«Fonctionnaires bashing»: abominable barbarisme, irresponsable démagogie

On ferait mieux de se passer du «fonctionnaires bashing». D'abord le mot, parce que cette construction langagière est un hybride franco-anglais (même pas franglais) qu'on peut qualifier de tératologique. Le dénigrement ou l'éreintement des fonctionnaires conviendrait mieux... pour le langage. Mais c'est aussi sur le fond qu'on pourrait en faire l'économie (plutôt que de faire des économies sur le dos des fonctionnaires). Autrement dit, c'est un article de décrypage que nous vous proposons ici.

À ces mots, on cria haro sur le baudet.
Jean de La Fontaine, «les animaux malades de la peste»

On ferait mieux de se passer du «fonctionnaires bashing». D’abord le mot, parce que cette construction langagière est un hybride franco-anglais (même pas franglais) qu’on peut qualifier de tératologique. Le dénigrement ou l’éreintement des fonctionnaires conviendrait mieux… pour le langage. Mais c’est aussi sur le fond qu’on pourrait en faire l’économie (plutôt que de faire des économies sur le dos des fonctionnaires). Autrement dit, c’est un article de décrypage que nous vous proposons ici.

Tout commence par un barbarisme à la mode: le «fonctionnaires bashing». Barbarisme parce que bashing a été, par facilité, directement repris par calque de l’anglais to bash (au sens propre, frapper, battre, corriger quelqu’un: au sens figuré, le dénigrer)… et surtout parce que fonctionnaire ne se dit pas fonctionnaire en anglais mais civil servant — pour autant que les définitions se superposent, ce qui est loin d’être le cas.

Là où l’anglais préfère le gérondif (bashing = dénigrant), le français utilise le nom (dénigrement). L’anglais présente l’acte s’accomplissant (gérondif) quand le français nomme et catégorise. Mais le fond reste bien le même: s’attaquer à la réputation de quelqu’un ou de quelque chose.

Si l’on s’en tient au verbe, la liste des synonymes de dénigrer que nous offre le précieux Trésor de la langue française (précieux outil créé et mis à disposition par le service public de l’Enseignement supérieur et de la Recherche) est édifiante (nous n’en gardons que les éléments significatifs dans le cas qui nous intéresse: discréditer, médire, vilipender, diffamer, déprécier, calomnier, décrier, critiquer, débiner, sous-estimer, attaquer, baver, noircir, rabaisser, salir, éreinter, déshonorer, déconsidérer, déblatérer, diminuer, bêcher, clabauder (d’aboyer fort, littéralement, à critiquer injustement), ravaler (au sens de rabaisser au niveau de…), détracter (comme détracteur), accuser, décréditer (enlever tout crédit!), dépriser (épris/dépris). Nous sortons du lots quelques verbes comme empoisonner, tympaniser, égorger — un tantinet excessif celui-là.

Si l’on considère le nom dénigrement, la liste est plus courte, mais significative: accusation, calomnie, médisance, critique, diffamation, détraction, débinage, attaque, charge, noircissement, éreintement qui rappelle la violence physique du terme d’origine et correspond à l’injustice de la situation (l’éreintement d’une œuvre par un critique acerbe).

C’est un sport national et historique, en France, que de s’en prendre aux fonctionnaires, à leur nombre excessif, à la charge qu’ils représentent pour la Nation en général et les contribuables en particulier, à leur statut (peu importe la situation des contractuels, d’ailleurs), à leurs retraites (en la comparant à la seule retraite de base de la Sécu en oubliant le poids — notamment pour les cadres — de la retraite complémentaire obligatoire)… j’en passe et des meilleures.

La question du jour de carence a reveillé des ardeurs fonctionnairophobes. Il s’est trouvé des parlementaires de l’ancienne majorité et nouvelle opposition pour prôner non pas son seul rétablissement mais son accroissement à trois jours non rémunérés en cas de congé maladie. Peu importe, pour l’occasion, que la certaines entreprises (et notamment les grandes) couvrent les jours de carence). Pour les éreinteurs de fonctionnaires, là n’est pas le sujet: leur verbe ne saurait se satisfaire de compléments versés ailleurs. Il faut faire démago, populiste, sommaire (c’est la table des mauvaises manières).

L’essentiel est de tirer à vue sur les fonctionnaires, sans s’occuper bien sûr des détails: aborder les métiers ou les missions (sécurité; contrôle sanitaire; éducation; santé publique…) affaiblirait le propos. Et, comme de bien entendu, il ne faut surtout pas des armes de précisions. On pratique alors le jet à l’ancienne d’approximations rapides (mais envoyées en masse à la volée), d’assertions non verifiées et de caricatures encrées au vitriol. L’outrance est naturellement recommandée comme en témoigne cette publication (2013) de Valeurs actuelles (mais taper sur les fonctionnaires fait vendre du papier ce qui, en bonne logique libérale, est tout bénéfice).

