Ne rien faire

Je ne suis pas un grand spécialiste ni un adepte du « farniente ». Comme beaucoup d’entre nous, j’imagine, j’ai toujours plusieurs fers au feu, des choses auxquelles je n’ai pas su, ou voulu, dire non, des urgences supposées dont je me convaincs de leur importance pour ne pas les reporter au lendemain… Pour autant, cet été, il m’arrive d’avoir envie de ne rien faire. Effet de l’âge, qui conduit à plus de fatigue ou à davantage de sagesse ? Surchauffe climatique ? Peut-être simplement le rythme normal d’une vie normale qui nécessite des pauses et que notre surmenage quotidien tend à nous faire oublier.

Parmi les grands penseurs, si beaucoup ont condamné cette attitude qui consiste à ne pas agir, quelques-uns ont reconnu l’utilité, la nécessité et même la difficulté de ne rien faire. Ainsi Paul Valéry se demandait « Comment faire pour ne rien faire ? Je ne sais rien de plus difficile. C’est un travail d’Hercule, un travail de tous les instants », quant à Pierre Reverdy, il revendiquait « J’ai tellement besoin de temps pour ne rien faire, qu’il ne m’en reste plus assez pour travailler ». Tous, nous avons fredonné « Le travail c’est la santé ; ne rien faire, c’est la conserver » de Henri Salvador. Et la célèbre phrase de Jean Cocteau, « De temps en temps, il faut se reposer de ne rien faire » joue sur le double sens pour dire à la fois le besoin de faire et celui de ne rien faire.

C’est finalement dans la provocation de Georges Wolinski que se trouve peut-être la plus grande sagesse, lorsqu’il ironise « J’aime bien les Arabes parce que, quand ils n’ont pas de travail, ils en profitent pour ne rien faire, ce qui fait qu’ils ne perdent jamais bêtement leur temps ». Car ne rien faire n’est justement pas forcément perdre bêtement son temps. C’est peut-être même une pause indispensable, un arrêt salutaire, un ressourcement salvateur. Dans notre monde qui courre sans cesse et dont les temps et les espaces ont été fortement raccourcis jusqu’à pratiquement être abolis, tout cesser est une manière de remettre de la distance, de prendre du recul, de changer d’angle, comme le peintre qui lève enfin les yeux de sa toile pour regarder son modèle et ce qu’il a peint.

Dans les accueils de loisirs (ex colonies de vacances et centre aérés) il est toujours intéressant de lire le programme en se demandant  où sont les temps, où sont les lieux, qui permettent aux enfants et aux jeunes qui vivent là leurs vacances de ne rien faire. S’ils n’existent pas officiellement, ne cherchez pas. L’infirmerie sera ce refuge. Le prétexte d’un mal de ventre ou de tête invérifiable offrira l’échappatoire recherché pour échapper, un temps, au groupe, aux activités, aux autres et, enfin, seul, gagner quelques instants à pouvoir ne rien faire.

Il est certes toujours paradoxal de solliciter des éducateurs à organiser, prévoir, définir des temps et des lieux pour ne rien faire alors même que leur angoisse est que le groupe ou la météo s’oppose à la réalisation des activités prévues, programmées, planifiées. N’y aurait-il pas abandon, démission de la démarche éducative si non content de laisser faire, l’éducateur laissait ne rien faire ? Si l’attitude était générale, permanente, la question pourrait certainement légitimement être posée. Mais si en plus de toutes les sollicitations prévues, la possibilité de ne rien faire est offerte, elle est un plus, une chance supplémentaire, un espace de liberté dont chacun a besoin et dont il serait aberrant de priver des enfants ou des jeunes au motif qu’ils vivent un temps de loisirs, certes, mais éducatifs.

Ne rien faire, n’est en fait jamais totalement ne rien faire. Si notre corps se délasse et notre esprit se détend, notre cerveau continue –comme lors de notre sommeil- son infatigable travail de construction et de découverte. Rêver, admirer une plante, un paysage, un édifice… se laisser subjuguer par le ballet des insectes ou laisser vagabonder son esprit, apporte beaucoup à notre sérénité, notre équilibre, notre capacité d’ouverture aux autres et au monde.

Des vertus indispensables qui mériteraient à elles seules que l’on reconnaisse comme éducatif l’acquisition et le développement de la compétence à ne rien faire et à le faire bien.

