Montpellier Dossier écoféminisme : exemples de luttes écoféministes dans le monde
Le mouvement Chipko et ses précurseur·ses en Inde
La communauté Bishnoï est reconnue pour avoir été la première à s’être opposée de cette manière à la déforestation en 1720. Mené·es par l’Indienne Amrita Devi, ils et elles se sont opposé·es aux soldats envoyés par le Maharaja de Jodhpur en défendant les arbres Khejri. Au total, 363 villageois et villageoises ont perdu la vie. Suite à ce massacre, le Maharaja ordonne un décret royal interdisant l’abattage des arbres de tous les villages Bishnoï. En mars 1973, l’entreprise étrangère Simon Company obtient l’autorisation d’abattre des arbres dans le nord de l’Inde, au détriment d’une coopérative Indienne. Au-delà des questions économiques que pose une telle confrontation, les femmes de la région, très connectées à leur environnement naturel direct puisque ce sont elles qui d’ordinaire s’occupent des cultures et du bétail, réalisent que les travaux des entreprises sont la cause de crues répétées et de glissements de terrain qui mettent à mal leurs biens et leur survie.
Inspirées par l’histoire de la communauté Bishnoï, des femmes indiennes s’opposent à la déforestation en entourant les arbres de leur bras par une étreinte afin d’empêcher physiquement leur abattage. Le mouvement Chipko – de l’hindi « étreinte » – est né. Bien que ces femmes ne se soient jamais revendiquées écoféministes, leurs activités furent rattachées à ce courant a posteriori par Vandana Shiva, figure de proue réputée et controversée de l’écoféminisme en Inde aujourd’hui.
La ceinture verte au Kenya, en 1977
Dans les années 70 au Kenya, la biologiste Wangari Maathai s’inquiète de la déforestation. Travaillant pour le Conseil national des femmes du Kenya, une organisation de la société civile locale, elle commence à encourager les femmes des campagnes à planter des arbres. Cette initiative se développe rapidement en un large mouvement populaire. А travers le Mouvement de la ceinture Verte – Green Belt Movement, les femmes apprennent à faire pousser et à entretenir des jeunes plants d’arbres, qu’elles replantent là où c’est le plus nécessaire. En échange de ce travail elles sont rémunérées par le Mouvement de la ceinture verte. Ce revenu, gagné par ces femmes, est utilisé pour leurs besoins domestiques immédiats et l’éducation de leurs enfants, ou investi dans d’autres entreprises, générant des bénéfices. Ces femmes ont déjà planté plus de 20 millions d’arbres dans tout le Kenya et fondé plus de 6000 pépinières d’arbres. Plus d’un demi-million d’écolier·es ont été aussi formé·es aux valeurs du développement durable. Là encore, nulle mention d’écoféminisme, mais une démarche et des intérêts qui résonnent avec les revendications du mouvement.
L’écoféminisme est la déconstruction de la pensée binaire et hiérarchique
L’opposition structurelle nature/culture imposées par la pensée libérale des siècles des Lumières est déconstruite. L’écoféminisme retourne l’association négative femme/nature en un objet de revendications et de luttes politiques qui concernent tout à chacun·e. Là où le féminisme se divise entre courant constructiviste et essentialiste, la pensée écoféministe se réapproprie la part biologique afin de sortir de ce dualisme nature/culture qui demande de choisir entre le corps et l’esprit. L’écoféminisme ne veut pas plus abandonner la nature que toutes les femmes mais bien réhabiliter et régénérer la nature et la féminité sans revenir à la conception dualiste et hiérarchique.
Reclaim, ici et maintenant
Les écoféministes se sont appropriées le terme Reclaim issu du vocabulaire écologique en raison de la puissance de son sens. Reclaim signifie « se réapproprier quelque chose de détruit, de dévalorisé, et le modifier comme être modifié par cette réappropriation.(6)». Les actions non-violentes, les rituels néopaïens, les mobilisations sont autant de tentatives pragmatiques de réparation culturelle par des actes de guérison et d’émancipation. « Réhabilité » et « régénéré » sont les maîtres mots et actions. Aujourd’hui, Reclaim, mot puissant intraduisible, est en passe de rentrer dans l’usage courant de la langue française et revendique l’idée de réparation, de régénération et de création ici et maintenant.
