Une pédagogie de la mort

Dans quelques jours, certains arpenteront les rues déguisés en mort-vivants. D’autres –les mêmes peut-être- iront fleurir les tombes de leurs défunts. A l’exception de cette représentation ponctuelle, symbolique et un peu caricaturale, la mort est peu montrée dans notre société. Pire, elle est cachée, niée, périphrasée. Comme si ne pas la voir, ni la nommer pouvait la faire oublier, disparaître.

Les enfants n’ont pas cette même réticence pour aborder la mort et l’Education ne saurait passer à côté d’un sujet aussi important.

« Eduquer, c’est mourir » affirmait Michel de Certeau, parce que pour le philosophe -comme l’explique Baptiste Jacomino dans sa thèse La pédagogie et la mort : penser l’éducation avec Michel de Certeau- « le maître a vocation à articuler, autour de sa propre disparition, la tradition qu’il transmet et le travail d’invention qui revient à l’élève ». En effet, l’éducateur n’est pas appelé à assurer une présence permanente, mais bien à construire les conditions de son retrait, de sa disparition pour que l’élève, l’apprenant prenne son envol, assume sa propre progression par lui-même, mène sa vie.

Ainsi donc, l’Education est aussi un apprentissage de la séparation, de la prise de distance et d’autonomie. Une émancipation par rapport à ses maîtres.

Mort symbolique que cet éloignement éducatif !

Au-delà, la mort réelle fait également partie de l’expérience et donc de la vie des enfants et des jeunes. De manière plus ou moins proche et violente, ils y seront confrontés. Beaucoup manqueront alors de lieu, de temps, de bonnes conditions pour pouvoir en parler et exprimer ce qu’ils ressentent.

Pourtant note René Barbier (Université Paris 8) « la mort n’est un sujet tabou que chez les adultes soi-disant éducateurs. Les enfants l’abordent directement, avec leur imaginaire et souvent avec une profonde lucidité… ». Il ajoute par ailleurs que « les autres civilisations n’ont pas le même refus (la même peur ?) d’inscrire la mort, ses rituels, ses interpellations essentielles, dans une éducation de la personne ».

En France les approches éducatives de la mort sont rares et –reconnaissons-le- souvent compliquées. René Barbier cite la tentative d’intervention d’une de ses étudiantes, Marie-Ange Abras (théorisée dans  sa thèse de sciences de l’éducation soutenue en 2000 à l’Université de Paris 8 S’éduquer à la mort. Philosophie de l’éducation et recherche-formation existentielle) et son association ORME. Il relate qu’ « elle n’a pas hésité à vouloir appliquer cette problématique et cette méthodologie d’une façon originale […] Des rapports de l’enfant à la mort de l’animal, en passant par mort et histoire, mort et psychologie, peur de la mort chez l’adulte, l’infirmière et la mort, le besoin de parler de la mort chez l’enfant, mort et esthétique, mort et philosophie, question de la douleur et soins palliatifs, euthanasie, acharnement thérapeutique, crémation et rituels de deuil dans différentes cultures, Marie-Ange Abras a fait miroiter toutes les facettes du problème. » Mais ajoute-t-il « réaliser la confrontation entre ces interrogations et hypothétiques et le terrain n’était pas sans problème […] Cette question de la mort et du deuil, nous n’arrêtons pas de la rencontrer dans notre activité pédagogique. Mais le domaine est vierge en éducation. »

D’autres professionnelles de l’accompagnement des enfants malades (Marie-Ange Abras a été infirmière en soins palliatifs durant près de 20 ans) mènent un travail intéressant à partir des contes comme en témoigne le récit de Carmen Strauss-Raffy dans son texte Et si la mort était contée… Elle montre comment le travail, l’échange, l’utilisation de ces « récits inventés par les hommes pour tenter de « faire avec » la mort, de la transfigurer, de lui donner sens » permettent de libérer la parole et de dépasser les représentations convenues. Michel de Certeau -pour revenir à lui- considérait que « la littérature est le lieu unique où peut se dire l’innommable de la mort dans un monde qui la proscrit » et interrogeait ainsi les finalités, les contenus et les formes pédagogiques de l’enseignement des lettres.

De fait si le rapport à la mort peut concerner plusieurs enseignements disciplinaires (histoire, biologie, lettres, philosophie…), il est avant tout un thème d’éducation transdisciplinaire qui nécessite la mobilisation de l’ensemble des acteurs éducatifs.

En effet, une partie de la question relève du domaine privé de la croyance, de la tradition personnelle et familiale, du choix individuel.

Mais si les lieux d’éducation ne veulent pas être absents, au risque de le laisser la place libres aux seuls dogmes, ils se doivent de proposer de l’écoute et du débat, de mettre la question en perspective historique, philosophique, affective…

« Une pédagogie de la mort et de la perte à l’école : écouter, parler, représenter » c’est ce que propose l’un des chapitres du récent ouvrage La mort à l’école, sous la direction de Christine Fawer-Caputo et Martin Julier-Costes (éditions DE Boeck, 2016).  Une thématique, certes renforcée par la cruelle actualité de ces derniers mois, mais qui mérite une approche laïque et éducative au quotidien, au-delà des événements tragiques et des rendez-vous symboliques et convenus.

