Fausses notes

J’ai entendu il y a quelques jours à la radio, un message publicitaire pour une banque (dont je tairai le nom) dont le contenu n’a pas manqué de me faire réagir.

J’ai entendu il y a quelques jours à la radio, un message publicitaire pour une banque (dont je tairai le nom) dont le contenu n’a pas manqué de me faire réagir.


En voici à peu de chose près le « pitch » comme disent les communicants :


Quelques notes de gamme au piano.


Et une voix qui annonce :
« Bien sûr, vous pouvez payer des cours de piano à votre fille. Mais pour lui assurer son avenir mieux faudrait souscrire… tel produit proposé par la banque »


Plusieurs fausses notes… et la voix reprend :
« Surtout s’il faudra encore du temps avant que votre fille entre au conservatoire… »

Humour, bien entendu, à quelques jours de la fête de la musique.


Mais que de clichés, de contre-vérités et -disons-le- de bêtises- en quelques secondes de pub.

Lui payer une éducation musicale aujourd’hui ou épargner pour son avenir. Telle est l’alternative posée. Avec bien entendu tout le mépris nécessaire pour ridiculiser la première solution : des cours de piano c’est cher, c’est inutile et (vu qu’elle n’est pas douée) ça ne la fera pas vivre plus tard.

Je suis suffisamment critique sur la manière dont est majoritairement organisée en France l’éducation musicale pour ne pas me parer ici du costume du défenseur des réseaux des écoles de musiques et conservatoires, de la pédagogie séparée du solfège et de l’instrument, ou pour venir au secours des professeurs de musique libéraux. Pour autant, un brin d’honnêteté et un minimum de réflexion imposent de réagir.
Oui, l’Éducation est un placement et a donc un coût, dont la rentabilité n’est pas mesurable immédiatement. N’en déplaise à certains banquiers, le taux de retour ne peut se calculer en pourcentage ni s’afficher sur la courbe d’un joli graphique.


Oui, l’Éducation est un pari sur l’avenir. Mais, il n’y a pas d’adéquation immédiate et exclusive entre l’Éducation reçue et le métier futur. Les cours de piano que reçoit cette fillette lui seront utiles non parce qu’elle deviendra une pianiste virtuose, mais parce que –s’ils sont bien fait- la créativité, le sens du rythme et de la mesure, la sensibilité, la lecture du code musical, la rigueur… qu’elle y apprendra et développera, seront autant de compétences mobilisables tant pour la réussite de sa vie professionnelle que pour son épanouissement personnel.


Et non, l’Éducation n’est pas uniquement une question de dons. Certes, mettre en valeur et permettre de développer encore davantage les potentialités de chaque enfant est une heureuse chose. Mais l’Éducation consiste aussi à favoriser l’apprentissage de ceux qui se sentent, se croient, se vivent comme plus éloignés de certains savoirs. C’est justement l’art de la pédagogie de construire des chemins, des méthodes, des approches qui rendent possibles les rencontres, les découvertes, les appropriations.


Enfin, non, l’Éducation n’est pas une compétition dont l’objectif ultime serait de monter sur la plus haute marche du podium. La réussite d’une éducation musicale ne s’évalue pas exclusivement par un premier prix de conservatoire. Une Éducation réussie n’est pas l’apanage des seuls « premiers de la classe ».


Bien entendu de nombreuses critiques peuvent être faites au système d’apprentissage de la musique qui a justement tendance à privilégier la seule voix de l’excellence et de l’élitisme. Pour autant, il existe de nombreuses alternatives, en particulier associatives, qui mettent la musique à la portée de chacune et chacun, tant dans leurs tarifs que dans leurs approches pédagogiques.


Et au-delà de la seule musique, au-delà du domaine artistique, c’est l’ensemble de l’approche éducative qui est ici en question. Or, certainement que, comme la guerre est trop grave pour être confiée à des militaires (comme l’affirmait Clémenceau), l’Éducation est trop importante pour être entre les mains de banquiers qui n’y connaissent rien.


Ajouterai-je que ce message s’inscrit dans une campagne plus large de la banque concernée et intitulée « Vous être utile ». On voit facilement comment l’utilitarisme transforme la notion de rendre service à celle d’être rentable à tout prix… Une sorte de toujours plus, de course sans fin à l’utilité, sans jamais dire vraiment ni à quoi, ni surtout en quoi, tout cela est utile.


En recherchant la publicité bancaire de la petite fille au piano, je ne l’ai plus retrouvée sur le site de la banque, ni réentendue sur les ondes… retirée ? Peut-être pour éviter d’autres fausses notes !

