Une lettre…que vous lirez peut-être

 

 

Il est de tradition d’envoyer quelques nouvelles à ses proches ou à ses amis durant ses vacances. C’est le rôle de la carte postale -même si aujourd’hui elle est fortement concurrencée par la SMS ou le mail- dont il est, le plus souvent, inutile de lire le petit message standardisé qui parle avec bonne humeur de repos, de soleil, de farniente…

Si d’autres missives ne nécessitent pas d’être lues pour en connaître le contenu (celles d’amour peut-être comme celles du percepteur…), il en est dont les mots marquent comme des fers incandescents et invitent à être maintes fois relus.

On sait le succès qu’a pu avoir à une époque la littérature épistolaire… on connait aussi combien de tentatives d’héritage ont été rédigées sous la forme de « lettre à … », emprunté à la « lettre à un jeune poète » de Rainer Maria Rilke.

Ainsi, relira-t-on avec édification quelques extraits de courriers d’été.
– celui de Victor Hugo qui le 24 juin 1862 se déclare radical et affirme à Lamartine :
« Oui, autant qu’il est permis à l’homme de vouloir, je veux détruire la fatalité humaine ; je condamne l’esclavage, je chasse la misère, j’enseigne l’ignorance, je traite la maladie, j’éclaire la nuit, je hais la haine.
Voilà ce que je suis, et voilà pourquoi j’ai fait Les Misérables.
Dans ma pensée, Les Misérables ne sont autre chose qu’un livre ayant la fraternité pour base et le progrès pour cime.
Maintenant jugez-moi. »

– celui de Marx Dormoy à André Blumel qui – le 23 juin 1941- rappelle la responsabilité d’un parlementaire et qui pourrait certainement être médité encore aujourd’hui
« Après tout – je parle pour moi – un parlementaire doit, à l’occasion, être capable de souffrir pour ses idées.[…]. Rien ne l’obligeait à faire de la politique. Il n’a pas été élu seulement pour prononcer, de temps à autre, un discours sur les malheurs de l’agriculture… et se constituer une retraite. Il doit être capable d’affronter les périls qui sont les risques du métier. »

– celui écrit le lundi 16 juillet 1951 par René Char à Albert Camus à propos de son « Homme révolté »
« Quel généreux courage ! Quelle puissante et intelligence tout au long ! (Ah ! cher Albert, cette lecture m’a rajeuni, rafraîchi, raffermi, étendu. Merci.) Votre livre marque l’entrée dans le combat, dans le grand combat intérieur et externe aussi des vrais, des seuls arguments — actions valables pour le bienfait de l’homme, de sa conservation en risque et en mouvement. Vous n’êtes jamais naïf, vous pesez avec un scrupule. Cette montagne que vous élevez, édifiez tout à coup, refuge et arsenal à la fois, support et tremplin d’action et de pensée, nous serons nombreux, croyez-le, sans possessif exagéré, à en faire notre montagne.
Nous ne dirons plus « il faut bien vivre puisque » mais « cela vaut la peine de vivre parce que… ». Vous avez gagné la bataille principale, celle que les guerriers ne gagnent jamais. Comme c’est magnifique de s’enfoncer dans la vérité.
»

– ou encore celui de Malcom X à Martin Luther King, il y a 54 ans, le 31 Juillet 1963 invitant toutes les « factions Noires » à s’unir pour agir dans le calme et la détermination :
« La crise raciale en cours dans ce pays est composée de puissants ingrédients destructeurs qui risquent de jaillir sous peu en une explosion incontrôlable. La gravité de la situation nécessite que des mesures soient prises sans délai par ceux qui expriment un intérêt réel pour la question, afin de résoudre ce problème crucial avant que le baril de poudre raciste n’explose.
Un Front Uni rassemblant toutes les factions Noires, leurs éléments et leurs meneurs, est absolument nécessaire.
Une explosion raciste est plus destructrice qu’une explosion nucléaire.
Si le capitaliste Kennedy et le communiste Khrouchtchev sont en mesure de trouver un point commun à partir duquel former un Front Uni en dépit de leurs immenses différences idéologiques, c’est une disgrâce pour les leaders noirs de ne pas être capables de surpasser leurs désaccords « mineurs » pour chercher une solution commune, à un problème commun, causé par un Ennemi Commun.
»