La « Deep écologie », une philosophie pour retrouvrer la « véritable nature »
Le terme de « Ecologie profonde » a été créé par le philosophe norvégien Arne Næss en 1973. Elle est une branche de la philosophie écologique apparue dans les années 70, qui considère l’humanité comme étant partie intégrante de l’écosystème. La « Deep ecology » s’intéresse aux modèles symboliques, à la fois psychologiques et éthiques, qui sont à la source de nos relations à l’environnement. Elle s’oppose à une écologie posant la satisfaction des besoins humains comme unique finalité de la préservation de la nature et attribuant donc au reste du vivant le statut de « ressource ». Joanna Macy, l’une des représentantes actives les plus renommées dans le mouvement de l’écologie profonde, a dédié sa carrière au phénomène d’éco-anxiété ou solastalgie. Comme les autres tenant·es de l’écopsychologie, l’approche de Macy rompt avec le dualisme cartésien et occidental dualiste. Elle milite pour une écologie profonde qui requiert une transformation de la conscience jusqu’à recouvrer notre « véritable nature » : à savoir l’expérience de notre profonde «inter-existence », notion essentielle du bouddhisme. Un des succès de la méthodologie de Joanna Macy, qu’elle a nommé Le Travail Qui Relie, est l’approche collective, là où la plupart des psychothérapies sont individuelles. Le Travail Qui Relie est une démarche qui réveille en nous l’énergie et la volonté d’agir, à l’opposé du désespoir et fatalisme auquel nous pouvons être confrontés quotidiennement. Il s’agit de réaliser son appartenance à un ensemble et de découvrir que nous avons le pouvoir de créer une société soutenable c’est-à-dire de passer à l’action en identifiant nos aspirations pour mettre nos talents et ressources au service du Vivant.
Les luttes actuelles
Le dérèglement climatique, c’est notre présent à toutes et tous, partout dans le monde. Phénomène global, il appelle des réponses mondiales : baisse massive des émissions de gaz à effet de serre, lutte contre les pollueur·ses et le système productiviste qu’il et elles nourrissent, solidarité internationale entre les pays riches et le Sud, justice sociale et protection des droits humains doivent être les principes directeurs de l’action pour la justice climatique. Nos dirigeant·es en sont encore à discuter des moyens à mettre en œuvre face aux changements climatiques ou à tenter de verdir leurs images, en même temps que celles de nombreuses entreprises multinationales. Ils et elles restent sourds aux interpellations, aux pétitions ou aux marches massives à travers le monde. Ils et elles s’assoient sur les rapports du GIEC et les alertes de scientifiques. Ils et elles regardent ailleurs alors que les dérèglements climatiques sont toujours plus nombreux, plus violents et plus meurtriers.
Face à cette inaction climatique, qui devient un véritable crime contre le vivant, les mouvements populaires, citoyens, prennent la relève.
Les actions fondatrices écoféministes ont ouvert la brèche d’actions citoyennes non-violentes et inclusives pour un monde plus conscient des liens intrinsèques et fondamentaux entre la Nature et tout être-vivant. En rejetant l’économie libérale et les principes de croissance, en dénonçant les principes néfastes du capitalisme, l’écoféminisme nous propose de « muter la société ». Il invite à la désobéissance créatrice et constructive, à déceler et à décortiquer les « impensés », à sortir le pouvoir de la notion binaire et de la hiérarchie.
A travers ce développement, nous voyons bien que l’écoféminisme invite à transformer nos imaginaires et bien qu’il ait jamais existé en tant qu’entité organisée, son aura infuse aujourd’hui dans des mouvements mêlant action directe : Reclaim the Streets en Angleterre (mouvement anticapitaliste) – Podemos en Espagne (parti politique pour la lutte écologiste) – Alternatiba en Europe (mouvement pour le climat et la justice sociale) – Nature Rights (mouvement pour les droits de la nature) mais également, à travers des personnalités telles que l’activiste suédoise Greta Thunberg et ses discours ponctués de « Comment osez-vous ? » à l’encontre des dirigeant·es, ou encore le philosophe australien Glenn Albrecht et la juriste française Marine Calmet qui revendiquent les émotions et les droits pour la Nature (7).
Une prise de conscience et des actions collectives émanant de mouvements variés souvent initiés par la société civile contre le capitalisme et le patriarcat permettent des avancées réelles pour l’avenir de la communauté du Vivant. Le syndicalisme a toute sa place dans cette action globale et peut initier, collaborer et former pour une société plus juste, durable et égalitaire.
(1) HACHE, Émilie, Reclaim: Anthologie de textes écoféministes
(2) HACHE, Émilie, Reclaim: Anthologie de textes écoféministes
(3) CAMBOURAKIS, Isabelle, Un écoféminisme à la française? Les liens entre mouvements féministe et écologiste dans les années 1970 en France, Genre & histoire (revue de l’association Mnémosyme, 2018
(4) EAUBONNE, Françoise, Le féminisme ou la mort, Éd. Passage clandestin, 1974 – 2020
(5) EAUBONNE, Françoise, Le féminisme ou la mort, Éd. Passage clandestin, 1974 – 2020
(6) HACHE, Émilie, Reclaim : Anthologie de textes écoféministes
(7) CALMET Marine, Devenir gardiens de la nature – Pour la défense du vivant et des générations futures, Édition Tana collection Le temps des imaginaires, 2021