Débat de spécialistes

Il est des sujets qui sont largement partagés. Parfois même -et au risque de se situer au niveau des conversations du café du commerce- il semble que tout le monde ait un avis, sait ce qui doit être fait ou pas, ce qui convient ou non…

Il est des sujets qui sont largement partagés. Parfois même -et au risque de se situer au niveau des conversations du café du commerce- il semble que tout le monde ait un avis, sait ce qui doit être fait ou pas, ce qui convient ou non… Une telle généralisation peut énerver, tant elle apparait comme privant les professionnels d’une véritable expertise qu’ils revendiquent à juste titre. Pour autant, elle n’est peut-être pas aussi dangereuse que l’enfermement dans le seul « débat de spécialistes » qui prive d’une réflexion citoyenne et des prises de décision réellement démocratiques.

Ainsi en va-t-il de l’Éducation. Rien que de très logique en soit, puisqu’à un degré ou un autre, nous sommes pour la plupart appelés à être éducateur, que tous, nous avons été élèves, que tous, nous sommes intéressés par l’avenir de nos enfants, de nos jeunes. Alors oui, nous avons tous des choses à dire sur l’Éducation en générale et sur sa dimension scolaire en particulier.

Tout cela serait parfait. Un débat citoyen et démocratique sur l’Éducation pourrait être un enrichissant partage d’idées. Encore faudrait-il que chacun puisse participer à cet échange en toute capacité de connaître les tenants et les aboutissants, les enjeux, les éléments de la réflexion.

Or, force est de constater qu’en France –plus qu’ailleurs peut-être- l’Éducation ne fait pas consensus. Elle est un objet fortement marqué par des orientations politiques et syndicales opposées voire contradictoires. Cela conduit à faire de toute discussion une polémique et confisque le débat au profit des seuls spécialistes.

Les réformes actuellement en discussion en sont une illustration quotidienne. Les programmes, le collège, l’évaluation sont présentés de manière technique et condamnent donc les non-spécialistes à dépendre de l’avis des experts.

Bien entendu, une part du débat relève de la réflexion et de la technicité des professionnels, mais les orientations générales, elles, relèveraient normalement d’un choix de la société. Choix qu’elle ne peut faire que si elle est correctement informée. Ce qui n’est pas le cas, actuellement, loin de là.
C’est d’autant plus dérangeant et mal venu que ceux qui portent le plus la désinformation et la démagogie, sont également ceux qui accusent les réformes de vouloir baisser le niveau général et priver les élèves des contenus indispensables à la réflexion.

Ainsi tout se passe comme si les tenants de l’élite, du haut niveau de connaissances, du mérite, faisaient tout pour éviter que les citoyens puissent s’exprimer sur les sujets d’Éducation : monter le niveau oui, mais davantage pour certains que pour tous !

Sur un tout autre sujet, les dangereuses dérives du maire de Béziers relancent le débat sur les « statistiques ethniques ». Et là encore, ceux qui sont favorables à la remise en cause de l’interdiction de collecte d’éléments à caractère ethnique ou religieux revendiquent que celles-ci ne soient utilisables que par des spécialistes. Qui définira les qualifications des experts ? L’utilisation des données ? Comment évitera-t-on les discriminations et les dérives ?

Or, comme le montre le démographe –parfois qualifié d’iconoclaste- Hervé Le Bras, si « la collecte de données n’est pas une menace en elle-même. Ce qui constitue une menace ce sont les catégories utilisées pour classer les données ». Et c’est ce débat qu’il convient de trancher, non en tant que spécialiste, mais en qualité de citoyens, par rapport à une conception de la société et à la défense de valeurs. Ce qui est en jeu, c’est le combat contre le racisme. Il ne peut être aux mains des seuls experts.

Jusqu’au milieu du XIXème siècle, le clergé fournissait les érudits qui disaient au peuple comment penser et quels choix politiques faire. C’est contre cette confiscation que la démocratie que l’École publique et l’Éducation populaire ont œuvré à la formation de citoyens éclairés, capables de libre arbitre et d’esprit critique.

Il faut alors se demander ce que l’on gagnerait – et qui a intérêt- aujourd’hui à réduire les questions de valeurs et d’Éducation à de seuls débats de spécialistes.