En ces temps difficiles avec un chômage élevé, il est facile à tout bateleur d’estrade d’affirmer péremptoirement: «Il y a trop de fonctionnaires. Les fonctionnaires coûtent trop cher. Le poids des fonctionnaires coule la France.» C’est la logique du bouc émissaire avec laquelle d’aucuns espèrent se construire… ou se reconstruire… une nouvelle popularité. D’autres ont l’occasion de manifester ainsi une attitude revancharde dans laquelle la grandeur de l’action publique et sa nécessité n’ont pas de place.

Le gel du point d’indice depuis 2010? Les ravages de la RGPP et la souffrance au travail qu’elle a générée? Le rôle des services publics (encore et quand même) dans le maintien de la cohésion sociale? L’importance des missions assumées par les fonctionnaires? Aucune importance.

Il s’agit d’être péremptoire, définitif, violent dans ce qui devient un concours de brutalité verbale, en attendant mieux. Et toujours en globalisant les fonctionnaires car, quand on dit «fonctionnaires», on vise implicitement dans l’opinion ceux de l’État (et donc les fonctionnaires qu’on paie douleureusement avec nos impôts), mais ceux qui parlent ou écrivent savent bien qu’ils incluent les agents des collectivités territoriales et de l’Hôpital public.

Cette logique est portée par quelques officines spécialisées dont les porte-parole, experts autoproclamés, sont complaisamment accueillis dans les médias. Mais c’est une logique folle parce que, au-delà des habituels illuminés du discours anti-fonctionnaires, elle conduit ses auteurs — quand bien même ils mesurent eux-mêmes le caractère excessif de leurs propos — à devoir, le moment venu, traduire dans les faits ce qui n’est que propos de café du commerce. Avec toutes les conséquences, en termes de cohésion sociale mais aussi de ruptures sociétales, que cela entraînerait.

D’où qu’il vienne, nous continuerons à combattre, à dénoncer, à décoder surtout les assertions des éreinteurs de fonctionnaires dont le propos est fondé sur le mépris de nos métiers, de nos qualifications, de nos missions, mais surtout le mépris de ce que nous sommes et que nous représentons: des femmes et des hommes qui assurent au quotidien l’exercice des missions de service public, qui sont bien les agents de l’action publique et qui en sont fiers.

Luc BENTZ


Dans ce travail de décryptage/décodage, nous rappelerons encore ici tout l’intérêt qu’on trouvera à la lecture du blog Penser-Compter / Fabriques et Usages des nombres que publie le chercheur Émilien Ruiz et qui, par sa richesse, sa précision mais aussi sa clarté d’expression même pour les non-spécialistes, se révèle des plus précieux.

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À ces mots, on cria haro sur le baudet.
Jean de La Fontaine, «les animaux malades de la peste»

On ferait mieux de se passer du «fonctionnaires bashing». D’abord le mot, parce que cette construction langagière est un hybride franco-anglais (même pas franglais) qu’on peut qualifier de tératologique. Le dénigrement ou l’éreintement des fonctionnaires conviendrait mieux… pour le langage. Mais c’est aussi sur le fond qu’on pourrait en faire l’économie (plutôt que de faire des économies sur le dos des fonctionnaires). Autrement dit, c’est un article de décrypage que nous vous proposons ici.

Tout commence par un barbarisme à la mode: le «fonctionnaires bashing». Barbarisme parce que bashing a été, par facilité, directement repris par calque de l’anglais to bash (au sens propre, frapper, battre, corriger quelqu’un: au sens figuré, le dénigrer)… et surtout parce que fonctionnaire ne se dit pas fonctionnaire en anglais mais civil servant — pour autant que les définitions se superposent, ce qui est loin d’être le cas.

Là où l’anglais préfère le gérondif (bashing = dénigrant), le français utilise le nom (dénigrement). L’anglais présente l’acte s’accomplissant (gérondif) quand le français nomme et catégorise. Mais le fond reste bien le même: s’attaquer à la réputation de quelqu’un ou de quelque chose.

Si l’on s’en tient au verbe, la liste des synonymes de dénigrer que nous offre le précieux Trésor de la langue française (précieux outil créé et mis à disposition par le service public de l’Enseignement supérieur et de la Recherche) est édifiante (nous n’en gardons que les éléments significatifs dans le cas qui nous intéresse: discréditer, médire, vilipender, diffamer, déprécier, calomnier, décrier, critiquer, débiner, sous-estimer, attaquer, baver, noircir, rabaisser, salir, éreinter, déshonorer, déconsidérer, déblatérer, diminuer, bêcher, clabauder (d’aboyer fort, littéralement, à critiquer injustement), ravaler (au sens de rabaisser au niveau de…), détracter (comme détracteur), accuser, décréditer (enlever tout crédit!), dépriser (épris/dépris). Nous sortons du lots quelques verbes comme empoisonner, tympaniser, égorger — un tantinet excessif celui-là.

