De l’argent magique pour l’enseignement privé !
Une pratique légale mais opaque
Si les « bonus » complémentaires accordés par les régions aux établissements privées, au-delà de leurs obligations légales, sont parfaitement légales et connues ; l’ampleur du phénomène n’avait jamais été quantifiée. C’est désormais le cas : les établissements catholiques ont bénéficié d’1,2 milliard d’euros de financement public supplémentaire entre 2016 et 2023 permettant d’améliorer le bâti scolaire ou de renforcer les aides sociales. Ces subventions bénéficient paradoxalement à de nombreux établissements déjà huppés et attractifs.
Curieusement, ces informations n’étaient pas connues dans le détail alors même que le coût de l’enseignement donne lieu à des chiffrages d’une grande précision, que la Cour des Comptes a multiplié les rapports notamment en 2021 ou en 2023 pour dénoncer l’augmentation des dépenses d’éducation, le coût des lycéens ou la centralisation du système. Difficile de croire que, dans le même temps, des données aussi cruciales que le financement de l’enseignement privé ont toujours échappé aux principaux acteurs du système, ministère de l’Éducation national en tête.
Même les parlementaires Paul Vannier et Christophe Weissberg, rédacteurs d’un rapport sur le financement du privé en avril 2024, n’avaient pas eu accès à ces informations.
Cette opacité a créé et continue d’instituer une forme de concurrence déloyale entre un enseignement privé dont l’attractivité est renforcée et qui fonctionne, de facto, sous perfusion d’argent public puisque les subventions de l’État et des collectivités couvrent plus des ¾ de son budget.
Cette iniquité est d’autant plus grande quand on connait l’absence de contrainte qui pèse sur l’enseignement privé quant à la nécessité de respecter la mixité sociale, aggravant mécaniquement une forme de ségrégation scolaire voire de séparatisme scolaire.
Parfois, il existe de l’argent magique…
Par ailleurs, ces révélations sont d’autant plus scandaleuses dans le contexte que traverse l’école publique depuis 2017. En effet, la crise du recrutement bat son plein dans l’enseignement public, les moyens ne sont pas à la hauteur des défis toujours plus grands qui sont proposés à une école publique qui se veut inclusive. C’est même une coupe budgétaire de 700 millions qui avait été annoncé par Nicole Belloubet en mai dernier… Comment faire mieux pour tous et toutes avec moins et dans des conditions dégradées ?
Certes, les circuits de financement (collectivités ou Etat) ne sont pas les mêmes mais force est de constater que, sur le fond, l’enseignement privé obtient au bout du compte une augmentation de ses moyens quand on demande à l’école publique de faire toujours plus d’économies.
Des choix assumés par plusieurs régions
Certains exécutifs régionaux ont fait le choix politique d’augmenter ces aides dans un contexte de restriction budgétaire. Sous couvert de défense de la liberté de choix, ces régions ont pris une position idéologique et alimentent un enseignement privé qui s’adresse à une certaine catégorie de la population en renforçant toujours l’entre-soi.
La palme revient à la région Auvergne Rhône-Alpes dont le président a notamment versé des centaines de milliers d’euros pour la modernisation (amphithéâtre, « learning lab »…) dans l’établissement La Chartreuse en Haute-Loire. Pourtant, on ne saurait dresser l’interminable liste des établissements publics dont les locaux sont inadaptés, délabrés ou mal équipés.
Finalement, cette vision de l’école répond à une certaine idéologie conservatrice et met à mal certaines de nos valeurs fondamentales en particulier l’égalité. En outre, dans le cas de La Chartreuse, la bénédiction des locaux par un prêtre à laquelle Laurent Wauquiez a participé (allant jusqu’à faire le signe de croix), est une entorse caractérisée au principe de laïcité. Cette notion, clé de voûte du vivre ensemble et de la cohésion dans nos établissements scolaires, ne saurait être à géométrie variable.
L’État doit donc prendre ses responsabilités et ne peut plus se défausser en invoquant l’autonomie et la liberté des collectivités. Il s’agit d’avoir le courage politique de réguler, dans un premier temps, l’argent public versé aux établissements privés avant de rendre concrète à terme la formule toujours aussi pertinente : « école publique, argent public ; école privée, argent privé ».