Formation continue des enseignants : dommage collatéral ou entreprise de démolition ?

Former hors du "temps de présence devant les élèves" ? Depuis plusieurs semaines, les annonces concernant l’École sont légion. L’une d’entre elles, évoquée depuis plusieurs mois et réaffirmée par le ministre dès juillet, se met désormais en œuvre : il s’agit de « ne plus perdre d’heures » de cours en assurant la formation des enseignants « hors du temps de présence devant les élèves ». Cette logique constitue un profond bouleversement de la situation existante dans le second degré. Cela signifie un déplacement de la formation sur les mercredis après-midi, sur les samedis, voire sur certains jours de vacances (comme le permet le décret Blanquer de septembre 2019).

En Normandie : une mise en œuvre dans un silence assourdissant

Dans l’Académie de Normandie, la mise en place de l’annonce ministérielle se fait, au cours de cette rentrée, avec une certaine discrétion complétée d’une bonne dose de confusion. Confusion, loin d’être dissipée en ce début de mois d’octobre !

A l’heure où l’on écrit ces lignes le Plan Régional Académique de Formation n’est pas encore arrêté ; les enseignants n’ont été destinataires d’aucune information ; les propos des corps d’inspection (quand il y en a) restent vagues, voire contradictoires ; l’École Académique de la Formation continue (E.A.F.C.) tarde à réunir et informer officiellement ses « formateurs ».  Aucune parole politique régionale n’est venue assumer les changements qui semblent pourtant s’opérer.

Une petite phrase, inscrite au bas des convocations éditées en septembre, n’est en effet pas passée inaperçue : « la participation à cette formation ne doit pas diminuer le temps d’apprentissage dû aux élèves ».   Tout un programme !! Dans le même temps, inquiets des éléments qui commençaient à circuler (déplacement des « réunions de production » sur des temps inhabituels), des formateurs lançaient une pétition en ligne pour tirer la sonnette d’alarme.

Un Groupe de Travail qui confirme les craintes

Le jeudi 28 septembre se tenait un groupe de travail « EAFC » auquel participaient les représentants des personnels du SE-UNSA, de la FSU, du SGEN-CFDT et de la CGT.   A l’ordre du jour, l’examen du PRAF (Plan de formation) et, surtout, « les modalités et temporalités de la formation. » Ce second point a constitué le cœur des échanges. Toutes les incertitudes n’ont pas été levées, loin s’en faut. Et les craintes n’ont pas été apaisées, bien au contraire.

Oui, l’idée est bien de faire en sorte de ne plus « perdre d’heures de cours ». Oui, l’idée est bien de déplacer le temps de formation des enseignants du second degré hors du temps de « face-à-face pédagogique » 50% d’abord ? 100% en 2024 ? Ce n’est pas très clair ! Au-delà de l’organisation purement structurelle (former pendant les vacances par exemple), on entend aussi sans doute jouer la carte de la pression locale : la « petite phrase » sur la convocation s’accompagne de fait d’une modification dans l’application SOFIA, qui impose désormais un accord explicite du chef d’établissement et le « contraint » à refuser le départ en formation ou à trouver une « solution » interne.

Les représentants du SE-UNSA et de l’UNSA-Education ont dit tout le mal qu’ils pensaient de ces évolutions.

Le SNPDEN-UNSA (syndicat des chefs d’établissement) a écrit à la Rectrice pour dénoncer, outre le déficit total d’information officielle, le caractère absurde et chronophage de ces dispositifs. Le courrier est clair : « la formation des personnels est un droit et le remplacement de courte durée est un acte basé sur le volontariat […] il ne revient pas aux chefs d’établissement de refuser une formation à un enseignant sous prétexte qu’il ne peut pas être remplacé. ».

Pour le SE-UNSA, la volonté ministérielle constitue une triste nouvelle pour le système éducatif.

Cette décision, pour un gain relativement léger (récupérer « quelques heures ») risque de démultiplier les difficultés et les tensions au sein des équipes dans les collèges et les lycées.

Cette décision, encore une fois, véhicule et accrédite une vision méprisante des enseignants, des formateurs et de leur travail (des fainéants inoccupés en dehors de leurs heures de cours).

Cette décision marque un nouveau recul des droits des personnels et risque de faire mourir une formation continue déjà moribonde du fait du sous-investissement chronique de l’État depuis des décennies.

Cette décision est, enfin, incohérente avec les autres ambitions ministérielles : comment, par exemple, envisager de former massivement à la lutte contre le harcèlement sans formation ?

On le sait, la formation continue des enseignants est, avec la mixité sociale et la question des effectifs, un levier essentiel de la réussite des élèves. Toutes les études pointent la nécessité d’avoir une approche qualitative de l’École. Mais, pour le ministère de l’Éducation Nationale, au-delà des formules de communicants, la réalité est plus que jamais comptable : toujours davantage d’« heures élèves », avec toujours moins de profs, et maintenant moins de formation.