Cette semaine, on « maths » autrement.

À bien y regarder, c’est un étrange objet que ces « mathématiques » auxquels cette semaine est consacrée (la semaine des mathématiques a pour thème "Mathématiques au carrefour des cultures", elle a lieu cette année du 17 au 22 mars.) Science du savoir et discipline à part entière, les mathématiques sont à la fois logique et mystère, technique et culture, apprentissage et découverte.

À bien y regarder, c’est un étrange objet que ces « mathématiques » auxquels cette semaine est consacrée (la semaine des mathématiques a pour thème « Mathématiques au carrefour des cultures », elle a lieu cette année du 17 au 22 mars.) Science du savoir et discipline à part entière, les mathématiques sont à la fois logique et mystère, technique et culture, apprentissage et découverte.

Fut un temps où, les héros convoqués par Denis Guedj dans Le Théorème du Perroquet, (Paris, Éditions du Seuil, 1re éd. 1998) Thalès, Pythagore, Euclide, Hypatie, Al-Khwarizmi, Omar Khayyam, Nasir ad-Din at-Tusi, Tartaglia, Lodovico Ferrari, Abel, Galois, Fermat, Euler, et d’autres n’étaient pas seulement des génies. Ils étaient des éclaireurs, ouvrant de nouvelles perspectives pour la compréhension du monde et de l’univers. Ils étaient des libérateurs, invitant chacun à l’invention et permettant à tous d’échapper aux dictats des dogmes (qui imposent leurs croyances chaque fois qu’un phénomène semble échapper à la compréhension humaine).

Deux et deux quatre
Quatre et quatre huit
Huit et huit font seize…

Tout commence là, comme « La page d’écriture » qu’offre Prévert (Paroles, Paris, Gallimard, 1949).

Répétez! dit le maître
Deux et deux quatre
Quatre et quatre huit
Huit et huit font seize.

Mais tout peut aussi s’arrêter là…

Mais voilà l’oiseau-lyre
Qui passe dans le ciel
L’enfant le voit
L’enfant l’entend
L’enfant l’appelle:
Sauve-moi
Joue avec moi
Oiseau!

…si le maître ne voit pas l’oiseau, s’il se contente de faire apprendre et réciter, s’il oublie la poésie des chiffres, la magie de leurs opérations. S’il ne pense pas ou ne sait pas transmettre que là, justement, est le savoir qui sauve.

Martin Andler, professeur à l’université de Versailles-Saint-Quentin et président de l’association Animath, interrogé par le Monde de l’éducation, ne dit pas autre chose, lorsqu’il regrette que les enseignants « donnent la priorité à l’assimilation des règles au détriment du travail sur le sens ». Ils constatent que « les mathématiques représentent 15% du temps d’enseignement en France, contre 12% en moyenne dans l’OCDE. Ce n’est pas qu’une question de quantité » et en conclue que « dans notre collège, les mathématiques sont enseignées de façon à préparer au lycée et à l’université. Si on pousse le trait, le programme en 6e est conçu en fonction de Polytechnique ! Dans de nombreux pays, l’enseignement est moins ambitieux sur le papier, mais parfois plus riche de sens ».

Pas étonnant alors que, comme la dernière enquête PISA l’a rappelé- « environ 20% des élèves en fin de collège n’ont pas le niveau suffisant en mathématiques ». Et, que « contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, l’origine sociale y est aussi déterminante que pour la maîtrise de la langue. D’un autre côté, la proportion d’élèves aux meilleurs niveaux (catégories 5 et 6) est insuffisante – 9,8% d’élèves au niveau 5 et 3,1% au niveau 6 -, ce qui place la France loin derrière l’Allemagne ou la Belgique. C’est nettement insuffisant pour remplir la série S ! Si notre système est fort pour produire des mathématiciens de haut vol – un médaillé Fields sur quatre est français -, il ne parvient ni à éviter l’échec ni à former suffisamment d’élèves aptes aux études scientifiques ».

Du coup :

Quatre et quatre huit
Huit et huit font seize
Et seize et seize qu’est-ce qu’ils font?
Ils ne font rien seize et seize
Et surtout pas trente-deux
De toute façon
Et ils s’en vont.

Et l’enfant a caché l’oiseau
Dans son pupitre
Et tous les enfants
Entendent sa chanson
Et tous les enfants
Entendent la musique
Et huit et huit à leur tour s’en vont
Et quatre et quatre et deux et deux
A leur tour fichent le camp
Et un et un ne font ni une ni deux
Un à un s’en vont également.