Si l’on considère le nom dénigrement, la liste est plus courte, mais significative: accusation, calomnie, médisance, critique, diffamation, détraction, débinage, attaque, charge, noircissement, éreintement qui rappelle la violence physique du terme d’origine et correspond à l’injustice de la situation (l’éreintement d’une œuvre par un critique acerbe).

C’est un sport national et historique, en France, que de s’en prendre aux fonctionnaires, à leur nombre excessif, à la charge qu’ils représentent pour la Nation en général et les contribuables en particulier, à leur statut (peu importe la situation des contractuels, d’ailleurs), à leurs retraites (en la comparant à la seule retraite de base de la Sécu en oubliant le poids — notamment pour les cadres — de la retraite complémentaire obligatoire)… j’en passe et des meilleures.

La question du jour de carence a reveillé des ardeurs fonctionnairophobes. Il s’est trouvé des parlementaires de l’ancienne majorité et nouvelle opposition pour prôner non pas son seul rétablissement mais son accroissement à trois jours non rémunérés en cas de congé maladie. Peu importe, pour l’occasion, que la certaines entreprises (et notamment les grandes) couvrent les jours de carence). Pour les éreinteurs de fonctionnaires, là n’est pas le sujet: leur verbe ne saurait se satisfaire de compléments versés ailleurs. Il faut faire démago, populiste, sommaire (c’est la table des mauvaises manières).

L’essentiel est de tirer à vue sur les fonctionnaires, sans s’occuper bien sûr des détails: aborder les métiers ou les missions (sécurité; contrôle sanitaire; éducation; santé publique…) affaiblirait le propos. Et, comme de bien entendu, il ne faut surtout pas des armes de précisions. On pratique alors le jet à l’ancienne d’approximations rapides (mais envoyées en masse à la volée), d’assertions non verifiées et de caricatures encrées au vitriol. L’outrance est naturellement recommandée comme en témoigne cette publication (2013) de Valeurs actuelles (mais taper sur les fonctionnaires fait vendre du papier ce qui, en bonne logique libérale, est tout bénéfice).

En ces temps difficiles avec un chômage élevé, il est facile à tout bateleur d’estrade d’affirmer péremptoirement: «Il y a trop de fonctionnaires. Les fonctionnaires coûtent trop cher. Le poids des fonctionnaires coule la France.» C’est la logique du bouc émissaire avec laquelle d’aucuns espèrent se construire… ou se reconstruire… une nouvelle popularité. D’autres ont l’occasion de manifester ainsi une attitude revancharde dans laquelle la grandeur de l’action publique et sa nécessité n’ont pas de place.

Le gel du point d’indice depuis 2010? Les ravages de la RGPP et la souffrance au travail qu’elle a générée? Le rôle des services publics (encore et quand même) dans le maintien de la cohésion sociale? L’importance des missions assumées par les fonctionnaires? Aucune importance.

Il s’agit d’être péremptoire, définitif, violent dans ce qui devient un concours de brutalité verbale, en attendant mieux. Et toujours en globalisant les fonctionnaires car, quand on dit «fonctionnaires», on vise implicitement dans l’opinion ceux de l’État (et donc les fonctionnaires qu’on paie douleureusement avec nos impôts), mais ceux qui parlent ou écrivent savent bien qu’ils incluent les agents des collectivités territoriales et de l’Hôpital public.

Cette logique est portée par quelques officines spécialisées dont les porte-parole, experts autoproclamés, sont complaisamment accueillis dans les médias. Mais c’est une logique folle parce que, au-delà des habituels illuminés du discours anti-fonctionnaires, elle conduit ses auteurs — quand bien même ils mesurent eux-mêmes le caractère excessif de leurs propos — à devoir, le moment venu, traduire dans les faits ce qui n’est que propos de café du commerce. Avec toutes les conséquences, en termes de cohésion sociale mais aussi de ruptures sociétales, que cela entraînerait.

D’où qu’il vienne, nous continuerons à combattre, à dénoncer, à décoder surtout les assertions des éreinteurs de fonctionnaires dont le propos est fondé sur le mépris de nos métiers, de nos qualifications, de nos missions, mais surtout le mépris de ce que nous sommes et que nous représentons: des femmes et des hommes qui assurent au quotidien l’exercice des missions de service public, qui sont bien les agents de l’action publique et qui en sont fiers.

Luc BENTZ


Dans ce travail de décryptage/décodage, nous rappelerons encore ici tout l’intérêt qu’on trouvera à la lecture du blog Penser-Compter / Fabriques et Usages des nombres que publie le chercheur Émilien Ruiz et qui, par sa richesse, sa précision mais aussi sa clarté d’expression même pour les non-spécialistes, se révèle des plus précieux.