Sous le masque de la maturité

En 2021, la classe de terminale pourrait donc être rebaptisée « classe de maturité » et l’une des nouveauté du baccalauréat serait alors l’épreuve d’ « oral de maturité ».
Si l’on s’en réfère au dictionnaire du Trésor de la langue française, ce mot désigne l’ « étape ultime d’un processus de croissance ». Ainsi pour la vie végétale, il s’agit de l’état, de la qualité d’un fruit mûr, parvenu à son développement complet. Qu’en est-il de la maturité humaine ? D’après Edmond Marc* , la signification métaphorique « est à la fois suggestive et relativement floue ».

Reprenons le dictionnaire. Il nous propose comme définition, l’ « épanouissement physiologique et psychologique d’un être humain correspondant généralement à l’âge adulte » et définit l’âge de maturité comme « la période de la vie comprise entre la jeunesse et la vieillesse pendant laquelle les facultés humaines ont atteint leur ultime développement ».

Que dire donc de la maturité humaine ? En reprenant l’analyse d’Edmond Marc, on peut en conclure qu’ « au niveau psychologique, au sens large (incluant les domaines cognitifs, affectifs, sexuels…), […] elle implique l’idée d’un processus de développement, d’un stade d’achèvement dans ce processus, constituant à la fois l’aboutissement d’un développement « normal » et un modèle idéal de plénitude ».

Il s’agirait ainsi d’atteindre un stade de développement terminal… ce qui scolairement ne renouvelle pas vraiment la notion : maturité et terminal ayant alors un sens très proche.

Mais creusons davantage. Les définitions invoquées impliquent les notions de développement, de normalité et de plénitude dans le concept de maturité. Il convient de se pencher sur le sens de ces notions.

La maturité serait donc l’aboutissement du développement. Etrange d’imaginer que la dernière classe du lycée, celle qui est censée préparer, pour une majorité de jeunes, à la poursuite d’étude supérieures, celle qui sanctionne la fin des études scolaires et ouvre vers des avenirs souvent encore mal définis pour la plupart des élèves, soit ainsi définie comme marquant l’aboutissement du développement. Qu’en est-il de l’éducation et de la formation tout au long de la vie ? Sans aller si loin, comment s’inscrire dans un cycle bac-3 bac+3 si le développement est déjà réalisé à 17 ou 18 ans ?

Autant dire que cette notion de développement est encore renforcée par celle de plénitude. Elle nous évoque évidement « les têtes bien pleines » auxquelles Montaigne préférait « les têtes bien faites ». La classe de maturité serait-elle celle qui valide la plénitude des acquisitions, le plein de connaissances, la réussite de l’exposition au savoir ? De là à imaginer que le grand oral de maturité pourrait servir à vérifier que cette somme de contenus soit pleinement acquise, il n’y a qu’un pas qui pourrait être facilement et dangereusement franchi, renforçant par là-même les inégalités sociales et culturelles déjà exacerbées dans le système scolaire français.

Reste le rapport à la normalité. La maturité est le stade d’atteinte d’un développement normal. Quel est ce stade qualifié de normal ? Que seront et où seront les normes ? Un non bachelier sera-t-il, du coup, un anormal ? Plus globalement, s’agit-il d’affirmer avec la fin du lycée et l’obtention du baccalauréat, l’entrée dans la normalité d’une vie adulte, autonome, responsable, réglée, sérieuse (pourtant chacun sait que comme l’affirmait Arthur Rimbaud « on n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans »)

Relisons à ce propos Georges Lapassade**  :
« La maturité n’est qu’un masque. Le groupe des adultes surveille mes gestes ma vie entière. Il m’aide à ne pas retourner en deçà de la frontière qui me sépare désormais, et pour toujours, de mon enfance. Je dois à chaque instant paraître adulte. Je suis d’abord adulte pour les autres comme les autres le sont pour moi. Dans les rencontres, il me faut cacher ces hésitations, ce tâtonnement qui seraient considérés comme des signes inacceptables d’immaturité. Je suis responsable de ce visage. Dans le face à face de tous les jours, je dois d’abord ne pas perdre la face, cette face d’adulte qui joue ses rôles dans le monde »

Est-ce cet adulte, privé d’hésitation et d’évolution, prisonnier d’un rôle et d’un paraître que l’Education doit aider à construire sous le masque de la maturité ? Rien n’est si sûr. Préférons-lui, en ce jour d’annonce ministérielle sur le baccalauréat et de célébration de l’amour, la recherche permanente de son être profond, apprenant sans fin, évoluant sans cesse, se développant en permanence et se rappelant avec Louis Aragon***  que « rien n’est jamais acquis à l’homme. Ni sa force. Ni sa faiblesse ni son cœur ».

 

Denis Adam, le 14 février 2018

 

 

*MARC, Edmond. « Le mythe de la maturité », Gestalt, vol. 38, no. 2, 2010, pp. 33-46.