Ne demeure que l’incompréhension et l’impossibilité d’apprendre

Et l’oiseau-lyre joue
Et l’enfant chante
Et le professeur crie:
Quand vous aurez fini de faire le pitre!

Au risque que l’École ne puisse plus remplir sa mission et n’agissent que sur du sable et dans du vent, laissant le savoir s’échapper, mais ne permettant pas l’envol des enfants qui lui sont confiés

Mais tous les autres enfants
Ecoutent la musique
Et les murs de la classe
S’écroulent tranquillement.
Et les vitres redeviennent sable
L’encre redevient eau
Les pupitres redeviennent arbres
La craie redevient falaise
Le porte-plume redevient oiseau.

« Il faut se demander pourquoi on ne parvient pas à donner du sens à cet enseignement. » interroge Martin Andler qui rappelle que « les élèves ont aussi besoin de comprendre à quoi servent les mathématiques, en quoi elles sont un atout pour l’intelligence critique, en quoi elles permettent de comprendre et d’agir sur le monde ». Il y a là forcément un énorme enjeu pédagogique et donc de formation des enseignants. Dans le primaire, il faut inciter davantage de diplômés scientifiques à devenir professeurs des écoles, « dans le secondaire, la formation reste très disciplinaire et ne pousse pas à faire des liens avec d’autres disciplines ». Les activités périscolaires doivent aussi s’emparer de ce champ de compréhension et de découvertes grâce à « un ensemble d’activités – conférences, expositions, concours, jeux, clubs… -, qui viennent compléter et revitaliser l’enseignement. » Pour l’association Animath comme pour d’autres, « le périscolaire donne un espace pour une pédagogie plus active que celle en classe, centrée autour de projets. Alors que les programmes portent sur des mathématiques très anciennes au primaire et au collège, on donne une image de science vivante, qui n’est pas coupée du monde et permet de comprendre les épidémies aussi bien que le fonctionnement d’un GPS ! Enfin, ces activités peuvent contribuer à rendre l’offre des établissements défavorisés plus attractive et à les sortir de la ghettoïsation ».

Une manière de réconcilier « deux et deux font quatre » et le jeu de l’oiseau-lyre, le rêve et les réalités, l’abstraction et le sens, l’Éducation et l’Émancipation.

Alors cette semaine, et au-delà, on « maths » autrement !

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À bien y regarder, c’est un étrange objet que ces « mathématiques » auxquels cette semaine est consacrée (la semaine des mathématiques a pour thème « Mathématiques au carrefour des cultures », elle a lieu cette année du 17 au 22 mars.) Science du savoir et discipline à part entière, les mathématiques sont à la fois logique et mystère, technique et culture, apprentissage et découverte.

Fut un temps où, les héros convoqués par Denis Guedj dans Le Théorème du Perroquet, (Paris, Éditions du Seuil, 1re éd. 1998) Thalès, Pythagore, Euclide, Hypatie, Al-Khwarizmi, Omar Khayyam, Nasir ad-Din at-Tusi, Tartaglia, Lodovico Ferrari, Abel, Galois, Fermat, Euler, et d’autres n’étaient pas seulement des génies. Ils étaient des éclaireurs, ouvrant de nouvelles perspectives pour la compréhension du monde et de l’univers. Ils étaient des libérateurs, invitant chacun à l’invention et permettant à tous d’échapper aux dictats des dogmes (qui imposent leurs croyances chaque fois qu’un phénomène semble échapper à la compréhension humaine).

Deux et deux quatre
Quatre et quatre huit
Huit et huit font seize…

Tout commence là, comme « La page d’écriture » qu’offre Prévert (Paroles, Paris, Gallimard, 1949).

Répétez! dit le maître
Deux et deux quatre
Quatre et quatre huit
Huit et huit font seize.

Mais tout peut aussi s’arrêter là…

Mais voilà l’oiseau-lyre
Qui passe dans le ciel
L’enfant le voit
L’enfant l’entend
L’enfant l’appelle:
Sauve-moi
Joue avec moi
Oiseau!

…si le maître ne voit pas l’oiseau, s’il se contente de faire apprendre et réciter, s’il oublie la poésie des chiffres, la magie de leurs opérations. S’il ne pense pas ou ne sait pas transmettre que là, justement, est le savoir qui sauve.

