remplace la démarche des éducateurs. Apprendre est avant tout question de relation. Pour autant, rien ne justifie de se priver d’une réflexion, de connaissances nouvelles, de pistes de recherche. Numérique et neurosciences peuvent apporter à l’action pédagogique. Simplement parfois en confirmant des intuitions professionnelles. En amplifiant des procédures déjà mise en œuvre empiriquement. En mettant des mots et des explications sur des pratiques. Parfois aussi en apportant des éléments de réponses, des solutions nouvelles, des approches impensées jusque-là.

C’est le but de l’innovation, de la création. « Etre un moteur décisif de la buissonnante et luxuriante évolution […] de la vie » dit Edgar Morin. Aussi, c’est parce que l’Education est une matière vivante qu’il faut inciter chaque acteur éducatif à être un innovateur, un créateur au quotidien. De ce qu’il sèmera aujourd’hui, poussera et fleurira l’Education de demain.

 

Denis Adam, le 29 mars 2017
 

 

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Je pensais mon titre original. Il n’en est rien. La revue Sciences Humaines (entre autres) l’utilisa en février 2001 pour un de ses articles. Mais puisqu’il s’agit du même sujet, ou presque, c’est décidé, je le garde.

A l’époque, en effet, l’actualité était de commenter les réformes de Jack Lang alors nouveau ministre de l’Education nationale, dont la mise en place d’un Conseil national de l’innovation pour la réussite scolaire, « chargé de soutenir et de diffuser les pratiques innovantes identifiées sur le terrain, en organisant un débat le plus ouvert possible avec les responsables du système éducatif, des chercheurs, des représentants des mouvements pédagogiques et des experts étrangers ». Or, ces 28 et 29 mars 2017 sont les journées de l’innovation pour ce même ministère de l’Education nationale.

En 16 ans bien des choses ont changées. Oui. Mais finalement pas tant que cela.

L’innovation existe, comme elle a toujours existé. Souvent avec beaucoup de difficultés pour être reconnue. Encore plus pour être valorisée, diffusée, partagée, mutualisée…

Devoir consacrer une ou deux journées annuellement à l’innovation par une manifestation institutionnelle montre combien cette approche demeure marginale.

« Par rapport à la reproduction à l’identique, phénomène normal, la création innovatrice est un phénomène déviant, marginal, rare », écrit Edgar Morin dans son dernier ouvrage (Connaissance, ignorance, mystère). Il prolonge sa réflexion en affirmant que la vie est un permanent recommencement, « un recommencement du même, une reproduction à l’identique, qui, à certains moments décisifs, d’origine extérieure ou/et intérieure se modifie ou se transforme. L’union dialogique d’un principe d’invariance et d’un principe de transformation est le caractère essentiel de la vie ». Il parle là de la vie biologique. Mais il ajoute plus loin que « les sociétés humaines sont des êtres vivants dotées d’auto-éco-organisation. Ce sont à la fois des machines physiques, des machines vivantes, des machines sociales ». Nul doute que notre organisation éducative répond à cette définition.

Vraisemblablement la nécessité de transformation, et donc d’innovation, relève-t-elle pour le domaine éducatif, et davantage encore pour le système scolaire, d’une double pression. Intérieure, parce que nombreux sont les acteurs éducatifs qui, investis dans leur mission, souhaite expérimenter des outils et des démarches toujours plus performants. Extérieure, parce que face aux dysfonctionnements, la société attend de son Ecole, de son « appareil éducatif » qu’il se réforme et évolue. « Une évolution créatrice » disait Bergson, « une créativité évolutive » complète Morin.

De nouveaux apports viennent également bousculer le monde de l’Education. De manière endogène et exogène. Je n’en citerai que deux : le numérique et les neurosciences.

Tous deux ne relèvent pas directement de ce que l’on peut appeler les « sciences de l’Education ». Numérique et neurosciences se sont développées -et continuent à le faire- dans des domaines très divers et loin souvent des questions d’Education. Pourtant, beaucoup ont intégré que leur développement pouvait relever également d’enjeux éducatifs.

De manière extérieure, la société numérique impose d’autres rapports aux savoirs, d’autres modes de communications et d’interaction, d’autres relations à soi et aux autres. Il s’agit donc de s’y préparer, d’en faire un apprentissage, de s’y éduquer. Mais de manière interne, les pédagogues y voient également de nouvelles manières de transmettre, de s’approprier des connaissances, de maitriser des compétences.  Il ne s’agit nullement de ne pas prendre en compte les limites ou les dangers potentiels de certains usages du numérique, encore moins d’y voir le remède à tous les maux ou le futur remplacement des enseignants et éducateurs par des machines. Mais juste de reconnaitre leurs apports dans un système appelé à évoluer. Ainsi dans une interaction systémique, l’évolution du numérique dans la société conduit à innover dans les pratiques pédagogique et ces innovations basées sur l’usage du numérique contribue à la transformation de la société.

Plus récentes, plus polémiques aussi et actuellement très médiatisées, les découvertes des neurosciences conduisent à cette même double logique. La meilleure connaissance des mécanismes de fonctionnement du cerveau invite à les prendre davantage en compte dans les démarches d’apprentissage. C’est la pression exogène, dont Stanislas Dehaene, professeur de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France, est l’archétype. Mais également, de manière endogène, des enseignants tentent de traduire les apports de la science dans l’action pédagogique quotidienne. C’est la revendication de Céline Alvarez (Les lois naturelles de l’enfants) ou de Eric Gaspar (Explose ton score au collège). Mieux prendre en compte le fonctionnement du cerveau améliorerait les démarches d’apprentissage et un apprentissage plus performant développerait de nouvelles possibilités cérébrales : le cerveau ayant cette capacité plastique à apprendre et à évoluer.

Dans les deux cas, il n’y a aucun automatisme, ni aucune solution miracle. Rien ne remplace la démarche des éducateurs. Apprendre est avant tout question de relation. Pour autant, rien ne justifie de se priver d’une réflexion, de connaissances nouvelles, de pistes de recherche. Numérique et neurosciences peuvent apporter à l’action pédagogique. Simplement parfois en confirmant des intuitions professionnelles. En amplifiant des procédures déjà mise en œuvre empiriquement. En mettant des mots et des explications sur des pratiques. Parfois aussi en apportant des éléments de réponses, des solutions nouvelles, des approches impensées jusque-là.

C’est le but de l’innovation, de la création. « Etre un moteur décisif de la buissonnante et luxuriante évolution […] de la vie » dit Edgar Morin. Aussi, c’est parce que l’Education est une matière vivante qu’il faut inciter chaque acteur éducatif à être un innovateur, un créateur au quotidien. De ce qu’il sèmera aujourd’hui, poussera et fleurira l’Education de demain.

 

Denis Adam, le 29 mars 2017