 

Denis ADAM, le 22 juin 2016

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J’ai entendu il y a quelques jours à la radio, un message publicitaire pour une banque (dont je tairai le nom) dont le contenu n’a pas manqué de me faire réagir.


En voici à peu de chose près le « pitch » comme disent les communicants :


Quelques notes de gamme au piano.


Et une voix qui annonce :
« Bien sûr, vous pouvez payer des cours de piano à votre fille. Mais pour lui assurer son avenir mieux faudrait souscrire… tel produit proposé par la banque »


Plusieurs fausses notes… et la voix reprend :
« Surtout s’il faudra encore du temps avant que votre fille entre au conservatoire… »

Humour, bien entendu, à quelques jours de la fête de la musique.


Mais que de clichés, de contre-vérités et -disons-le- de bêtises- en quelques secondes de pub.

Lui payer une éducation musicale aujourd’hui ou épargner pour son avenir. Telle est l’alternative posée. Avec bien entendu tout le mépris nécessaire pour ridiculiser la première solution : des cours de piano c’est cher, c’est inutile et (vu qu’elle n’est pas douée) ça ne la fera pas vivre plus tard.

Je suis suffisamment critique sur la manière dont est majoritairement organisée en France l’éducation musicale pour ne pas me parer ici du costume du défenseur des réseaux des écoles de musiques et conservatoires, de la pédagogie séparée du solfège et de l’instrument, ou pour venir au secours des professeurs de musique libéraux. Pour autant, un brin d’honnêteté et un minimum de réflexion imposent de réagir.
Oui, l’Éducation est un placement et a donc un coût, dont la rentabilité n’est pas mesurable immédiatement. N’en déplaise à certains banquiers, le taux de retour ne peut se calculer en pourcentage ni s’afficher sur la courbe d’un joli graphique.


Oui, l’Éducation est un pari sur l’avenir. Mais, il n’y a pas d’adéquation immédiate et exclusive entre l’Éducation reçue et le métier futur. Les cours de piano que reçoit cette fillette lui seront utiles non parce qu’elle deviendra une pianiste virtuose, mais parce que –s’ils sont bien fait- la créativité, le sens du rythme et de la mesure, la sensibilité, la lecture du code musical, la rigueur… qu’elle y apprendra et développera, seront autant de compétences mobilisables tant pour la réussite de sa vie professionnelle que pour son épanouissement personnel.


Et non, l’Éducation n’est pas uniquement une question de dons. Certes, mettre en valeur et permettre de développer encore davantage les potentialités de chaque enfant est une heureuse chose. Mais l’Éducation consiste aussi à favoriser l’apprentissage de ceux qui se sentent, se croient, se vivent comme plus éloignés de certains savoirs. C’est justement l’art de la pédagogie de construire des chemins, des méthodes, des approches qui rendent possibles les rencontres, les découvertes, les appropriations.


Enfin, non, l’Éducation n’est pas une compétition dont l’objectif ultime serait de monter sur la plus haute marche du podium. La réussite d’une éducation musicale ne s’évalue pas exclusivement par un premier prix de conservatoire. Une Éducation réussie n’est pas l’apanage des seuls « premiers de la classe ».


Bien entendu de nombreuses critiques peuvent être faites au système d’apprentissage de la musique qui a justement tendance à privilégier la seule voix de l’excellence et de l’élitisme. Pour autant, il existe de nombreuses alternatives, en particulier associatives, qui mettent la musique à la portée de chacune et chacun, tant dans leurs tarifs que dans leurs approches pédagogiques.


Et au-delà de la seule musique, au-delà du domaine artistique, c’est l’ensemble de l’approche éducative qui est ici en question. Or, certainement que, comme la guerre est trop grave pour être confiée à des militaires (comme l’affirmait Clémenceau), l’Éducation est trop importante pour être entre les mains de banquiers qui n’y connaissent rien.


Ajouterai-je que ce message s’inscrit dans une campagne plus large de la banque concernée et intitulée « Vous être utile ». On voit facilement comment l’utilitarisme transforme la notion de rendre service à celle d’être rentable à tout prix… Une sorte de toujours plus, de course sans fin à l’utilité, sans jamais dire vraiment ni à quoi, ni surtout en quoi, tout cela est utile.


En recherchant la publicité bancaire de la petite fille au piano, je ne l’ai plus retrouvée sur le site de la banque, ni réentendue sur les ondes… retirée ? Peut-être pour éviter d’autres fausses notes !

 

Denis ADAM, le 22 juin 2016