C’est «noté»: l’éducationse prête mal à la logique binaire

Logique binaire, logique sommaire. Les questions éducatives se prêtent très difficilement à des approches «oui/non», «pour/contre», «d'accord/pas d'accord» dès lors qu'on reste enfermé dans un face à face réducteur tenant généralement dans les deux minutes trente maximum d'un sujet de journal télévisé.

Logique binaire, logique sommaire. Les questions éducatives se prêtent très difficilement à des approches «oui/non», «pour/contre», «d’accord/pas d’accord» dès lors qu’on reste enfermé dans un face à face réducteur tenant généralement dans les deux minutes trente maximum d’un sujet de journal télévisé.

Voilà donc un sujet qui permet de poser les «questions choc» sur lesquelles on attend des oppositions frontales. Trop souvent, l’argumentation peine à pouvoir exister parce que, ce qui intéresse les médias, c’est l’affrontement. Il faut avant tout du bruit, course à l’audimat (comme hier) et recherche du buzz aujourd’hui pour favoriser les consultations des vidéos en ligne. Cette perversion du débat a atteint son paroxysme il y a un peu plus de vingt ans (précisément le 1er juin 1994) lorsque, en prélude à un débat Tapie-Le Pen, le journaliste avait cru bon de faire un coup en leur proposant de mettre des gants de boxe. Il était allé trop loin ce soir-là, mais il est à craindre que, dans la concurrence effrénée qui existe aujourd’hui, cette logique-là ne soit toujours dans les têtes.

C’est dire s’il est difficile d’aborder (sereinement, objectivement, en évoquant tous les paramètres du système éducatif) la question de la notation. .Les tenants du système sélectif comme le SNALC la présentent d’une manière caricaturale (à nos yeux) mais assumée : la note est objective et l’on veut simplement casser le thermomètre. En corollaire, ils estiment que, au mieux, on considèrerait par naïveté tous les élèves comme de même niveau; au pire, on s’attacherait à cacher avant tout l’échec du système (la faute à toute le monde sauf à soi-même) et la baisse de niveau.; La célèbre «baisse de niveau» est d’ailleurs, en France, une constante permettant aux générations anciennes de se rassurer : l’historien de l’éducation Claude Lelièvre en a trouvé des traces en 1879. Pour revenir à la notation, le débat n’est pourtant pas nouveau comme le faisait rencore remarquer Claude Lelièvre, encore lui, répondant à l’accusation de «niaiserie» proférée par l’ancien ministre Luc Ferry.

On aura noté cette fois que quelques émissions télévisées ont essayé de rompre avec la caricature, y compris en présentant le travail qui commence dans des collèges sans notes. Mais le fond du problème demeure: l’enfermement du sujet dans le sujet lui-même alors que c’est un élément d’un ensemble sur ce que devrait être l’évaluation pour mesurer et progresser dans une école bienveillante… et sur la nécessité d’accompagner fortement le changement avec une formation continue de qualité en faisant — aussi ! — confiance aux équipes de terrain.

Tout cela est plus compliqué qu’un banal «pour ou contre»,. Tout syndicaliste UNSA, attaché par principe à la prise en compte de la complexité des êtres et des choses, est pourtant contraint de se saisir de la possibilité de parole dans le cadre défini. Sinon on s’exposer à n’entendre et voir que les tenants de propos réactionnaires assénant (c’est beaucoup plus facile) des propos définitifs, sommaires et péremptoires. Quitte d’ailleurs à détourner les mots comme bienveillant: on glisse rapidement vers la note bienveillante qui rappelle les discussions de cours d’école, de collège, de lycée… et d’esplanades d’université sur le bon prof ou le prof sympa (entendez: le prof laxiste) qui «note large».

Il y a pourtant des lustres qu’on connaît les limites du système : les études docimologiques ont montré depuis des lustres les écarts de notation. C’est vrai pour la variété des disciplines comme pour l’amplitude par rapport à une même copie. Même si l’écart est moindre en mathématiques ou en physique qu’en philosophie ou en lettres, l’écart existe. Il peut conduire à ce que la sacro-sainte moyenne — qui, dangereusement, a l’air objectif parce qu’elle s’accompagne volontiers de décimales — glisse du 10,1/20 salvateur au 9,9/20 qui met l’élève sous la barre.

