Reconquête de l’écrit : une expression à remettre au bon endroit
Non, l’écrit n’est pas à reconquérir. Pas même à conquérir si l’on en croit les observations et analyses des chercheur·ses du Cnesco, le conseil national d’évaluation du système scolaire. Dans une conférence de consensus, rapport d’étude à la démarche scientifique et collaborative incontestable, consacrée à l’écriture et la rédaction au primaire et au collège, en mars 2018(1), l’apprentissage de l’écrit est une réalité bien ancrée, qui a une histoire et une évolution, et qui n’a cessé d’être interrogé au fil des réformes.
Les élèves français rechigneraient à écrire
Non, les enseignant·es ne se sont jamais résignées à son égard, quoique les évaluations statistiques, prises en compte par le Cnesco, ne sont pas très élogieuses. Citant plusieurs études, le Cnesco reconnaît que « les élèves français rédigent peu lorsqu’ils sont sollicités dans des évaluations pour produire des textes : 40 % proposent des textes courts ou très courts » (évaluation Cedre 2015 en 3e). « Par rapport aux élèves européens, les élèves français sont également moins nombreux à rédiger des réponses à des questions ouvertes » (étude comparative Pirls 2011).
Les données fournies par Cedre en 2021 sur les compétences langagières et en littératie indiquent une stabilité de ces constats au collège, alors que le niveau général progresse en primaire. Mais il est vrai, le Cnesco le reconnaît, l’écrit suscite moins de temps passé que la lecture au primaire par exemple (4h 11 minutes de lecture pour 2h 23 minutes d’écriture par semaine au CP) ; autre exemple, l’écriture réflexive (écrire pour construire sa pensée) et l’écriture de synthèse (écrire pour faire un point sur ses connaissances) sont rarement intégrées dans les manuels de CM1, CM2 et 6e, indique le Cnesco. Il y aurait donc une mobilisation utile à mener à propos de l’écrit.
Un peu d’histoire
Pour autant, le Cnesco se refuse à considérer la nécessité d’un retour à un modèle traditionnel, s’appuyant sur une frise historique montrant le processus d’évolution de l’enseignement de l’écriture à l’école depuis 1882 et où l’on peut relire l’apparition du texte libre promu par Célestin Freinet dès 1920 : les élèves racontent, sans contrainte, un événement vécu collectivement ou de manière individuelle, et l’enseignant l’écrit au tableau. Cet exercice dit de « dictée à l’adulte » permet de prendre conscience des formes acceptées à l’oral qui n’existeraient pas à l’écrit, et d’une correspondance entre les sons et la manière dont on les écrit.
Les années 60 puis 70 tentent de réconcilier ces deux approches qui ont marqué leur époque, celle, traditionnelle, qui promeut la pratique de l’écriture de manière formelle et systématique avec celle d’une activité d’expression libre et spontanée. Survient ensuite le modèle contemporain qui met l’accent sur la production de textes avec l’idée d’une approche réflexive sur les processus mentaux mis en jeu par l’élève pour écrire un texte organisé et cohérent. Le brouillon devient un document de travail et d’apprentissage langagier tout aussi intéressant scolairement que les productions finales, au point que certain·es enseignant·es de lettres le notent et l’intègrent à l’évaluation. Enfin, le Cnesco évoque l’émergence d’« un nouveau modèle [qui] pourrait se dessiner autour de l’accompagnement par l’enseignant et de l’intérêt des écrits intermédiaires ».
Toutes les disciplines concernées
Mais outre les exercices réalisés en classe de français, toutes les disciplines concourent à la pratique de l’écrit, notamment à travers la fameuse trace écrite qui restitue la leçon en fin de séance – eu qui peut aussi l’introduire ou la débuter – et qu’on estime être un outil de conceptualisation, de mémorisation et de réinvestissement de première importance. La trace écrite permet une construction et un enrichissement progressifs, une aide à la formulation favorisant une conscientisation et une transmission des savoirs. Cette trace écrite a évolué elle aussi au fil des générations et des réformes, de la copie mécaniste sur cahier du cours à la craie sur tableau noir à la consignation personnelle, au bic ou sur tablette, par chaque élève et pour lui-même, de ses propres éléments d’appropriation des savoirs.
A ce propos, le Cnesco ne manque pas de pointer que « pour produire des écrits, les élèves sont confrontés à un ensemble large de difficultés directement liées à la langue ». « Le français, tout comme l’anglais, est qualifié d’« opaque » par les chercheurs, ce qui rend l’apprentissage de l’écrit plus complexe », alors que « par contraste, l’italien et le finnois se rapprochent d’un système orthographique « idéal », où à chaque lettre correspond un seul son (phonème). » Une complexité de l’orthographe française qui contraint à un enseignement explicite de la langue et qui réactive les innombrables débats sur la question d’une nouvelle orthographe, les premières querelles sur le sujet remontant à… 1550 !
Des enseignant·es engagé·es et inventif·ves
Pour répondre à cette problématique, plutôt que de proposer des remèdes institutionnels et canoniques tels que la seule dictée à l’ancienne, le Cnesco présente un florilège de dispositifs innovants observés dans des écoles et collèges initiés par des enseignant·es engagé·es et inventif·ves, comme la synthèse vocale sur ordinateur, les jeux d’écriture à contraintes, des procédés par raisonnement, des cartes mentales, des textes écrits de manière collaborative etc…
Parmi les derniers points abordés par le Cnesco figure l’influence positive de la lecture sur l’écriture. Pour en finir avec le sentiment d’une influence univoque de la première sur la seconde, le conseil prévient : « cette relation entre lecture et écriture fonctionne dans les deux sens : l’apprentissage de l’écriture nourrit celui de la lecture et réciproquement ».
Baisse des résultats chez les plus défavorisé·es
Il n’en demeure pas moins une constante : les difficultés à l’écrit sont aussi le terrain d’un écart grandissant selon les évaluations disciplinaires Cedre publiées par la DEPP (direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) entre les élèves à la scolarité bonne ou passable et ceux issus des catégories sociales les moins favorisées. Pour les compétences langagières et littératie, les élèves de fin de 3e en éducation prioritaire voient en effet leurs performances baisser de 8 points selon Cedre 2015-2021(2).
Le combat pour l’écrit pourrait donc être d’abord un combat pour l’égalité des chances en général, où l’écrit n’a pas forcément la seule place centrale. La reconquête de l’écrit passe peut-être d’abord par la reconquête de certains territoires éducatifs où l’insuffisance et l’inadéquation des moyens humains avec les besoins sont suffisamment relevés, enquête après enquête, pour être enfin traités à la mesure du nécessaire.