Quand l’élève peut critiquer le maître

À la question « qu’est-ce qu’une société éducative ? » Jean-Marc Bœuf, secrétaire général du syndicat A&I UNSA, répond que c’est une société qui permet que l’élève puisse critiquer le maître. Étonnante réponse ?

À la question « qu’est-ce qu’une société éducative ? » Jean-Marc Bœuf, secrétaire général du syndicat A&I UNSA, répond que c’est une société qui permet que l’élève puisse critiquer le maître.


Étonnante réponse ?


Éclairante réponse plutôt sur la conception d’une Éducation qui place au premier rang de ses missions le développement de l’esprit critique.


Dans un système de dogme qui considère que le maître est l’initié et l’élève le novice, la critique est impossible. Seule l’imitation est la voie. L’élève est appelé à devenir disciple. Au mieux succédera-t-il ensuite au maître, devenant maître à son tour pour initier d’autres disciples.


Dans un système de transmission qui considère que le maître est celui qui sait et l’élève celui qui ne sait pas -voire qui ne sait rien- la critique, aussi, est malaisée. À partir de quoi, de quel savoir, l’élève pourrait-il questionner les connaissances transmises alors que justement, il est là pour acquérir ce qu’il ne possède pas ?


Toute autre est notre approche laïque et émancipatrice de l’Éducation. Elle conduit à concevoir l’acquisition des savoirs comme une démarche active et participative et non comme un gavage passif : certainement une déformation que nous aura transmise Montaigne et qui nous fait préférer « une tête bien faite, à une tête bien pleine ».


Dans cette approche d’une Éducation libératrice, il est permis de critiquer le maître.


Mais critiquer le maître ne signifie pas, s’opposer -systématiquement- à lui.


C’est interroger, avec lui, les savoirs, comme des données relatives. Ils sont la photographie de ce que la science sait ici et maintenant. Ils sont différents des savoirs d’hier et certainement de ceux de demain. Le doute que nous enseigne la philosophie comme la science, n’est pas être sceptique ou soupçonneux. « Il faut douter mais ne point être sceptique » affirmait Claude Bernard pour qui la philosophie inhérente à la recherche scientifique « repose sur la confiance dans la possibilité de connaître toujours mieux le monde dans lequel nous vivons. Le connaître non seulement pour le plaisir de l’émerveillement, mais pour agir mieux, en fonction de connaissances qui s’améliorent » comme le rappelle Anne Fagot-Largeault. Elle ajoute « Le sceptique ne croit pas à la science, disait Cl. Bernard, il croit à lui-même ; il juge que tout est opinion, et que toutes les opinions se valent. Le douteur, continue Cl. Bernard, est le vrai savant ; il doute de lui-même et de ses interprétations, mais il croit à la science. »


Critiquer le maître, c’est mettre en débat ce qui est affirmé. Le comparer, le jauger, le juger, le mettre en discussion. Or, l’alimentation de ce débat –voire de cette polémique- ne peut se mener à partir de rien. Pour débattre avec le maître, l’élève doit produire des arguments, s’appuyer sur ses propres savoirs, mobiliser ses propres compétences. Conduire la critique nécessite donc de se forger sa propre opinion et permet –dans le maquis de tous les savoirs disponibles- de faire des tris, des hiérarchies, des choix.

Permettre de critiquer le maître est également un signe de liberté et de tolérance. Preuve que la critique est possible, que la discussion est souhaitée (et souhaitable), que la vérité reste à construire. Signe qu’il n’existe pas une pensée unique, officielle, imposée. Mais que le savoir est perpétuellement une (re)découverte.

Ainsi permettre à l’élève de critiquer le maître relève d’une philosophie de la science qui fait sans cesse le pari de la recherche pour avancer et faire de nouvelles découvertes.


Permettre à l’élève de critiquer le maître relève d’une philosophie de l’Éducation qui fait le choix de croire et de respecter les savoirs de toutes et tous (sans attendre le nombre des années) et arme chacune et chacun pour construire ses propres opinions.


Permettre à l’élève de critiquer le maître relève d’une philosophie politique qui rejette la dictature des pensées toutes faites, des poncifs, des clichés et rend possible l’élaboration d’une confrontation des idées qui rend possible la compréhension du monde complexe.


« La mort est dans le consensus je fais l’éloge du conflit
et si la vérité blesse, que le doute querelle
je n’ai fait que questionner on m’accuse de zèle
j’suis celui qui garde le doute quand les autres le gèlent
vous avez vos réponses moi j’ai des questions pour elles
»

chantait il y a quelques années le rappeur ROCé dans Des Questions à Vos Réponses.