La note est l’héritage du système d’éducation jésuite fondé sur la mise en concurrence des élèves. La moyenne en est le symbole, la référence absolue: tant pis si le même 10/20 résulte de deux 10/20 ou d’un 18 et d’un 2. Nos camarades du SE-UNSA n’ont pas manqué de le souligner.

On rappellera enfin que les réflexions du Conseil supérieur des programmes portent sur l’évaluation et la validation du socle commun de connaissance, de compétences et de culture. Comme souvent, du débat à partir d’un rapport on glisse vers un débat abstrait sur le sujet en oubliant le rapport d’origine, son cadre et les réflexions. Débat oublieux aussi de l’ensemble dans ce qui doit être la refondation en continu de l’École malgré les difficultés et les obstacles.

Et comme la refondation est aussi une reconstruction brique par brique, la question de la notation l’évaluation doit être posée aujourd’hui dans une perspective d’ensemble: celle qui convient à l’École — et en particulier au socle commun — dans la société éducative du XXIe siècle!

Post scriptum. — On n’aura pas manqué de relever, sur ce sujet, que deux organisations syndicales se soient retrouvées sur les plateaux parce qu’elles sont identifiées sur des «lignes éducatives» opposées: le SE-UNSA et le SNALC.
Certes, d’autres organisations partagent le point de vue de l’un ou l’autre de ces syndicats mais, étrangement, alors que sur un tel sujet des expressions pourraient être diverses ou nuancées, on ignore ce que pense (ou peut penser) l’organisation la plus représentative et ses syndicats, eux-mêmes représentatifs (à supposer qu’ils soient en phase — mais pour l’instant c’est phase cachée). Comme quoi, «la grande Muette», ce n’est plus seulement l’Armée.
Sauf à considérer bien sûr, dans le silence des expressions argumentées, que la réponse publique par défaut à la question
«Note / Pas note?» est,  sans doute pour ne risquer de fâcher personne: «Ni oui ni non, bien au contraire!»


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Logique binaire, logique sommaire. Les questions éducatives se prêtent très difficilement à des approches «oui/non», «pour/contre», «d’accord/pas d’accord» dès lors qu’on reste enfermé dans un face à face réducteur tenant généralement dans les deux minutes trente maximum d’un sujet de journal télévisé.

Voilà donc un sujet qui permet de poser les «questions choc» sur lesquelles on attend des oppositions frontales. Trop souvent, l’argumentation peine à pouvoir exister parce que, ce qui intéresse les médias, c’est l’affrontement. Il faut avant tout du bruit, course à l’audimat (comme hier) et recherche du buzz aujourd’hui pour favoriser les consultations des vidéos en ligne. Cette perversion du débat a atteint son paroxysme il y a un peu plus de vingt ans (précisément le 1er juin 1994) lorsque, en prélude à un débat Tapie-Le Pen, le journaliste avait cru bon de faire un coup en leur proposant de mettre des gants de boxe. Il était allé trop loin ce soir-là, mais il est à craindre que, dans la concurrence effrénée qui existe aujourd’hui, cette logique-là ne soit toujours dans les têtes.

C’est dire s’il est difficile d’aborder (sereinement, objectivement, en évoquant tous les paramètres du système éducatif) la question de la notation. .Les tenants du système sélectif comme le SNALC la présentent d’une manière caricaturale (à nos yeux) mais assumée : la note est objective et l’on veut simplement casser le thermomètre. En corollaire, ils estiment que, au mieux, on considèrerait par naïveté tous les élèves comme de même niveau; au pire, on s’attacherait à cacher avant tout l’échec du système (la faute à toute le monde sauf à soi-même) et la baisse de niveau.; La célèbre «baisse de niveau» est d’ailleurs, en France, une constante permettant aux générations anciennes de se rassurer : l’historien de l’éducation Claude Lelièvre en a trouvé des traces en 1879. Pour revenir à la notation, le débat n’est pourtant pas nouveau comme le faisait rencore remarquer Claude Lelièvre, encore lui, répondant à l’accusation de «niaiserie» proférée par l’ancien ministre Luc Ferry.

