Comment apprendre, quand on ne comprend pas ?

Bouche bée, sans voix, regard écarquillé… combien de fois nous sommes nous retrouvés face à un enfant, un élève, un proche, un collègue dont toute l’attitude montre qu’il n’a rien compris de ce que nous avons cherché à lui dire ?

Problème de code entre le locuteur et le récepteur, disent les spécialistes de communication.

Au premier rang des causes de cette incompréhension, la langue !

Bien entendu les mots, leur signification, leur sens, ne sont pas les seuls éléments qui permettent de communiquer, loin de là. Mais dans de nombreux cas, ils sont essentiels. Encore davantage, peut-être dans les situations d’apprentissage.

Or dans le monde, 40 % des habitants de la planète n’ont pas accès à l’instruction dans une langue qu’ils parlent ou comprennent. Et le fait de parler une langue qui n’est pas celle de la salle de classe a souvent pour effet de freiner l’apprentissage des enfants, notamment lorsqu’ils sont pauvres. La journée internationale de la langue maternelle proposée par l’UNESCO tous les 21 février est l’occasion de le rappeler.

On pense bien entendu aux pays d’Afrique ou d’Asie dont nombre de langues minoritaires ne sont ni reconnues ni enseignées.

Plus proche de nous, le cas des enfants migrants, primo arrivants, nouvellement arrivés en France (ENAF) bénéficient de dispositifs particuliers.

Pour autant, la difficulté d’approche de la langue est plus souvent plus complexe que ce classement en catégories rigides.

Sans être récemment arrivés, des enfants entendent et parlent à la maison une langue différente du français. Il est évident que l’école doit leur apprendre la langue française et même utiliser cette langue pour qu’elle soit le support de la plupart des enseignements. Pour autant, elle ne peut ignorer leur situation.

L’évolution des enseignements de langues et cultures d’origine (ELCO) qui s’intègrent progressivement dans l’offre d’enseignement linguistique, peut permettre que des enfants qui ne sont pas locuteurs natifs d’une autre langue maternelle puissent tout de même, sur la base du volontariat et à la demande des familles, bénéficier d’un apprentissage de leur langue maternelle, en plus de celui du Français. Il s’agit de reconnaître que la maîtrise de la langue maternelle est un préalable nécessaire à la réussite d’une langue seconde, qu’elle permet de structurer la langue parlée dans le milieu familial, de favoriser l’épanouissement personnel des jeunes issus d’autres cultures, de valoriser la diversification des langues à l’école.

Le prétexte que -puisque nous sommes en France- seul le Français devrait être parlé et donc enseigné, défendu par l’extrême droite, est bien entendu aberrant. Il est contraire à toutes les démarches qui visent la réussite de tous. Il pénalise avant tout les enfants issus des milieux les plus éloignés de la culture scolaire et donc qui risquent le plus d’être en échec.

Si l’on prolonge cette réflexion et que l’on dépasse le cadre des langues maternelles ou culturelles autre que le français, il faut également s’intéresser à la question des niveaux de langues. La langue scolaire, normée, standardisée, le « français scolaire » comme le nomme Marie-Madeleine Bertucci et Colette Corblin (dans le numéro 158 du « Français aujourd’hui »), peut en effet être, dans certains cas, bien éloigné du français parlé à la maison.

Là encore, il ne s’agit nullement de prôner un quelconque nivellement par le bas. Il ne s’agit d’ailleurs pas non plus d’opposer un niveau de langue à un autre. L’apprentissage pertinent, et souvent mené dans les classe, consiste davantage à permettre l’accès, la compréhension et l’usage de plusieurs niveaux plutôt que la normalisation sur un seul.

Partir de la langue, du « français des élèves » pour apprendre n’est en rien un recul du niveau. C’est une étape pour mieux appréhender la richesse de la langue et donc toute la diversité de vocabulaires et de styles qui peut être utilisée si elle est progressivement acquise. C’est aussi une manière de faire entrer plus facilement les élèves dans les apprentissages grâce à une langue qu’ils connaissent et reconnaissent comme étant la leur.

Valoriser, faire exister, donner une place aux langues maternelles comme aux langues minoritaires vient en complément à la fois de l’apprentissage du français et de l’apprentissage des langues étrangères.

À l’occasion de la journée internationale de la langue maternelle 2017, Irina Bokova, Directrice générale de l’UNESCO lançait cet « un appel pour que le potentiel de l’éducation multilingue soit reconnu partout, dans les systèmes éducatifs et administratifs, dans les expressions culturelles et dans les médias, le cyberespace et les échanges commerciaux ».

Il s’agit en effet à la fois d’une découverte linguistique et d’une approche culturelle.

Elle peut faciliter le contact et donc la liaison avec les familles : parce que les parents se sentent moins exclus par la barrière de la langue, parce que les enfants voient un lien établi entre leur univers familial et celui de l’école.

Elle peut grandement agir pour une meilleure réussite éducative de chaque enfant et chaque jeune, à commencer par ceux qui sont les plus éloignés de la culture scolaire.

Elle peut développer une approche multilinguistique et multiculturelle de la société et donc participer, en agissant contre l’ignorance ou le mépris de l’autre, à lutter contre toutes les forme d’exclusion, de racisme, de discrimination.

Elle permet de cesser d’apprendre sans comprendre. Elle offre la possibilité d’apprendre et de comprendre le monde, les autres, soi-même. N’est-ce pas le but de l’Education ?