 

Denis ADAM, le 26 octobre 2016

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Dans quelques jours, certains arpenteront les rues déguisés en mort-vivants. D’autres –les mêmes peut-être- iront fleurir les tombes de leurs défunts. A l’exception de cette représentation ponctuelle, symbolique et un peu caricaturale, la mort est peu montrée dans notre société. Pire, elle est cachée, niée, périphrasée. Comme si ne pas la voir, ni la nommer pouvait la faire oublier, disparaître.

Les enfants n’ont pas cette même réticence pour aborder la mort et l’Education ne saurait passer à côté d’un sujet aussi important.

« Eduquer, c’est mourir » affirmait Michel de Certeau, parce que pour le philosophe -comme l’explique Baptiste Jacomino dans sa thèse La pédagogie et la mort : penser l’éducation avec Michel de Certeau- « le maître a vocation à articuler, autour de sa propre disparition, la tradition qu’il transmet et le travail d’invention qui revient à l’élève ». En effet, l’éducateur n’est pas appelé à assurer une présence permanente, mais bien à construire les conditions de son retrait, de sa disparition pour que l’élève, l’apprenant prenne son envol, assume sa propre progression par lui-même, mène sa vie.

Ainsi donc, l’Education est aussi un apprentissage de la séparation, de la prise de distance et d’autonomie. Une émancipation par rapport à ses maîtres.

Mort symbolique que cet éloignement éducatif !

Au-delà, la mort réelle fait également partie de l’expérience et donc de la vie des enfants et des jeunes. De manière plus ou moins proche et violente, ils y seront confrontés. Beaucoup manqueront alors de lieu, de temps, de bonnes conditions pour pouvoir en parler et exprimer ce qu’ils ressentent.

Pourtant note René Barbier (Université Paris 8) « la mort n’est un sujet tabou que chez les adultes soi-disant éducateurs. Les enfants l’abordent directement, avec leur imaginaire et souvent avec une profonde lucidité… ». Il ajoute par ailleurs que « les autres civilisations n’ont pas le même refus (la même peur ?) d’inscrire la mort, ses rituels, ses interpellations essentielles, dans une éducation de la personne ».

En France les approches éducatives de la mort sont rares et –reconnaissons-le- souvent compliquées. René Barbier cite la tentative d’intervention d’une de ses étudiantes, Marie-Ange Abras (théorisée dans  sa thèse de sciences de l’éducation soutenue en 2000 à l’Université de Paris 8 S’éduquer à la mort. Philosophie de l’éducation et recherche-formation existentielle) et son association ORME. Il relate qu’ « elle n’a pas hésité à vouloir appliquer cette problématique et cette méthodologie d’une façon originale […] Des rapports de l’enfant à la mort de l’animal, en passant par mort et histoire, mort et psychologie, peur de la mort chez l’adulte, l’infirmière et la mort, le besoin de parler de la mort chez l’enfant, mort et esthétique, mort et philosophie, question de la douleur et soins palliatifs, euthanasie, acharnement thérapeutique, crémation et rituels de deuil dans différentes cultures, Marie-Ange Abras a fait miroiter toutes les facettes du problème. » Mais ajoute-t-il « réaliser la confrontation entre ces interrogations et hypothétiques et le terrain n’était pas sans problème […] Cette question de la mort et du deuil, nous n’arrêtons pas de la rencontrer dans notre activité pédagogique. Mais le domaine est vierge en éducation. »

D’autres professionnelles de l’accompagnement des enfants malades (Marie-Ange Abras a été infirmière en soins palliatifs durant près de 20 ans) mènent un travail intéressant à partir des contes comme en témoigne le récit de Carmen Strauss-Raffy dans son texte Et si la mort était contée… Elle montre comment le travail, l’échange, l’utilisation de ces « récits inventés par les hommes pour tenter de « faire avec » la mort, de la transfigurer, de lui donner sens » permettent de libérer la parole et de dépasser les représentations convenues. Michel de Certeau -pour revenir à lui- considérait que « la littérature est le lieu unique où peut se dire l’innommable de la mort dans un monde qui la proscrit » et interrogeait ainsi les finalités, les contenus et les formes pédagogiques de l’enseignement des lettres.

De fait si le rapport à la mort peut concerner plusieurs enseignements disciplinaires (histoire, biologie, lettres, philosophie…), il est avant tout un thème d’éducation transdisciplinaire qui nécessite la mobilisation de l’ensemble des acteurs éducatifs.

En effet, une partie de la question relève du domaine privé de la croyance, de la tradition personnelle et familiale, du choix individuel.

Mais si les lieux d’éducation ne veulent pas être absents, au risque de le laisser la place libres aux seuls dogmes, ils se doivent de proposer de l’écoute et du débat, de mettre la question en perspective historique, philosophique, affective…

« Une pédagogie de la mort et de la perte à l’école : écouter, parler, représenter » c’est ce que propose l’un des chapitres du récent ouvrage La mort à l’école, sous la direction de Christine Fawer-Caputo et Martin Julier-Costes (éditions DE Boeck, 2016).  Une thématique, certes renforcée par la cruelle actualité de ces derniers mois, mais qui mérite une approche laïque et éducative au quotidien, au-delà des événements tragiques et des rendez-vous symboliques et convenus.

 

Denis ADAM, le 26 octobre 2016