Apprendre le partage
Dans quelques jours, à proximité d’un sapin décoré (ou pas) petits et grands échangeront et ouvriront des tas de cadeaux. Ils y trouveront des choses qui leur plaisent et d’autres moins, des choses utiles et d’autres moins, des choses qu’ils utiliseront et d’autres moins… Pour autant l’essentiel des présents seront individuels. Etonnant pour une fête qui se veut -entre autres- célébrer le partage…
Paroxysme d’une société qui lie propriété individuelle et surconsommation.
Nous connaissons tous l’exemple de la perceuse utilisée quelques fois dans l’année et que pourtant chacun se doit de posséder au fond d’un placard ou d’une cave.
Il y a déjà plus de 25 ans, dans les immeubles canadiens, on trouvait au bout du couloir de chaque étage un aspirateur collectif et au sous-sol (à l’étage du dépanneur -magasin ouvert toute la nuit) une buanderie avec machine à laver, table et fer à repasser.
On réinvente dans certains éco-quartier ces mêmes biens collectifs qui nécessitent certes de s’organiser avec ses voisins pour ne pas en avoir besoin au même moment, mais qui pour l’essentiel ne servent que très peu de temps par semaine.
Les pics récents de pollution questionnent de la même manière l’usage individuel des voitures, le co-voiturage, le recours aux transports en commun.
Il y a là matière à réfléchir à des objets, des services, des démarches davantage mise en commun et donc à interroger une économie dite du partage.
Dans son ouvrage, Ce qui est à toi est à moi (Traduit de l’anglais par Hélène Rioux, Lux, 280 pp.). Tom Slee affiche sa méfiance par rapport à cette dénomination.
Il montre certes que la conjonction des deux expressions «ce qui est à moi est à toi» qui évoque le don, la générosité relevant d’une finalité morale et «ce qui est à toi est à moi» qui, à l’inverse, renvoie à l’annexion, à l’accaparement, au vol, conduit, sous la forme de la phrase «ce qui est à moi est à toi et ce qui est à toi est à moi», à la mutualité, à la réciprocité des échanges de biens ou de services, au partage.
Il voit là la probable origine du commerce, fixant des règles pour le troc, les échanges de toute nature. Il distingue le don gratuit et désintéressé, qui ne veut que le bien (le bené-vole), n’attend rien en retour, et ne se mesure pas aux « biens » donnés, qui relève de l’éthique, de l’’échange (je te donne pour que tu me donnes, do ut des) qui s’inscrit dans l’économie.
Avec le développement du numérique échange et partage ont tendance à se confondre donnant une sorte de caution morale à un « nouveau genre de commerce utilisant Internet pour mettre en relation clients et fournisseurs de services », et dont « le but est d’organiser, dans le monde physique, des échanges tels que la location d’appartements à court terme, le covoiturage et la prestation de tâches ménagères ». De cette économie, que l’on dit aussi « sociale », « solidaire », « participative » ou « à la demande », sont nés des géants, tels que Uber, Airbnb, Lyft, BlaBlaCar, Handy, Postmates (livraisons) TaskRabbit («des voisins qui s’entraident») ou Lendind Club, via lequel des «investisseurs altruistes» prêtent de l’argent.
Tom Slee, dénonce cette nouvelle forme d’économie « en train de faire pénétrer dans nos vies un marché avide et déréglementé », de favoriser l’accumulation de gigantesques profits à quelques grandes entreprises mondiales aux dépens de la collectivité, et d’introduire -sous couvert d’une approche éthique- une «perturbation» dans le jeu social en imposant des pratiques pouvant «se passer de main-d’œuvre» et générant des formes de travail encore plus précaires.
Il ne s’agirait, pour autant pas de jeter le bébé avec l’eau du bain.
La formule « ce qui est à toi est à moi et ce qui est à moi est à moi et je le garde » est toujours possible.
Le détournement des idées généreuses existe toujours. Noël n’est-elle pas devenue la plus grande des fêtes commerciales ?
Mais, que la notion de partage soit récupérée par certains grand groupes pour en tirer des énormes profits, ne peut masquer la nécessité de construire une alternative à l’économie de la surconsommation. A la fois dans une dimension « écologique » c’est-à-dire durable en réduisant les gaspillages de toute sorte. De manière « démocratique » également en favorisant les échanges entre pairs et les relations horizontales plutôt que les hiérarchies verticales. Mais aussi dans un souci « solidaire » afin de permettre l’accès aux biens, aux services et aux ressources aux plus démunis.
Les réseaux d’échange de savoirs, les formes d’économie solidaires, circulaires, de micro-crédits… ne sont certes pas des formules magiques, mais elles offrent des nouvelles approches des relations humaines.
Là, comme ailleurs, l’esprit critique doit être mobilisé et jouer pleinement son rôle. Si tout peut exister, tout ne convient pas. Il s’agit donc de construire les formes d’échanges et de partages adaptés et respectueux de la société que nous voulons construire.
Et -certainement, une fois de plus- cette apprentissage passe par l’Education.
Comment apprend-on aux enfants, aux élèves à mettre en place des démarches de partage en classe ? Pas seulement pour prêter un stylo ou une feuille, mais aussi pour montrer comment de trouver le résultat d’un problème, où chercher la réponse à une question, pourquoi conduire ainsi un raisonnement…
Quels échanges, quels partages existent-ils entre les enseignants ? entre l’ensemble des personnels d’éducation ? entre tous les acteurs éducatifs ?
Comment valorise-t-on davantage la solidarité, l’entraide, la coopération que le chacun pour soi, la concurrence, la compétition ?
Nul doute, la partage s’apprend. Et c’est peut-être ça l’enseignement de Noël.
Denis ADAM, le 21 décembre 2016