Une manière d’affirmer sa liberté d’apprendre.
Une façon pour nous de dire la société éducative.

 

Denis ADAM, le 15 juin 2016

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À la question « qu’est-ce qu’une société éducative ? » Jean-Marc Bœuf, secrétaire général du syndicat A&I UNSA, répond que c’est une société qui permet que l’élève puisse critiquer le maître.


Étonnante réponse ?


Éclairante réponse plutôt sur la conception d’une Éducation qui place au premier rang de ses missions le développement de l’esprit critique.


Dans un système de dogme qui considère que le maître est l’initié et l’élève le novice, la critique est impossible. Seule l’imitation est la voie. L’élève est appelé à devenir disciple. Au mieux succédera-t-il ensuite au maître, devenant maître à son tour pour initier d’autres disciples.


Dans un système de transmission qui considère que le maître est celui qui sait et l’élève celui qui ne sait pas -voire qui ne sait rien- la critique, aussi, est malaisée. À partir de quoi, de quel savoir, l’élève pourrait-il questionner les connaissances transmises alors que justement, il est là pour acquérir ce qu’il ne possède pas ?


Toute autre est notre approche laïque et émancipatrice de l’Éducation. Elle conduit à concevoir l’acquisition des savoirs comme une démarche active et participative et non comme un gavage passif : certainement une déformation que nous aura transmise Montaigne et qui nous fait préférer « une tête bien faite, à une tête bien pleine ».


Dans cette approche d’une Éducation libératrice, il est permis de critiquer le maître.


Mais critiquer le maître ne signifie pas, s’opposer -systématiquement- à lui.


C’est interroger, avec lui, les savoirs, comme des données relatives. Ils sont la photographie de ce que la science sait ici et maintenant. Ils sont différents des savoirs d’hier et certainement de ceux de demain. Le doute que nous enseigne la philosophie comme la science, n’est pas être sceptique ou soupçonneux. « Il faut douter mais ne point être sceptique » affirmait Claude Bernard pour qui la philosophie inhérente à la recherche scientifique « repose sur la confiance dans la possibilité de connaître toujours mieux le monde dans lequel nous vivons. Le connaître non seulement pour le plaisir de l’émerveillement, mais pour agir mieux, en fonction de connaissances qui s’améliorent » comme le rappelle Anne Fagot-Largeault. Elle ajoute « Le sceptique ne croit pas à la science, disait Cl. Bernard, il croit à lui-même ; il juge que tout est opinion, et que toutes les opinions se valent. Le douteur, continue Cl. Bernard, est le vrai savant ; il doute de lui-même et de ses interprétations, mais il croit à la science. »


Critiquer le maître, c’est mettre en débat ce qui est affirmé. Le comparer, le jauger, le juger, le mettre en discussion. Or, l’alimentation de ce débat –voire de cette polémique- ne peut se mener à partir de rien. Pour débattre avec le maître, l’élève doit produire des arguments, s’appuyer sur ses propres savoirs, mobiliser ses propres compétences. Conduire la critique nécessite donc de se forger sa propre opinion et permet –dans le maquis de tous les savoirs disponibles- de faire des tris, des hiérarchies, des choix.

Permettre de critiquer le maître est également un signe de liberté et de tolérance. Preuve que la critique est possible, que la discussion est souhaitée (et souhaitable), que la vérité reste à construire. Signe qu’il n’existe pas une pensée unique, officielle, imposée. Mais que le savoir est perpétuellement une (re)découverte.

Ainsi permettre à l’élève de critiquer le maître relève d’une philosophie de la science qui fait sans cesse le pari de la recherche pour avancer et faire de nouvelles découvertes.


Permettre à l’élève de critiquer le maître relève d’une philosophie de l’Éducation qui fait le choix de croire et de respecter les savoirs de toutes et tous (sans attendre le nombre des années) et arme chacune et chacun pour construire ses propres opinions.


Permettre à l’élève de critiquer le maître relève d’une philosophie politique qui rejette la dictature des pensées toutes faites, des poncifs, des clichés et rend possible l’élaboration d’une confrontation des idées qui rend possible la compréhension du monde complexe.


« La mort est dans le consensus je fais l’éloge du conflit
et si la vérité blesse, que le doute querelle
je n’ai fait que questionner on m’accuse de zèle
j’suis celui qui garde le doute quand les autres le gèlent
vous avez vos réponses moi j’ai des questions pour elles
»

chantait il y a quelques années le rappeur ROCé dans Des Questions à Vos Réponses.

Une manière d’affirmer sa liberté d’apprendre.
Une façon pour nous de dire la société éducative.

 

Denis ADAM, le 15 juin 2016