Analyses et décryptages

Europe : la voie professionnelle s’amourache de l’entreprise

Il n’y a pas qu’en France où la voie professionnelle subit de multiples réformes visant à l’ancrer davantage dans le paysage économique, avec l’objectif de voir l’entreprise jouer de plus en plus auprès des élèves un rôle éducatif et formateur. Petit tour d’horizon de cette « tendance » avec l’association IESF des inspecteurs de l’Éducation sans frontières*.

Allemagne, Finlande, Pays-Bas souvent en tête, les pays européens dans une large majorité ont entrepris depuis quelques années une batterie de réformes concernant leurs politiques d’enseignement professionnel afin de les tourner davantage vers l’économie et les besoins de l’entreprise, voire de faire de l’entreprise un partenaire pédagogique très impliqué. C’est ce que souligne le rapport « Pour une alternance partenariale entre école et entreprise dans l’enseignement professionnel » édité fin 2023 par l’IESF.

Il est intéressant de constater dans cette synthèse combien les orientations des pays européens, avec une prééminence des pays nordiques, semblent se superposer dans le même sens d’une volonté décrite plus haut.

Le rapport s’attarde en premier lieu à évoquer les différents niveaux de réforme observés : sur le plan institutionnel et matériel d’abord, certains pays se sont efforcés de rassembler leurs forces en organisant la fusion des petites structures de type lycée pro en parallèle d’une croissance des effectifs : ainsi, en 20 ans, la Finlande est passée de 221 à 82 établissements pour des effectifs progressant de 136 à 208.000 élèves. Idem aux Pays-Bas, avec une réduction des établissements de 300 à 80, alors que dans le même temps, les effectifs sont passés de 200 à 300.000 élèves.

L’entreprise, nouveau lieu d’apprentissage

Ce changement de dimension s’est accompagné d’une plus grande autonomie dans la mise en œuvre des programmes avec, par exemple, l’élaboration de certains modules par les établissements eux-mêmes en fonction des besoins régionaux et locaux, ou encore l’organisation d’évaluations individualisées. Autre évolution selon le rapport de l’IESF, nombre de pays européens se sont également appliqués à réduire le nombre de certifications en même temps qu’ils élargissaient les profils de compétences et qualifications (la Finlande réduisant de 351 à 164 le nombre des certifications par exemple).

Enfin, il apparaît un développement accru de la formation en situation de travail, avec des modalités différentes d’un pays à l’autre mais une constante, celle de l’augmentation du temps passé en entreprise ou en situation de travail au détriment du temps passé en classe. Et « le lieu de travail n’est plus considéré comme un lieu de pratique des connaissances acquises en classe mais plutôt comme un lieu permettant aux apprenants d’acquérir des compétences spécifiques complémentaires à celles enseignées en milieu scolaire ».

Pour conséquence de cette évolution, l’importance accordée aux compétences générales et transversales s’en retrouve renforcée, ces dernières étant développées dans un contexte d’apprentissage plus individualisé et plus flexible. Et les nouveaux processus d’évaluation et de certification répondent davantage à une approche centrée sur l’élève et sa participation active, organisés de plus en plus dans des environnements de travail, commente le rapport.

La France à la moyenne

Et la France dans tout ça ? Notre pays se situerait dans la moyenne de cette évolution d’un enseignement professionnel tourné vers davantage d’entreprise, un peu au-dessus ou au-dessous selon les items, comme celui de l’interaction des enseignements avec des cas concrets d’entreprise (mais nous demeurons loin derrière l’Autriche, l’Italie ou les Pays-Bas) ou celui de la prise en compte des besoins des entreprises, qui a fortement augmenté chez nous. Toutefois, nous figurons dans la 2e partie de tableau des pays européens pour lesquels « le rôle de la classe » à diminué ces dernières années.

En outre, dans notre système, c’est la faible efficacité du tutorat qui est particulièrement dénoncée les inspecteurs de l’IESF. Et ceux-ci de s’appuyer sur un rapport de l’IGESR daté de janvier 2021 sur le sujet de la qualité des périodes de formation en milieu professionnel (PFMP). Il s’avère que cette période est, une fois sur deux quasiment, jamais préparée en amont par les élèves. Elle demeure contrainte du fait de la faible mobilité des élèves et les partenaires professionnels se trouvent être peu impliqués dans sa préparation.

Une fois en entreprise, le suivi des élèves est souvent effectué par un seul enseignant, soit a minima, et le réinvestissement des acquis de PFMP reste limité (20 % des cas). Au niveau des tuteurs d’entreprise, ils sont considérés comme « le maillon faible de la pédagogie de l’alternance », tuteurs souvent peu considérés dans cette tâche par l‘entreprise, tributaires aussi d’une culture pédagogique qui veut que le cycle cours/PFMP correspond davantage à la succession de deux temps distincts peu inter-opérationnels. En gros, le stage en entreprise n’est pas réalisé et vécu comme un temps en synergie pédagogique avec les enseignements académiques.

A la lumière de ces quelques éléments comparatifs, l’UNSA Éducation établit deux constats. La France se situe dans un équilibre plutôt positif entre savoirs académiques et mise en situation professionnelle des élèves de la voie professionnelle. Comme nous l’avons toujours clamé, il n’y a rien ici à révolutionner ; l’augmentation quantitative des PFMP ne changera pas la donne d’une meilleure interaction avec l’entreprise. Elle créerait au contraire un déséquilibre inutile au lieu de s’attacher au seul vecteur de progrès : la qualité pédagogique.

En second lieu, pour que cette qualité soit réalisée, l’impératif de former et mieux reconnaître les tuteurs d’entreprise, comme le recommande vivement le rapport, est un maillon essentiel de toute évolution à prévoir. Ainsi que d’admettre que ce n’est pas au lycée d’être un pourvoyeur de main d’œuvre plus ou moins formé à ses besoins mais à l’entreprise et au lycée de s’inscrire ensemble dans une démarche de formation associée, dans le cadre d’un projet pédagogique commun partagé, au service de tous les élèves. Le rapport de l’IESF indique que les pays européens qui l’ont bien compris et déjà mis en œuvre montrent de meilleurs taux d’insertion dans l’emploi.

*Les membres actifs de l’association IESF sont des inspecteurs généraux de l’Éducation nationale (IGEN), des inspecteurs généraux de l’administration de l’Education nationale et de la Recherche (IGAENR), des inspecteurs d’Académie (IADSDEN), des inspecteurs d’Académie, inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR), des inspecteurs de l’Education nationale (IEN). L’IESF produit des rapports d’expertise et intervient à la demande en qualité de conseil et formation.

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