– courrier auquel fait écho la lettre que Nelson Mandela écrit de sa cellule à son épouse le 1er août 1970
« Il y aura toujours des hommes de bonne volonté sur terre, dans tous les pays, et même dans le nôtre. Un jour, nous aurons pour nous le soutien sincère et indéfectible d’un homme honnête, placé au sommet de l’État, qui jugera incorrect de ne pas honorer son devoir consistant à protéger les droits et les prérogatives de ses ennemis les plus résolus, dans la bataille d’idées qui se joue ici ; un homme qui se fera de la justice et de l’équité une idée suffisamment haute pour nous garantir non seulement les droits et prérogatives que la loi nous accorde déjà, mais qui nous dédommagera pour ceux dont nous avons été privés.
En dépit de tout ce qui est arrivé, des vicissitudes et des revers de fortune des quinze derniers mois, je garde espoir. […] Je suis convaincu qu’une avalanche de calamités personnelles ne peut pas écraser un révolutionnaire déterminé, pas plus que le brouillard obscur qui accompagne de telles tragédies ne peut le faire suffoquer.
L’espoir est au combattant de la liberté ce que la bouée de sauvetage est au nageur : la garantie qu’il ne se noiera pas, qu’il restera à l’abri du danger. Ma chérie, je sais que si la richesse se mesurait en pesant l’espoir et le courage, avec ce que tu recèles en ton sein (cette idée, je la tiens de toi), tu serais certainement millionnaire.
Souviens-t ’en toujours.
»


Il y en aurait bien d’autres qu’il faudrait relire et dont il faudrait se souvenir.

Dans le domaine éducatif, la lettre peut aussi être utilisée.

On sait la récupération qu’avait tenté de faire Nicolas Sarkozy de la lettre de Guy Môquet. On se rappelle aussi le livre « lettre à tous ceux qui aiment l’école » de Luc Ferry en 2003.

L’actuel et nouveau ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer s’est donc également prêté à cet exercice d’écriture. Le 6 juillet dernier, il écrivait aux professeurs et aux personnels de l’éducation nationale (oubliant au passage ceux de la jeunesse, dont il est également le ministre, à sa demande selon ses dires). Pour leur parler de confiance.

En fait, comme pour les cartes postales de vacances, ce courrier convenu ne dit pas grand-chose. On pourrait facilement sans le lire, y deviner les remerciements pour le travail accompli et l’encouragement pour les évolutions à venir, quelque peu détaillées, mais pas trop.

Une lettre dont le sens est davantage à chercher dans l’acte d’écrire que dans le contenu du texte : le ministre cherche à marquer sa relation directe avec les personnels, une sorte de proximité, de connivence. Pour un qui se veut le « ministère de l’idéal », le « ministère de l’humain ».

Pas sûr que ce courrier suffise à dynamiser des professionnels de l’éducation ballotés entre réforme et contre-réforme, sans réellement être associés aux changements indispensables, qu’ils espèrent et appellent de leurs vœux.
Mais, en pensant peu à peu à la rentrée à venir, certains se rappelleront qu’ils ont reçu une lettre…et la liront peut-être.

 

Denis ADAM, le 2 août 2017
 

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Il est de tradition d’envoyer quelques nouvelles à ses proches ou à ses amis durant ses vacances. C’est le rôle de la carte postale -même si aujourd’hui elle est fortement concurrencée par la SMS ou le mail- dont il est, le plus souvent, inutile de lire le petit message standardisé qui parle avec bonne humeur de repos, de soleil, de farniente…

Si d’autres missives ne nécessitent pas d’être lues pour en connaître le contenu (celles d’amour peut-être comme celles du percepteur…), il en est dont les mots marquent comme des fers incandescents et invitent à être maintes fois relus.

On sait le succès qu’a pu avoir à une époque la littérature épistolaire… on connait aussi combien de tentatives d’héritage ont été rédigées sous la forme de « lettre à … », emprunté à la « lettre à un jeune poète » de Rainer Maria Rilke.

Ainsi, relira-t-on avec édification quelques extraits de courriers d’été.
– celui de Victor Hugo qui le 24 juin 1862 se déclare radical et affirme à Lamartine :
« Oui, autant qu’il est permis à l’homme de vouloir, je veux détruire la fatalité humaine ; je condamne l’esclavage, je chasse la misère, j’enseigne l’ignorance, je traite la maladie, j’éclaire la nuit, je hais la haine.
Voilà ce que je suis, et voilà pourquoi j’ai fait Les Misérables.
Dans ma pensée, Les Misérables ne sont autre chose qu’un livre ayant la fraternité pour base et le progrès pour cime.
Maintenant jugez-moi. »

– celui de Marx Dormoy à André Blumel qui – le 23 juin 1941- rappelle la responsabilité d’un parlementaire et qui pourrait certainement être médité encore aujourd’hui
« Après tout – je parle pour moi – un parlementaire doit, à l’occasion, être capable de souffrir pour ses idées.[…]. Rien ne l’obligeait à faire de la politique. Il n’a pas été élu seulement pour prononcer, de temps à autre, un discours sur les malheurs de l’agriculture… et se constituer une retraite. Il doit être capable d’affronter les périls qui sont les risques du métier. »

