Libérée(s)

Au sortir d’une semaine de grand froid et de neige, ce mot évoque évidemment le cri de délivrance de l’héroïne glacée de Disney. Or, il y a un paradoxe à susciter la référence au studio américain de film d’animation à la veille de la journée des droits des femmes. On sait en effet toute la difficulté que rencontre Disney pour envisager un personnage féminin en dehors des stéréotypes les plus sexistes. L’abondante littérature sur le sujet montre que la femme, le plus souvent la princesse d’ailleurs, ne réussit jamais vraiment dans les longs métrages qui bercent des générations d’enfants depuis 80 ans à s’émanciper d’une image, d’un rôle, d’un avenir qui l’enferment et la rendent dépendante du monde masculin.

Malgré les Mulan, Pocahontas et Rebelle… Libérée, la femme Disney ne l’est pas encore vraiment.

Il faut dire que les progrès de la société pour l’égalité sont lents.

La véritable libération de cette année aura été celle de la parole. Face au harcèlement, aux violences sexistes et sexuelles, la parole des victimes, des témoins, de celles (et de ceux) qui savaient s’est libérée.

Elle n’a été libérée, autorisée par une quelconque autorité. Elle s’est libérée. Portée courageusement par des femmes qui ont osé. Osé prendre cette parole. Osé dire.

Il s’agit d’une démarche active. « La liberté ne se donne pas, elle se prend » affirme l’écrivaine québécoise Reine Malouin dans Cet ailleurs qui respire. La libération est un acte violent et courageux. Une délivrance salutaire.

Alors, certes, il ne s’agit que d’une étape. Ni la première, ni certainement la dernière. Quelles lignes aura-t-elle réussi à faire bouger ? Et pour combien de temps ?

La bonne nouvelle est que l’égalité femme-homme progresse. Evidemment pas assez, pas partout, pas assez vite. Les stéréotypes ont la vie dure. Pour les combattre, l’évolution de la société ne sera certainement pas suffisante. Une véritable révolution s’impose. Telle était déjà la conviction de Pierre Choderlos de Laclos lorsqu’il écrit en 1783 dans De l’éducation des femmes, ouvrage qui vient d’être republié, préfacé par Geneviève Fraisse : « Venez apprendre comment, nées compagnes de l’homme, vous êtes devenues son esclave. Apprenez qu’on ne sort de l’esclavage que par une grande révolution. Cette révolution est-elle possible ? C’est à vous seules à le dire. »

Aux femmes donc de prendre la parole. Et de dire.

Mais pas à elles seules d’agir. Car si elles sont les premières concernées, l’égalité entre femmes et hommes implique chacune et chacun, dans le modèle de société que nous souhaitons construire et vivre ensemble.

Et, comme le rappelle Laclos, l’Education n’est pas neutre dans ce domaine.

Education libératrice. Education émancipatrice.

Tel est le défi. Et la tâche est immense.

On sait combien nous sommes inconsciemment dans la reproduction des préjugés de genres, orientant spontanément les filles vers telles activités, telles disciplines, telles lectures, tel art, tel sport, telle orientation, tel métier… et les garçons vers d’autres activités, disciplines, lecture, art, sport, orientation, métier…

Parents, éducateurs, enseignants, nous sommes nous-mêmes dépendants de clichés sexués, de rôles genrés qui nous ont été transmis, que nous avons vécu, avec lesquels nous avons été éduqué.e.s. Et dont, d’abord, il nous faut nous libérer.

Les premiers mouvements féministes revendiquaient la « libération de la femme ». On parle aujourd’hui plus volontiers de « droits des femmes » et « d’égalité femmes-hommes ». Des termes qui ont leur justesse, mais ne doivent pas nous faire oublier que le déséquilibre est toujours en défaveur des femmes. Qu’il s’agit moins que la société masculine et machiste leur concède des droits, que de leur capacité à se libérer. Qu’elles soient libres de leurs corps, libres de leurs actes, libres de leurs choix. Que l’Education, en permettant la déconstruction des stéréotypes de genres, donne les moyens de cette libération. Que bien plus réellement et bien plus vite que les héroïnes de Disney, les femmes soient, enfin, libérées.

 

Denis Adam, le 7 mars 2018
 

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Au sortir d’une semaine de grand froid et de neige, ce mot évoque évidemment le cri de délivrance de l’héroïne glacée de Disney. Or, il y a un paradoxe à susciter la référence au studio américain de film d’animation à la veille de la journée des droits des femmes. On sait en effet toute la difficulté que rencontre Disney pour envisager un personnage féminin en dehors des stéréotypes les plus sexistes. L’abondante littérature sur le sujet montre que la femme, le plus souvent la princesse d’ailleurs, ne réussit jamais vraiment dans les longs métrages qui bercent des générations d’enfants depuis 80 ans à s’émanciper d’une image, d’un rôle, d’un avenir qui l’enferment et la rendent dépendante du monde masculin.

Malgré les Mulan, Pocahontas et Rebelle… Libérée, la femme Disney ne l’est pas encore vraiment.

Il faut dire que les progrès de la société pour l’égalité sont lents.

La véritable libération de cette année aura été celle de la parole. Face au harcèlement, aux violences sexistes et sexuelles, la parole des victimes, des témoins, de celles (et de ceux) qui savaient s’est libérée.

Elle n’a été libérée, autorisée par une quelconque autorité. Elle s’est libérée. Portée courageusement par des femmes qui ont osé. Osé prendre cette parole. Osé dire.

Il s’agit d’une démarche active. « La liberté ne se donne pas, elle se prend » affirme l’écrivaine québécoise Reine Malouin dans Cet ailleurs qui respire. La libération est un acte violent et courageux. Une délivrance salutaire.

Alors, certes, il ne s’agit que d’une étape. Ni la première, ni certainement la dernière. Quelles lignes aura-t-elle réussi à faire bouger ? