Analyses et décryptages

Quelle place pour la culture à l’école?

Entre pratique, enseignement et rencontres, l'education artistique et culturelle peine toujours à prendre une pleine place durable et concertée dans le système éducatif. Les dernières annonces du Président de la République sur le théâtre obligatoire au collège, ont été lancées comme des injonctions sans discussions préalables avec les professionnels des mondes de l'éducation, du secteur artistique, associatif, et de la culture. Plutôt que susciter de l'enthousiasme, elles sont sources de craintes, et de beaucoup de doutes. L'UNSA Education se fait ici relais de l'analyse de Jean Claude Lallias, qui a passé une vie entière à vivre et transmettre le théâtre. Son propos a été publié dans le journal Le Monde, il nous autorise à le partager. On ne peut pas mieux dire.
  « Oeuvrons pour que le théâtre au collège devienne « un passage désiré ».   Le président Emmanuel macron a déclaré le 16 Janvier souhaiter que le théâtre devienne « un passage obligé des études du second degré. Une bonne nouvelle, pour l professeur de lettres, à condition de ne pas en faire une discipline scolaire « de plus ».   L’annonce le 16 Janvier par le Président de la République d’un « passage obligé » par le Théâtre pour tous les élèves du Collège doit être prise comme une bonne nouvelle. Voici quarante ans que le Théâtre dans l’Education nationale s’est développé avec les actions des anciens ministres de la culture Jack Lang et Catherine Tasca mais aussi de terrible recul ou de stagnation.   Réjouissons-nous qu’un gouvernement accorde enfin une pleine reconnaissance à la haute valeur éducative du Théâtre, qui est un art rassembleur. Il n’est pas une discipline « de plus » à empiler sur le reste, c’est un processus éducatif qui est le creuset où se conjuguent des disciplines et des apprentissages trop souvent cloisonnés. Il fait sens collectif pour la classe entière. Nous savons depuis 3 000 ans qu’il n’est pas un art d’illettrés, qu’il donne goût à la langue, à la variété des façons de dire. C’est un art civilisateur qui apprend à rencontrer l’Autre, à mieux le comprendre en se mettant à sa place, en vivant ses propres réactions, en découvrant la singularité des auteurs.   Mais c’est aussi un art composite, un art d’assemblage qui a tout aussi besoin des Arts plastiques, de la Musique, de l’éducation corporelle, des talents scientifiques et techniques, de l’éclairage historique ou philosophique, que de savoir-faire pratiques et artisanaux. Chacun peut y trouver sa place et avoir la joie de servir ce « bien commun » qu’est le Théâtre.   Pour réussir cette entrée officielle du théâtre dans le Collège, évitons les injonctions : partons du désir des professeurs, des personnels de la communauté scolaire et des élèves et laissons-leur une grande liberté de mise en œuvre. La transmission du théâtre ne peut se faire que sous la forme d’une pédagogie de projet. C’est l’exigence de l’engagement et du plaisir « à faire ensemble » qui donne à chacun la possibilité de trouver sa place et d’être accueilli par les autres pour ce qu’il apporte de singulier.   Les organisations comme l’Association nationale de recherche et d’action théâtrale (ANRAT) ou les structures régionales ont montré pendant ces quarante années d’expérience que le rôle du partenariat avec les artistes et les structures culturelles était indispensable. Qu’on ne doit jamais séparer « faire, lire, voir du théâtre et débattre de façon critique. ». L’éducation PAR le Théâtre comporte ses propres exigences : un espace-temps pour faire une expérience concrète inoubliable, loin de tout « intégrisme disciplinaire ». Cette expérience créative et ouverte a de forts retentissements positifs, notamment sur la langue et l’oralité. Des travaux de toutes sortes s’inventent : des « petites formes » de création, des lectures publiques, des mises en espace de textes d’auteurs, des inventions scénographiques ou sonores… Bien sûr l’approche des grands textes classiques y est vivante, comme est possible la rencontre avec l’extraordinaire richesse du Théâtre Jeunesse contemporain (de Jean-Claude Grumberg à Suzanne Lebeau, de Nathalie Papin à Joël Pommerat…). Chaque élève doit découvrir qu’il s’aventure dans l’immense plaisir des œuvres qui traversent le temps et le présent. Elles vivent ou revivent à travers lui, grâce à ses efforts consentis et au jeu avec ses partenaires.   Le théâtre est aussi une expérience de spectateur actif. Partout où cela est possible, incitons à aller voir des créations, à en débattre, à rencontrer des artistes, des artisans de la création, des éditeurs ou des auteurs. Le Théâtre est l’espace symbolique d’une citoyenneté vécue et partagée. Et le numérique bien utilisé ouvre ici de nouveaux horizons de conquête comme sur les plateformes cyrano.education ou Théâtre en acte : voir de belles et surprenantes mises en scène, apprendre à les comparer, s’en nourrir et s’informer pour créer soi-même, réagir et s’exprimer.   Soyons concrets et directs. Partout où le terreau est déjà prêt, donnons l’élan, la liberté et le soutien nécessaires. Favorisons l’indispensable formation des enseignants et des artistes, multiplions les échanges d’expérience en réseau. Faisons confiance aux plus expérimentés pour semer ailleurs « ces graines d’humanité » dont nos élèves ont tant besoin aujourd’hui. La proposition de ce « passage obligé » par le Théâtre est l’occasion de remettre de la transversalité et de la souplesse dans l’organisation des disciplines et des horaires, avec courage et détermination.   Des méfiances et des résistances vont probablement naître. Il faudra dégager des moyens, et surtout former artistes et enseignants à partager les bonnes pratiques. Faisons que ce « passage obligé » devienne un « passage désiré ». Le théâtre est impertinent, il bouscule les routines. Il a horreur des carcans. Il est pour les élèves, les professeurs, les artistes et toute la communauté scolaire le cadre de nouvelles exigences : l’écoute et l’acceptation des différences, un rapport vivant aux œuvres, une langue incarnée et dynamisée, un espace d’expression pour les élèves, une remise en cause des vieux découpages en savoirs isolés. Le monde associatif et les lieux culturels ont vocation à accompagner tout pas en avant pour que davantage d’élèves profitent de ces pratiques émancipatrices. En se rappelant toujours que le jeune Albert Camus, passionné aussi de sport, avait donné à sa troupe le beau nom symbolique de Théâtre de l’Equipe. »   Jean-Claude Lallias Professeur agrégé de Lettres, a été Conseiller Théâtre à la Mission pour les Arts à l’Ecole (Plan Lang-Tasca) Membre de l’ANRAT   Photo de Paolo Chiabrando sur Unsplash
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