– celui écrit le lundi 16 juillet 1951 par René Char à Albert Camus à propos de son « Homme révolté »
« Quel généreux courage ! Quelle puissante et intelligence tout au long ! (Ah ! cher Albert, cette lecture m’a rajeuni, rafraîchi, raffermi, étendu. Merci.) Votre livre marque l’entrée dans le combat, dans le grand combat intérieur et externe aussi des vrais, des seuls arguments — actions valables pour le bienfait de l’homme, de sa conservation en risque et en mouvement. Vous n’êtes jamais naïf, vous pesez avec un scrupule. Cette montagne que vous élevez, édifiez tout à coup, refuge et arsenal à la fois, support et tremplin d’action et de pensée, nous serons nombreux, croyez-le, sans possessif exagéré, à en faire notre montagne.
Nous ne dirons plus « il faut bien vivre puisque » mais « cela vaut la peine de vivre parce que… ». Vous avez gagné la bataille principale, celle que les guerriers ne gagnent jamais. Comme c’est magnifique de s’enfoncer dans la vérité.
»

– ou encore celui de Malcom X à Martin Luther King, il y a 54 ans, le 31 Juillet 1963 invitant toutes les « factions Noires » à s’unir pour agir dans le calme et la détermination :
« La crise raciale en cours dans ce pays est composée de puissants ingrédients destructeurs qui risquent de jaillir sous peu en une explosion incontrôlable. La gravité de la situation nécessite que des mesures soient prises sans délai par ceux qui expriment un intérêt réel pour la question, afin de résoudre ce problème crucial avant que le baril de poudre raciste n’explose.
Un Front Uni rassemblant toutes les factions Noires, leurs éléments et leurs meneurs, est absolument nécessaire.
Une explosion raciste est plus destructrice qu’une explosion nucléaire.
Si le capitaliste Kennedy et le communiste Khrouchtchev sont en mesure de trouver un point commun à partir duquel former un Front Uni en dépit de leurs immenses différences idéologiques, c’est une disgrâce pour les leaders noirs de ne pas être capables de surpasser leurs désaccords « mineurs » pour chercher une solution commune, à un problème commun, causé par un Ennemi Commun.
»

– courrier auquel fait écho la lettre que Nelson Mandela écrit de sa cellule à son épouse le 1er août 1970
« Il y aura toujours des hommes de bonne volonté sur terre, dans tous les pays, et même dans le nôtre. Un jour, nous aurons pour nous le soutien sincère et indéfectible d’un homme honnête, placé au sommet de l’État, qui jugera incorrect de ne pas honorer son devoir consistant à protéger les droits et les prérogatives de ses ennemis les plus résolus, dans la bataille d’idées qui se joue ici ; un homme qui se fera de la justice et de l’équité une idée suffisamment haute pour nous garantir non seulement les droits et prérogatives que la loi nous accorde déjà, mais qui nous dédommagera pour ceux dont nous avons été privés.
En dépit de tout ce qui est arrivé, des vicissitudes et des revers de fortune des quinze derniers mois, je garde espoir. […] Je suis convaincu qu’une avalanche de calamités personnelles ne peut pas écraser un révolutionnaire déterminé, pas plus que le brouillard obscur qui accompagne de telles tragédies ne peut le faire suffoquer.
L’espoir est au combattant de la liberté ce que la bouée de sauvetage est au nageur : la garantie qu’il ne se noiera pas, qu’il restera à l’abri du danger. Ma chérie, je sais que si la richesse se mesurait en pesant l’espoir et le courage, avec ce que tu recèles en ton sein (cette idée, je la tiens de toi), tu serais certainement millionnaire.
Souviens-t ’en toujours.
»


Il y en aurait bien d’autres qu’il faudrait relire et dont il faudrait se souvenir.

Dans le domaine éducatif, la lettre peut aussi être utilisée.

On sait la récupération qu’avait tenté de faire Nicolas Sarkozy de la lettre de Guy Môquet. On se rappelle aussi le livre « lettre à tous ceux qui aiment l’école » de Luc Ferry en 2003.

L’actuel et nouveau ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer s’est donc également prêté à cet exercice d’écriture. Le 6 juillet dernier, il écrivait aux professeurs et aux personnels de l’éducation nationale (oubliant au passage ceux de la jeunesse, dont il est également le ministre, à sa demande selon ses dires). Pour leur parler de confiance.

En fait, comme pour les cartes postales de vacances, ce courrier convenu ne dit pas grand-chose. On pourrait facilement sans le lire, y deviner les remerciements pour le travail accompli et l’encouragement pour les évolutions à venir, quelque peu détaillées, mais pas trop.

Une lettre dont le sens est davantage à chercher dans l’acte d’écrire que dans le contenu du texte : le ministre cherche à marquer sa relation directe avec les personnels, une sorte de proximité, de connivence. Pour un qui se veut le « ministère de l’idéal », le « ministère de l’humain ».

Pas sûr que ce courrier suffise à dynamiser des professionnels de l’éducation ballotés entre réforme et contre-réforme, sans réellement être associés aux changements indispensables, qu’ils espèrent et appellent de leurs vœux.
Mais, en pensant peu à peu à la rentrée à venir, certains se rappelleront qu’ils ont reçu une lettre…et la liront peut-être.

 

Denis ADAM, le 2 août 2017