On aura noté cette fois que quelques émissions télévisées ont essayé de rompre avec la caricature, y compris en présentant le travail qui commence dans des collèges sans notes. Mais le fond du problème demeure: l’enfermement du sujet dans le sujet lui-même alors que c’est un élément d’un ensemble sur ce que devrait être l’évaluation pour mesurer et progresser dans une école bienveillante… et sur la nécessité d’accompagner fortement le changement avec une formation continue de qualité en faisant — aussi ! — confiance aux équipes de terrain.

Tout cela est plus compliqué qu’un banal «pour ou contre»,. Tout syndicaliste UNSA, attaché par principe à la prise en compte de la complexité des êtres et des choses, est pourtant contraint de se saisir de la possibilité de parole dans le cadre défini. Sinon on s’exposer à n’entendre et voir que les tenants de propos réactionnaires assénant (c’est beaucoup plus facile) des propos définitifs, sommaires et péremptoires. Quitte d’ailleurs à détourner les mots comme bienveillant: on glisse rapidement vers la note bienveillante qui rappelle les discussions de cours d’école, de collège, de lycée… et d’esplanades d’université sur le bon prof ou le prof sympa (entendez: le prof laxiste) qui «note large».

Il y a pourtant des lustres qu’on connaît les limites du système : les études docimologiques ont montré depuis des lustres les écarts de notation. C’est vrai pour la variété des disciplines comme pour l’amplitude par rapport à une même copie. Même si l’écart est moindre en mathématiques ou en physique qu’en philosophie ou en lettres, l’écart existe. Il peut conduire à ce que la sacro-sainte moyenne — qui, dangereusement, a l’air objectif parce qu’elle s’accompagne volontiers de décimales — glisse du 10,1/20 salvateur au 9,9/20 qui met l’élève sous la barre.

La note est l’héritage du système d’éducation jésuite fondé sur la mise en concurrence des élèves. La moyenne en est le symbole, la référence absolue: tant pis si le même 10/20 résulte de deux 10/20 ou d’un 18 et d’un 2. Nos camarades du SE-UNSA n’ont pas manqué de le souligner.

On rappellera enfin que les réflexions du Conseil supérieur des programmes portent sur l’évaluation et la validation du socle commun de connaissance, de compétences et de culture. Comme souvent, du débat à partir d’un rapport on glisse vers un débat abstrait sur le sujet en oubliant le rapport d’origine, son cadre et les réflexions. Débat oublieux aussi de l’ensemble dans ce qui doit être la refondation en continu de l’École malgré les difficultés et les obstacles.

Et comme la refondation est aussi une reconstruction brique par brique, la question de la notation l’évaluation doit être posée aujourd’hui dans une perspective d’ensemble: celle qui convient à l’École — et en particulier au socle commun — dans la société éducative du XXIe siècle!

Post scriptum. — On n’aura pas manqué de relever, sur ce sujet, que deux organisations syndicales se soient retrouvées sur les plateaux parce qu’elles sont identifiées sur des «lignes éducatives» opposées: le SE-UNSA et le SNALC.
Certes, d’autres organisations partagent le point de vue de l’un ou l’autre de ces syndicats mais, étrangement, alors que sur un tel sujet des expressions pourraient être diverses ou nuancées, on ignore ce que pense (ou peut penser) l’organisation la plus représentative et ses syndicats, eux-mêmes représentatifs (à supposer qu’ils soient en phase — mais pour l’instant c’est phase cachée). Comme quoi, «la grande Muette», ce n’est plus seulement l’Armée.
Sauf à considérer bien sûr, dans le silence des expressions argumentées, que la réponse publique par défaut à la question
«Note / Pas note?» est,  sans doute pour ne risquer de fâcher personne: «Ni oui ni non, bien au contraire!»


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