Analyses et décryptages

Rapport “Enfants et écrans”, entre temps perdu et pistes intéressantes

La commission chargée d’évaluer l’impact de l’exposition des jeunes aux écrans, installée par Emmanuel Macron le 10 janvier dernier, a rendu le 30 avril un rapport de 142 pages, pompeusement titré : “Enfants et écrans : À la recherche du temps perdu”.

En moins de 4 mois, rendre un travail sérieux et abouti étant une mission impossible, le résultat laisse évidemment à désirer, en voulant gagner du temps, souvent on en perd…

En plus de ce timing irréaliste pour produire un travail de qualité, les choix de membres de la commission interrogent ainsi que certaines auditions, celles de désinformateurs notoires dont on aurait pu se passer, et celles de spécialistes en info com et éducation aux médias par exemple, qu’on aurait trouvées pertinentes.

Voyons un peu ce que contient ce rapport, et ce qui en est absent…

Ce qui manque

On n’y trouve pas de définition de ce qui est entendu par “écrans”, ça semble évident mais en fait non. Faudrait-il par exemple bannir le monitoring des bébés en service de néonatalité parce qu’il apparait sur un écran ? Le rapport énonce que “les écrans” auraient tout un tas de responsabilités délétères… on aimerait savoir exactement de quoi ou de qui il s’agit !
Ne pas commencer par définir ce dont il parle est un gros loupé de ce travail.

Ce qui est intéressant

Les recommandations de l’axe 1 (propositions 1 à 6) concernant la régulation des plateformes sont pertinentes et on aimerait bien par exemple que le ministère de l’Éducation nationale s’applique à lui-même ces audits et ces “garde-fous” concernant la sécurité des données personnelles des élèves et des personnels. Plus de sérieux et de transparence seraient vraiment appréciables et montreraient l’exemple.

On trouve dans ce rapport un rappel, pas forcément inutile, de repères qui font consensus pour les 0-11 ans : éviter les écrans avant 3 ans, accompagner des usages très modérés entre 3 et 6 ans… (proposition 11 détaillée p 96). Mais la mise en œuvre proposée est un peu radicale et autoritaire comme “bannir les écrans des écoles maternelles”, en effet, certains outils numériques ont des usages tout à fait pertinents et adaptés en maternelle, notamment pour faire produire aux élèves des contenus visuels et/ou sonores. En effet, une tablette numérique contient à la fois une caméra, un micro, des banques d’images, un traitement de texte… autant d’outils utiles à toute pédagogie de la maternelle à l’enseignement supérieur.

L’adaptation des organisations scolaires pour mieux prendre en compte les rythmes physiologiques des enfants, par exemple en envisageant un démarrage des cours au collège et au lycée à 10h00 est une bonne idée (proposition 20 détaillée p 114). Cela est effectivement préconisé par la recherche, mais il faudrait que cette suggestion rencontre plus d’intérêt que la réforme des rythmes scolaires qui, à peine ébauchée difficilement, a été immédiatement supprimée à l’arrivée d’Emmanuel Macron.

On aime beaucoup l’idée de peupler l’espace public d’alternatives aux écrans pour les enfants, et de redonner à ces derniers toute leur place, y compris bruyante (proposition 22 détaillée p 116). Reste à voir comment cela sera ou non mis en œuvre et si la parole des enfants et des adolescents sera aussi sollicitée au-delà du bruit qu’il font ! À ce propos il est dommage que la commission n’ait pas mis en annexe du rapport des verbatims des jeunes auditionnés, cela aurait permis d’amorcer concrètement cette piste réjouissante.

Ce qui est contraire aux connaissances scientifiques / à l’intérêt des enfants

Si on apprécie que le rapport précise que “les écrans ne sont pas à l’origine des troubles du neurodéveloppement (TND), TDA/H (trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité) ou trouble du spectre de l’autisme (TSA)” (p 42) il est tout à fait regrettable que soit ensuite écrit : “mais une vigilance est requise par rapport à leur usage excessif pour éviter l’amplification des symptômes liés à ces TND” ce qui est absolument faux ! Catherine Barthélémy, pédopsychiatre, spécialiste des TND affirme dans cet article (accès payant) qu’il n’existe aucune étude scientifique sérieuse en ce sens.

L’interdiction d’avoir un téléphone connecté avant 11 ans et un accès aux réseaux sociaux avant 13 ans, ainsi que l’idée qu’on pourrait accéder entre 15 et 18 ans seulement aux réseaux sociaux “éthiques” (proposition 13 détaillée à partir de la p 101) posent de nombreuses questions que la commission ne semble pas avoir vues. Le smartphone, dans les milieux défavorisés, est souvent le seul accès à Internet car il n’y a pas toujours un ordinateur à la maison, on l’a bien vu pendant le confinement. Cela peut aussi avoir des incidences en termes d’isolement familial et social et pousser les jeunes à utiliser d’autres canaux plus souterrains, donc moins visibles et moins sûrs. Séverine Erhel détaille de nombreux arguments étayés et pertinents, dans cet article (accès libre).

Il ne s’agit évidemment que de quelques points, on espère que les décisions concrètes qui suivront corrigeront les principaux défauts relevés et feront davantage confiance aux professionnels de l’éducation pour adapter à chacun et suivant le contexte les activités numériques à proposer aux enfants et aux jeunes.

L’Unsa-Éducation veillera tout particulièrement à ce que la liberté pédagogique soit respectée et à ce que les familles les plus en difficulté puissent avoir accès aux informations et aux ressources numériques.
Éduquer ce n’est pas juste interdire, c’est aussi accompagner (y compris la prise de risques), enseigner, rassurer et alerter. 

Il est inconcevable que des conceptions contraires au consensus scientifique soient utilisées pour restreindre les enfants et les jeunes, notamment les plus fragiles, dans leur droit à une éducation de qualité, qui comprend forcément des aspects numériques.
Le souci de protéger est louable et nous y souscrivons, mais l’éducation doit émanciper et non restreindre les capacités d’agir. Cela demande de se confronter à des questions complexes, de déployer des moyens humains et de formation pour réfléchir et construire ensemble un environnement propice au meilleur développement des futurs citoyens qui ne peut se faire en excluant les outils et les espaces numériques ! 
  

 

Tableau récapitulatif des propositions du rapport (p 130)

Sélectionnés pour vous
+ d’actualités nationales