Denis ADAM, le 06 mai 2015

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Il est des sujets qui sont largement partagés. Parfois même -et au risque de se situer au niveau des conversations du café du commerce- il semble que tout le monde ait un avis, sait ce qui doit être fait ou pas, ce qui convient ou non… Une telle généralisation peut énerver, tant elle apparait comme privant les professionnels d’une véritable expertise qu’ils revendiquent à juste titre. Pour autant, elle n’est peut-être pas aussi dangereuse que l’enfermement dans le seul « débat de spécialistes » qui prive d’une réflexion citoyenne et des prises de décision réellement démocratiques.

Ainsi en va-t-il de l’Éducation. Rien que de très logique en soit, puisqu’à un degré ou un autre, nous sommes pour la plupart appelés à être éducateur, que tous, nous avons été élèves, que tous, nous sommes intéressés par l’avenir de nos enfants, de nos jeunes. Alors oui, nous avons tous des choses à dire sur l’Éducation en générale et sur sa dimension scolaire en particulier.

Tout cela serait parfait. Un débat citoyen et démocratique sur l’Éducation pourrait être un enrichissant partage d’idées. Encore faudrait-il que chacun puisse participer à cet échange en toute capacité de connaître les tenants et les aboutissants, les enjeux, les éléments de la réflexion.

Or, force est de constater qu’en France –plus qu’ailleurs peut-être- l’Éducation ne fait pas consensus. Elle est un objet fortement marqué par des orientations politiques et syndicales opposées voire contradictoires. Cela conduit à faire de toute discussion une polémique et confisque le débat au profit des seuls spécialistes.

Les réformes actuellement en discussion en sont une illustration quotidienne. Les programmes, le collège, l’évaluation sont présentés de manière technique et condamnent donc les non-spécialistes à dépendre de l’avis des experts.

Bien entendu, une part du débat relève de la réflexion et de la technicité des professionnels, mais les orientations générales, elles, relèveraient normalement d’un choix de la société. Choix qu’elle ne peut faire que si elle est correctement informée. Ce qui n’est pas le cas, actuellement, loin de là.
C’est d’autant plus dérangeant et mal venu que ceux qui portent le plus la désinformation et la démagogie, sont également ceux qui accusent les réformes de vouloir baisser le niveau général et priver les élèves des contenus indispensables à la réflexion.

Ainsi tout se passe comme si les tenants de l’élite, du haut niveau de connaissances, du mérite, faisaient tout pour éviter que les citoyens puissent s’exprimer sur les sujets d’Éducation : monter le niveau oui, mais davantage pour certains que pour tous !

Sur un tout autre sujet, les dangereuses dérives du maire de Béziers relancent le débat sur les « statistiques ethniques ». Et là encore, ceux qui sont favorables à la remise en cause de l’interdiction de collecte d’éléments à caractère ethnique ou religieux revendiquent que celles-ci ne soient utilisables que par des spécialistes. Qui définira les qualifications des experts ? L’utilisation des données ? Comment évitera-t-on les discriminations et les dérives ?

Or, comme le montre le démographe –parfois qualifié d’iconoclaste- Hervé Le Bras, si « la collecte de données n’est pas une menace en elle-même. Ce qui constitue une menace ce sont les catégories utilisées pour classer les données ». Et c’est ce débat qu’il convient de trancher, non en tant que spécialiste, mais en qualité de citoyens, par rapport à une conception de la société et à la défense de valeurs. Ce qui est en jeu, c’est le combat contre le racisme. Il ne peut être aux mains des seuls experts.

Jusqu’au milieu du XIXème siècle, le clergé fournissait les érudits qui disaient au peuple comment penser et quels choix politiques faire. C’est contre cette confiscation que la démocratie que l’École publique et l’Éducation populaire ont œuvré à la formation de citoyens éclairés, capables de libre arbitre et d’esprit critique.

Il faut alors se demander ce que l’on gagnerait – et qui a intérêt- aujourd’hui à réduire les questions de valeurs et d’Éducation à de seuls débats de spécialistes.

Denis ADAM, le 06 mai 2015