 

Denis ADAM, le 12 août 2015
 

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Je ne suis pas un grand spécialiste ni un adepte du « farniente ». Comme beaucoup d’entre nous, j’imagine, j’ai toujours plusieurs fers au feu, des choses auxquelles je n’ai pas su, ou voulu, dire non, des urgences supposées dont je me convaincs de leur importance pour ne pas les reporter au lendemain… Pour autant, cet été, il m’arrive d’avoir envie de ne rien faire. Effet de l’âge, qui conduit à plus de fatigue ou à davantage de sagesse ? Surchauffe climatique ? Peut-être simplement le rythme normal d’une vie normale qui nécessite des pauses et que notre surmenage quotidien tend à nous faire oublier.

Parmi les grands penseurs, si beaucoup ont condamné cette attitude qui consiste à ne pas agir, quelques-uns ont reconnu l’utilité, la nécessité et même la difficulté de ne rien faire. Ainsi Paul Valéry se demandait « Comment faire pour ne rien faire ? Je ne sais rien de plus difficile. C’est un travail d’Hercule, un travail de tous les instants », quant à Pierre Reverdy, il revendiquait « J’ai tellement besoin de temps pour ne rien faire, qu’il ne m’en reste plus assez pour travailler ». Tous, nous avons fredonné « Le travail c’est la santé ; ne rien faire, c’est la conserver » de Henri Salvador. Et la célèbre phrase de Jean Cocteau, « De temps en temps, il faut se reposer de ne rien faire » joue sur le double sens pour dire à la fois le besoin de faire et celui de ne rien faire.

C’est finalement dans la provocation de Georges Wolinski que se trouve peut-être la plus grande sagesse, lorsqu’il ironise « J’aime bien les Arabes parce que, quand ils n’ont pas de travail, ils en profitent pour ne rien faire, ce qui fait qu’ils ne perdent jamais bêtement leur temps ». Car ne rien faire n’est justement pas forcément perdre bêtement son temps. C’est peut-être même une pause indispensable, un arrêt salutaire, un ressourcement salvateur. Dans notre monde qui courre sans cesse et dont les temps et les espaces ont été fortement raccourcis jusqu’à pratiquement être abolis, tout cesser est une manière de remettre de la distance, de prendre du recul, de changer d’angle, comme le peintre qui lève enfin les yeux de sa toile pour regarder son modèle et ce qu’il a peint.

Dans les accueils de loisirs (ex colonies de vacances et centre aérés) il est toujours intéressant de lire le programme en se demandant  où sont les temps, où sont les lieux, qui permettent aux enfants et aux jeunes qui vivent là leurs vacances de ne rien faire. S’ils n’existent pas officiellement, ne cherchez pas. L’infirmerie sera ce refuge. Le prétexte d’un mal de ventre ou de tête invérifiable offrira l’échappatoire recherché pour échapper, un temps, au groupe, aux activités, aux autres et, enfin, seul, gagner quelques instants à pouvoir ne rien faire.

Il est certes toujours paradoxal de solliciter des éducateurs à organiser, prévoir, définir des temps et des lieux pour ne rien faire alors même que leur angoisse est que le groupe ou la météo s’oppose à la réalisation des activités prévues, programmées, planifiées. N’y aurait-il pas abandon, démission de la démarche éducative si non content de laisser faire, l’éducateur laissait ne rien faire ? Si l’attitude était générale, permanente, la question pourrait certainement légitimement être posée. Mais si en plus de toutes les sollicitations prévues, la possibilité de ne rien faire est offerte, elle est un plus, une chance supplémentaire, un espace de liberté dont chacun a besoin et dont il serait aberrant de priver des enfants ou des jeunes au motif qu’ils vivent un temps de loisirs, certes, mais éducatifs.

Ne rien faire, n’est en fait jamais totalement ne rien faire. Si notre corps se délasse et notre esprit se détend, notre cerveau continue –comme lors de notre sommeil- son infatigable travail de construction et de découverte. Rêver, admirer une plante, un paysage, un édifice… se laisser subjuguer par le ballet des insectes ou laisser vagabonder son esprit, apporte beaucoup à notre sérénité, notre équilibre, notre capacité d’ouverture aux autres et au monde.

Des vertus indispensables qui mériteraient à elles seules que l’on reconnaisse comme éducatif l’acquisition et le développement de la compétence à ne rien faire et à le faire bien.

 

Denis ADAM, le 12 août 2015