Martin Andler, professeur à l’université de Versailles-Saint-Quentin et président de l’association Animath, interrogé par le Monde de l’éducation, ne dit pas autre chose, lorsqu’il regrette que les enseignants « donnent la priorité à l’assimilation des règles au détriment du travail sur le sens ». Ils constatent que « les mathématiques représentent 15% du temps d’enseignement en France, contre 12% en moyenne dans l’OCDE. Ce n’est pas qu’une question de quantité » et en conclue que « dans notre collège, les mathématiques sont enseignées de façon à préparer au lycée et à l’université. Si on pousse le trait, le programme en 6e est conçu en fonction de Polytechnique ! Dans de nombreux pays, l’enseignement est moins ambitieux sur le papier, mais parfois plus riche de sens ».

Pas étonnant alors que, comme la dernière enquête PISA l’a rappelé- « environ 20% des élèves en fin de collège n’ont pas le niveau suffisant en mathématiques ». Et, que « contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, l’origine sociale y est aussi déterminante que pour la maîtrise de la langue. D’un autre côté, la proportion d’élèves aux meilleurs niveaux (catégories 5 et 6) est insuffisante – 9,8% d’élèves au niveau 5 et 3,1% au niveau 6 -, ce qui place la France loin derrière l’Allemagne ou la Belgique. C’est nettement insuffisant pour remplir la série S ! Si notre système est fort pour produire des mathématiciens de haut vol – un médaillé Fields sur quatre est français -, il ne parvient ni à éviter l’échec ni à former suffisamment d’élèves aptes aux études scientifiques ».

Du coup :

Quatre et quatre huit
Huit et huit font seize
Et seize et seize qu’est-ce qu’ils font?
Ils ne font rien seize et seize
Et surtout pas trente-deux
De toute façon
Et ils s’en vont.

Et l’enfant a caché l’oiseau
Dans son pupitre
Et tous les enfants
Entendent sa chanson
Et tous les enfants
Entendent la musique
Et huit et huit à leur tour s’en vont
Et quatre et quatre et deux et deux
A leur tour fichent le camp
Et un et un ne font ni une ni deux
Un à un s’en vont également.

Ne demeure que l’incompréhension et l’impossibilité d’apprendre

Et l’oiseau-lyre joue
Et l’enfant chante
Et le professeur crie:
Quand vous aurez fini de faire le pitre!

Au risque que l’École ne puisse plus remplir sa mission et n’agissent que sur du sable et dans du vent, laissant le savoir s’échapper, mais ne permettant pas l’envol des enfants qui lui sont confiés

Mais tous les autres enfants
Ecoutent la musique
Et les murs de la classe
S’écroulent tranquillement.
Et les vitres redeviennent sable
L’encre redevient eau
Les pupitres redeviennent arbres
La craie redevient falaise
Le porte-plume redevient oiseau.

« Il faut se demander pourquoi on ne parvient pas à donner du sens à cet enseignement. » interroge Martin Andler qui rappelle que « les élèves ont aussi besoin de comprendre à quoi servent les mathématiques, en quoi elles sont un atout pour l’intelligence critique, en quoi elles permettent de comprendre et d’agir sur le monde ». Il y a là forcément un énorme enjeu pédagogique et donc de formation des enseignants. Dans le primaire, il faut inciter davantage de diplômés scientifiques à devenir professeurs des écoles, « dans le secondaire, la formation reste très disciplinaire et ne pousse pas à faire des liens avec d’autres disciplines ». Les activités périscolaires doivent aussi s’emparer de ce champ de compréhension et de découvertes grâce à « un ensemble d’activités – conférences, expositions, concours, jeux, clubs… -, qui viennent compléter et revitaliser l’enseignement. » Pour l’association Animath comme pour d’autres, « le périscolaire donne un espace pour une pédagogie plus active que celle en classe, centrée autour de projets. Alors que les programmes portent sur des mathématiques très anciennes au primaire et au collège, on donne une image de science vivante, qui n’est pas coupée du monde et permet de comprendre les épidémies aussi bien que le fonctionnement d’un GPS ! Enfin, ces activités peuvent contribuer à rendre l’offre des établissements défavorisés plus attractive et à les sortir de la ghettoïsation ».

Une manière de réconcilier « deux et deux font quatre » et le jeu de l’oiseau-lyre, le rêve et les réalités, l’abstraction et le sens, l’Éducation et l’Émancipation.

Alors cette semaine, et au-delà, on « maths » autrement !