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Un colloque apolitique ? Permettez-nous d’en douter.

Le 22 septembre se tenait le premier rendez-vous ReflexeS organisé par la sénatrice Samantha Cazebonne et consacré à l'enseignement français à l'étranger.

L’objectif affiché de cette nouvelle plateforme participative est de donner la parole à tous les acteurs de terrain et d’élargir le point de vue sur l’enseignement français à l’étranger au delà des paroles institutionnelles.

La sénatrice prévoit six rendez-vous pour  officiellement rapprocher les décideurs de terrain des décideurs politiques, valoriser aussi les actions éducatives les plus modestes qui ont lieu dans le réseau et faire de cette plateforme un nouvel outil d’information et d’expression. 

Après avoir écouté les interventions du ministre de l’éducation nationale, du président du groupe Odyssey, Luc Chatel, et du directeur de la mission laïque, en autre, nous avons eu l’occasion d’intervenir pour l’UNSA Éducation aux côtés d’autres représentants syndicaux et d’acteur·rices de terrain comme la proviseure du lycée français de Prague par exemple.  Voici le prononcé de notre intervention. 

« Madame la sénatrice, 

c’est sans a priori que nous nous sommes livrés à ce premier exercice d’écoute des intervenants au colloque. Nous saluons bien sûr tou·tes ces intervenant·es  mais nous ne pouvons taire nos interrogations à l’écoute de la première partie du colloque qui concernait « les décideurs ». 

Cet exercice est présenté comme Apolitique ? Pourtant la très grande majorité des intervenants plaident pour une libéralisation plus grande de notre système. 

Qu’il s’abrite derrière les périphrases ou la novlangue des supers-gestionnaires, que l’on parle d’un système qui sera plus agile demain, comme Luc Chatel, ou qui sera soumis à une démarche qualité dans le futur, comme le font les représentants de la Fapee, on voit que les présupposés idéologiques sont toujours les mêmes :

Le privé peut faire mieux ce que le public ferait mal ou plus lentement. On ne parle des enseignant·es que pour suggérer qu’ils doivent être évalués de plus près et soumis aux desiderata des parents. Le parent payeur, c’est bien connu, sait mieux que l’enseignant·e ce qui est bon en matière éducative pour ses enfants. J’ai une proposition : On devrait remettre aux parents de la Fapee un doctorat honoris causa de pédagogie. On se demande pourquoi ces parents ne font pas la classe à la maison en se dispensant des enseignant·es, ce serait plus pratique je crois et ils feraient des économies. 
La pédagogie ? Il n’en est pas fait état. C’est un mot certainement tabou qui n’a pas été prononcé plus de deux fois en deux heures de colloque.

La gouvernance de nos établissements et de l’Agence serait aussi un énorme sujet de préoccupation des familles. Nous nous inscrivons totalement en faux de cette idée portée par la Fapee et soutenu par des élus de la majorité  dont on connaît le creuset politique. 

Nous rencontrons également des parents d’élèves, nous côtoyons des personnels de l’éducation :

La première préoccupation des familles, c’est ce qui se passe en classe, c’est le niveau d’éducation des enfants et pas ce qui se passe au conseil d’établissement. On parle d’excellence partout, le directeur de l’AEFE M. Brochet l’évoquait encore tout à l’heure. Donc si l’enseignement est excellent, c’est peut-être parce que les enseignant·es et les personnels ne sont donc pas totalement à côté de la plaque.

M. Chatel a regretté l’absence d’une équipe de France de l’enseignement. Dommage qu’il n’ait  pas remarqué que cette équipe se nomme l’AEFE, une agence qui vient de fêter ses 32 ans. 

M. Chatel a aussi ouvert un débat intéressant : Si on compare l’enseignement français à l’international et l’enseignement anglo-saxon, il faut le faire à spectre large. L’UNSA Éducation est membre de l’internationale de l’éducation une organisation qui regroupe plus de 30 millions de membres. La privatisation de l’éducation propre au monde anglo-saxon c’est en réalité la précarisation des personnels partout. Comparons d’ailleurs le salaire des enseignants avec celui des directeurs d’établissements scolaires en Amérique du nord. Les écarts sont abyssaux. 

Valoriser l’enseignement  français  à l’étranger, c’est d’abord et avant tout valoriser les personnels. 

C’est comme ça que l’on répond à la crise de vocation dont tout le monde parle en ce moment. Il est quand même étonnant que les brillants managers gestionnaires qui se sont succédés à la tribune en début de colloque n’aient pas parlé de rémunération et de valorisation symbolique des enseignants au moment où les viviers de recrutement plafonnent. Ce sont les personnels qui sont la pierre angulaire du système. Ils ne sont pas des privilégiés, ils sont évalués chaque année par les personnels de direction et régulièrement par les inspecteurs pédagogiques et ils sont évalués aussi tous les jours par les élèves en face d’eux en quelque sortes et jugés par les familles. Ils sont et restent des missionnaires du service public éducatif malgré la lourde pression sur leurs épaules. 

L’État au lieu de défendre bec et ongle le service public éducatif organise lui-même hélas son affaiblissement : sur l’immobilier par exemple mais aussi avec la multiplication des types de contrat et des niveaux de rémunération des personnels que la grande diversité des acteurs et des statuts d’emploi dans plus de 500 établissements homologués entraîne. 

Rappelons que le cœur du système AEFE, c’est  la recherche d’une plus grande égalité avec le système des bourses notamment et ses plus de 100 millions de financement. 

L’égalité, c’est aussi pour la RH, un tronc commun de recrutement et de formation des enseignants qui ont passé et réussi les concours de la fonction publique. Et même un tronc commun de formation et de recrutement pour les personnels de direction ou les adjoints directeurs administratifs et financiers, secrétaires généraux ou agents comptables.

Cette préoccupation égalitaire est propre à la France. Même si elle reste inachevée car l’égalité est un combat permanent à l’école comme ailleurs. 

Aussi rappelons que la nation française s’est construite autour de l’enseignement public laïque et gratuit.

On ne fait pas nation simplement en libéralisant ou en mettant en place un système onéreux pour une élite et en oubliant les valeurs laïques et républicaines au passage. 

Voilà ce qui se joue ici dans ce colloque au delà des discours de super manager adeptes d’une meilleure gouvernance et des odes émues à la privatisation. 

Les républicains dans la salle comprendront que l’essentiel est ailleurs. Et que nous essayons de défendre l’essentiel plutôt que l’accessoire en tant que représentants des personnels.

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