Agir avec vous

L’Enquête : une pratique de l’éducation morale et civique active

La participation de nos concitoyens à la vie démocratique est en berne. Ce constat, déjà ancien, est alarmant. Pourtant l’aspiration de la société et de la jeunesse en particulier à être davantage associées aux décisions politiques est grande. Dans un contexte d’une progression ininterrompue de l’extrême droite, cette crise démocratique pourrait bientôt aboutir à une catastrophe qu’il ne faut pas minimiser. Il est essentiel de susciter l’engagement grâce à des modes de participation au débat public renouvelés. L’éducation morale et civique (EMC) est un vecteur primordial de la construction de cette citoyenneté et de multiples initiatives peuvent être une source d’inspiration pour tous ceux qui souhaitent faire évoluer leurs pratiques vers une plus grande implication de leurs élèves.

Focus sur la CPES du lycée Thiers à Marseille : l’enquête en EMC.

Entretien avec Marc Rosmini, agrégé de philosophie

Qu’est-ce qui vous a poussé à faire pratiquer l’enquête en EMC à vos élèves ?

Tout d’abord, l’idée qu’il n’est de réelle citoyenneté qu’active. J’ai parfois l’impression que certains collègues tiennent aux élèves un discours selon lequel être un bon citoyen, c’est connaître les lois et les respecter. Nous sommes nombreux à défendre un autre idéal. Mon enseignement, notamment en EMC, a de plus en plus intégré l’enquête à partir du moment où j’ai réalisé qu’il fallait que je puisse faire expérimenter à mes élèves des choses similaires à celles que je vis moi-même en tant que personne engagée dans la vie de la cité. Car mieux comprendre le monde social, c’est déjà (puisque nous en faisons partie) le modifier, agir sur lui. Or, pour le comprendre, il ne suffit pas de prendre connaissance de savoirs de seconde main. Il faut aller au contact direct, et multiplier les angles d’approche.

Telle que vous la faites vivre, l’enquête en EMC a-t-elle des points communs avec le modèle des conventions citoyennes ?

Il y a des points communs. Certes mes élèves ne sont pas tirés au sort, mais ils se retrouvent dans ma classe par hasard. D’autre part, la classe de CPES de Thiers (de même que mes classes de Terminale à Artaud) est très diverse d’un point de vue sociologique ; or, on sait que cette hétérogénéité est essentielle en ce qui concerne les conventions citoyennes (alors que les assemblées élues, elles, sont très homogènes). Autre point commun : les échanges avec des experts, en ayant à cœur, là aussi, de veiller à la pluralité des disciplines, des perspectives et des arguments. Enfin, dans les deux cas, il y a l’importance de l’adresse. Ce que l’on a découvert et compris ne prend sa vraie valeur qu’au moment où il devient public et où il est mis en débat. Il s’agit alors de s’exercer à l’art, essentiel en démocratie, de la controverse et de la délibération informée.

Individuellement, quels sont, selon vous, les principaux apports de cette démarche pour vos élèves ?

Le plus important me semble-t-il, pour chaque sujet traité, c’est la prise de conscience de l’entrecroisement des enjeux (politiques, éthiques, mais aussi épistémologiques, métaphysiques, etc.), et donc de la complexité. Le fait de traiter d’un thème sur toute l’année permet d’entrer dans la nuance et les multiples implications. C’est essentiel, surtout à une époque où l’on demande sans cesse aux gens, sans leur donner le temps ni les moyens d’enquêter, d’être « pour ou contre » ceci ou cela. Je peux citer deux exemples. Il y a six ans, nous avons travaillé sur la Gestation Pour Autrui. En septembre, tous les élèves étaient contre. A la fin de l’année, un quart était contre, un quart était pour, et la moitié hésitaient. Second exemple : l’an dernier, le thème était « Faut-il changer la loi sur la fin de vie en France ? ». J’ai organisé un débat contradictoire en classe entre deux spécialistes de cette question, l’une militant pour un changement de la loi, l’autre y étant opposé. Le débat a été vif, mais très respectueux. Les élèves ont été impressionnés par ces échanges, car ils ont une image très agonistique et violente des débats, qui leur vient des émissions télévisées du type TPMP.

Entre le début de l’année et la restitution des travaux, voyez vous une évolution notable au sein de la classe ? Qu’apporte cette démarche collectivement ?

Comme je l’ai dit, tout d’abord, tout le monde gagne en nuance, en sens de la complexité. Les élèves sont amenés à réexaminer régulièrement leurs représentations initiales, que je recueille en début d’année. Ils sont parfois eux-mêmes surpris par leur capacité à évoluer, à modifier leur point de vue. L’enquête modifie aussi les relations entre eux, puisque je leur demande souvent de s’organiser, de prendre des initiatives, de travailler en groupe en dehors des heures de cours. Ce type de travail crée une égalité entre eux, mais aussi entre eux et moi, puisque je suis comme eux un membre de la communauté de chercheurs – même si, bien sûr, ma position est singulière. Je le ressens particulièrement lorsque nous travaillons sur des thèmes sur lesquels je n’ai pas, moi-même, un avis arrêté – c’était le cas, notamment, de la Gestation Pour Autrui.

Vous enseignez également au sein de la CPES du lycée Artaud à Marseille qui est réservée à des bacheliers professionnels. Avez-vous la même démarche avec eux concernant l’EMC ? Est-ce également transposable dans le secondaire selon vous ?

Oui, tout à fait. En CPES à Artaud, nous travaillons exactement de la même manière. On peut par exemple écouter un podcast que nous avons réalisé l’an dernier sur le thème du « communautarisme », ou encore lire un article sur une sortie que nous avons réalisée cette année à la prison des Baumettes. C’est exactement la même démarche. Dans mes classes de terminale et de première, en EMC, je tente de cultiver le même esprit même si, bien sûr, j’ai moins de temps. Je défends l’idée selon laquelle, en EMC, il vaut mieux traiter peu de sujets, mais de façon approfondie et en enquêtant vraiment (en recevant plusieurs invités, en allant voir sur le terrain), plutôt que de vouloir embrasser trop de thèmes, au risque de la dispersion. Même si l’on ne traite qu’une question, mais qu’on l’éclaire selon plusieurs angles et que l’on peut en rendre compte publiquement à la fin de l’année, ce n’est pas grave. Cela permet aux élèves de s’approprier des méthodes de recherche et d’analyse qu’ils pourront, ensuite, utiliser sur toutes sortes de questions politiques, entre autres.

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L’UNSA Éducation milite pour inclure davantage les enjeux démocratiques contemporains, en faveur de l’émancipation et de l’indépendance de chaque jeune avec tous les acteurs de l’éducation à la citoyenneté. Il faut faire vivre les principes démocratiques dès le plus jeune âge et les lieux d’éducation doivent mettre en œuvre ce qu’ils transmettent. L’UNSA Éducation est par ailleurs très favorable à la multiplication des CPES sur tout le territoire. Nous reviendrons sur ce sujet prochainement dans un article spécifique.

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