Voie pro : une énième réforme qui interroge
Depuis longtemps s’est établie une ligne de partage entre l’apprentissage et ses objectifs d’une insertion rapide sur le marché de l’emploi pour certaines filières et l’offre élargie du lycée professionnel, LP qui apporte une véritable plus-value éducative et citoyenne au sein du service public d’éducation et de formation, tout en ouvrant la perspective d’une poursuite d’études et d’une insertion à plus long terme.
Loin de jouer chacune leur seule partition, ces deux voies proposent des alternatives aux candidats qui voudraient diversifier leur parcours de formation en mixant les deux formules, montrant par là qu’elles peuvent et savent être pleinement complémentaires.
Mais l’actualité rattrape cette bonne entente ; en annonçant vouloir s’attacher à optimiser l’insertion par la voie professionnelle, le nouveau gouvernement pourrait menacer un tandem qui fonctionne dans sa diversité et sa différenciation.
Nomination qui interpelle
La nomination, le 4 juillet 2022, de Carole Grandjean comme ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels, avec un portefeuille placé sous la double tutelle des ministres du Travail et de l’Éducation nationale interpelle alors que le gouvernement travaille à la sensible augmentation des PFMP (périodes de formation en milieu professionnel) promises à gratification, interrogeant sur le devenir de la voie pro sous statut scolaire tout juste réformée.
Ces annonces interviennent à l’heure où la DEPP vient de produire ses études annuelles sur l’insertion des apprentis et des lycéens pro. Il s’avère, au regard des chiffres, que le LP n’a rien à envier à l’apprentissage en matière d’entrée sur le marché du travail.
En juillet 2021, deux ans après leur sortie de formation, 72% des apprentis sont en emploi contre 56% des lycéens de la voie professionnelle sachant que 9% de lycéens pro ont voulu poursuivre leurs études ; parmi eux, 62% ont adopté l’apprentissage, 23% se sont inscrits dans l’enseignement supérieur (hors apprentissage) et 14% ont poursuivi dans la voie professionnelle scolaire.
Ces études tendent donc à montrer des résultats probants ainsi qu’une certaine appétence des lycéens à vouloir combiner les deux systèmes afin d’optimiser leur insertion, à la fois par l’obtention d’un diplôme plus élevé et par une entrée graduelle sur le marché du travail en qualité d’apprenti.
Un déficit record
Autre interrogation : aux tenants du tout apprentissage, un récent rapport de la Cour des comptes leur renvoie comme un boomerang les chiffres alarmants d’une déroute financière des comptes publics. Le développement exponentiel de l’apprentissage sur les trois dernières années a largement pesé dans le déficit record des fonds dédiés à l’alternance, qui dépasse désormais les 3 milliards d’euros après abondement de l’Etat de plus de 2 milliards pour réduire le déficit. A cela s’ajoute la réflexion mitigée de la Cour des comptes sur les effets d’aubaine des entreprises liés aux aides exceptionnelles de l’État, incitant à poser la question de la valeur réelle d’une économie soutenue à un si haut niveau par les pouvoirs publics.
Pour couronner cette impasse, la Cour des comptes fait l’aveu que ces fonds ont surtout profité aux apprentis du supérieur, au détriment des apprentis des bas niveaux de qualification. En bref, de ceux qui en ont le plus besoin alors que la réforme de l’apprentissage avait été faite pour eux.
A l’UNSA Éducation, nous déplorons avec gravité cette situation. D’une part, le système actuel d’apprentissage pénalise les jeunes les plus fragiles qui ne bénéficient pas des effets attendus de la réforme de 2018, remettant en jeu le principe d’égalité des chances. En second lieu, nous nous inquiétons de la volonté du gouvernement de lancer un nouveau chantier du lycée pro sans tenir compte de sa dimension éducative au sens large, ni prendre le temps de tirer les leçons d’une réforme qui vient juste de s’achever et qui l’a largement doté d’un volet « insertion ». Pour notre organisation, il est impérieux de conserver l’identité claire de ces deux voies de formation appelées à se compléter, dans le respect de chacune d’elle, autant qu’elles permettent à chaque jeune d’apprendre un métier en tout point du territoire et de se construire comme citoyen acteur de sa vie personnelle et professionnelle.