        **LAPASSADE G. : L’entrée dans la vie, Economica, 1997

      ***ARAGON L. : La Diane Française, 1946

 

 

 

 

Sélectionnés pour vous
+ d’actualités nationales

En 2021, la classe de terminale pourrait donc être rebaptisée « classe de maturité » et l’une des nouveauté du baccalauréat serait alors l’épreuve d’ « oral de maturité ».
Si l’on s’en réfère au dictionnaire du Trésor de la langue française, ce mot désigne l’ « étape ultime d’un processus de croissance ». Ainsi pour la vie végétale, il s’agit de l’état, de la qualité d’un fruit mûr, parvenu à son développement complet. Qu’en est-il de la maturité humaine ? D’après Edmond Marc* , la signification métaphorique « est à la fois suggestive et relativement floue ».

Reprenons le dictionnaire. Il nous propose comme définition, l’ « épanouissement physiologique et psychologique d’un être humain correspondant généralement à l’âge adulte » et définit l’âge de maturité comme « la période de la vie comprise entre la jeunesse et la vieillesse pendant laquelle les facultés humaines ont atteint leur ultime développement ».

Que dire donc de la maturité humaine ? En reprenant l’analyse d’Edmond Marc, on peut en conclure qu’ « au niveau psychologique, au sens large (incluant les domaines cognitifs, affectifs, sexuels…), […] elle implique l’idée d’un processus de développement, d’un stade d’achèvement dans ce processus, constituant à la fois l’aboutissement d’un développement « normal » et un modèle idéal de plénitude ».

Il s’agirait ainsi d’atteindre un stade de développement terminal… ce qui scolairement ne renouvelle pas vraiment la notion : maturité et terminal ayant alors un sens très proche.

Mais creusons davantage. Les définitions invoquées impliquent les notions de développement, de normalité et de plénitude dans le concept de maturité. Il convient de se pencher sur le sens de ces notions.

La maturité serait donc l’aboutissement du développement. Etrange d’imaginer que la dernière classe du lycée, celle qui est censée préparer, pour une majorité de jeunes, à la poursuite d’étude supérieures, celle qui sanctionne la fin des études scolaires et ouvre vers des avenirs souvent encore mal définis pour la plupart des élèves, soit ainsi définie comme marquant l’aboutissement du développement. Qu’en est-il de l’éducation et de la formation tout au long de la vie ? Sans aller si loin, comment s’inscrire dans un cycle bac-3 bac+3 si le développement est déjà réalisé à 17 ou 18 ans ?

Autant dire que cette notion de développement est encore renforcée par celle de plénitude. Elle nous évoque évidement « les têtes bien pleines » auxquelles Montaigne préférait « les têtes bien faites ». La classe de maturité serait-elle celle qui valide la plénitude des acquisitions, le plein de connaissances, la réussite de l’exposition au savoir ? De là à imaginer que le grand oral de maturité pourrait servir à vérifier que cette somme de contenus soit pleinement acquise, il n’y a qu’un pas qui pourrait être facilement et dangereusement franchi, renforçant par là-même les inégalités sociales et culturelles déjà exacerbées dans le système scolaire français.

Reste le rapport à la normalité. La maturité est le stade d’atteinte d’un développement normal. Quel est ce stade qualifié de normal ? Que seront et où seront les normes ? Un non bachelier sera-t-il, du coup, un anormal ? Plus globalement, s’agit-il d’affirmer avec la fin du lycée et l’obtention du baccalauréat, l’entrée dans la normalité d’une vie adulte, autonome, responsable, réglée, sérieuse (pourtant chacun sait que comme l’affirmait Arthur Rimbaud « on n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans »)

Relisons à ce propos Georges Lapassade**  :
« La maturité n’est qu’un masque. Le groupe des adultes surveille mes gestes ma vie entière. Il m’aide à ne pas retourner en deçà de la frontière qui me sépare désormais, et pour toujours, de mon enfance. Je dois à chaque instant paraître adulte. Je suis d’abord adulte pour les autres comme les autres le sont pour moi. Dans les rencontres, il me faut cacher ces hésitations, ce tâtonnement qui seraient considérés comme des signes inacceptables d’immaturité. Je suis responsable de ce visage. Dans le face à face de tous les jours, je dois d’abord ne pas perdre la face, cette face d’adulte qui joue ses rôles dans le monde »

Est-ce cet adulte, privé d’hésitation et d’évolution, prisonnier d’un rôle et d’un paraître que l’Education doit aider à construire sous le masque de la maturité ? Rien n’est si sûr. Préférons-lui, en ce jour d’annonce ministérielle sur le baccalauréat et de célébration de l’amour, la recherche permanente de son être profond, apprenant sans fin, évoluant sans cesse, se développant en permanence et se rappelant avec Louis Aragon***  que « rien n’est jamais acquis à l’homme. Ni sa force. Ni sa faiblesse ni son cœur ».

 

Denis Adam, le 14 février 2018

 

 

*MARC, Edmond. « Le mythe de la maturité », Gestalt, vol. 38, no. 2, 2010, pp. 33-46.

        **LAPASSADE G. : L’entrée dans la vie, Economica, 1997

      ***ARAGON L. : La Diane Française, 1946