 

Denis Adam, le 22 février 2017
 

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Bouche bée, sans voix, regard écarquillé… combien de fois nous sommes nous retrouvés face à un enfant, un élève, un proche, un collègue dont toute l’attitude montre qu’il n’a rien compris de ce que nous avons cherché à lui dire ?

Problème de code entre le locuteur et le récepteur, disent les spécialistes de communication.

Au premier rang des causes de cette incompréhension, la langue !

Bien entendu les mots, leur signification, leur sens, ne sont pas les seuls éléments qui permettent de communiquer, loin de là. Mais dans de nombreux cas, ils sont essentiels. Encore davantage, peut-être dans les situations d’apprentissage.

Or dans le monde, 40 % des habitants de la planète n’ont pas accès à l’instruction dans une langue qu’ils parlent ou comprennent. Et le fait de parler une langue qui n’est pas celle de la salle de classe a souvent pour effet de freiner l’apprentissage des enfants, notamment lorsqu’ils sont pauvres. La journée internationale de la langue maternelle proposée par l’UNESCO tous les 21 février est l’occasion de le rappeler.

On pense bien entendu aux pays d’Afrique ou d’Asie dont nombre de langues minoritaires ne sont ni reconnues ni enseignées.

Plus proche de nous, le cas des enfants migrants, primo arrivants, nouvellement arrivés en France (ENAF) bénéficient de dispositifs particuliers.

Pour autant, la difficulté d’approche de la langue est plus souvent plus complexe que ce classement en catégories rigides.

Sans être récemment arrivés, des enfants entendent et parlent à la maison une langue différente du français. Il est évident que l’école doit leur apprendre la langue française et même utiliser cette langue pour qu’elle soit le support de la plupart des enseignements. Pour autant, elle ne peut ignorer leur situation.

L’évolution des enseignements de langues et cultures d’origine (ELCO) qui s’intègrent progressivement dans l’offre d’enseignement linguistique, peut permettre que des enfants qui ne sont pas locuteurs natifs d’une autre langue maternelle puissent tout de même, sur la base du volontariat et à la demande des familles, bénéficier d’un apprentissage de leur langue maternelle, en plus de celui du Français. Il s’agit de reconnaître que la maîtrise de la langue maternelle est un préalable nécessaire à la réussite d’une langue seconde, qu’elle permet de structurer la langue parlée dans le milieu familial, de favoriser l’épanouissement personnel des jeunes issus d’autres cultures, de valoriser la diversification des langues à l’école.

Le prétexte que -puisque nous sommes en France- seul le Français devrait être parlé et donc enseigné, défendu par l’extrême droite, est bien entendu aberrant. Il est contraire à toutes les démarches qui visent la réussite de tous. Il pénalise avant tout les enfants issus des milieux les plus éloignés de la culture scolaire et donc qui risquent le plus d’être en échec.

Si l’on prolonge cette réflexion et que l’on dépasse le cadre des langues maternelles ou culturelles autre que le français, il faut également s’intéresser à la question des niveaux de langues. La langue scolaire, normée, standardisée, le « français scolaire » comme le nomme Marie-Madeleine Bertucci et Colette Corblin (dans le numéro 158 du « Français aujourd’hui »), peut en effet être, dans certains cas, bien éloigné du français parlé à la maison.

Là encore, il ne s’agit nullement de prôner un quelconque nivellement par le bas. Il ne s’agit d’ailleurs pas non plus d’opposer un niveau de langue à un autre. L’apprentissage pertinent, et souvent mené dans les classe, consiste davantage à permettre l’accès, la compréhension et l’usage de plusieurs niveaux plutôt que la normalisation sur un seul.

Partir de la langue, du « français des élèves » pour apprendre n’est en rien un recul du niveau. C’est une étape pour mieux appréhender la richesse de la langue et donc toute la diversité de vocabulaires et de styles qui peut être utilisée si elle est progressivement acquise. C’est aussi une manière de faire entrer plus facilement les élèves dans les apprentissages grâce à une langue qu’ils connaissent et reconnaissent comme étant la leur.

Valoriser, faire exister, donner une place aux langues maternelles comme aux langues minoritaires vient en complément à la fois de l’apprentissage du français et de l’apprentissage des langues étrangères.

À l’occasion de la journée internationale de la langue maternelle 2017, Irina Bokova, Directrice générale de l’UNESCO lançait cet « un appel pour que le potentiel de l’éducation multilingue soit reconnu partout, dans les systèmes éducatifs et administratifs, dans les expressions culturelles et dans les médias, le cyberespace et les échanges commerciaux ».

Il s’agit en effet à la fois d’une découverte linguistique et d’une approche culturelle.

Elle peut faciliter le contact et donc la liaison avec les familles : parce que les parents se sentent moins exclus par la barrière de la langue, parce que les enfants voient un lien établi entre leur univers familial et celui de l’école.

Elle peut grandement agir pour une meilleure réussite éducative de chaque enfant et chaque jeune, à commencer par ceux qui sont les plus éloignés de la culture scolaire.

Elle peut développer une approche multilinguistique et multiculturelle de la société et donc participer, en agissant contre l’ignorance ou le mépris de l’autre, à lutter contre toutes les forme d’exclusion, de racisme, de discrimination.

Elle permet de cesser d’apprendre sans comprendre. Elle offre la possibilité d’apprendre et de comprendre le monde, les autres, soi-même. N’est-ce pas le but de l’Education ?

 

Denis Adam, le 22 février 2017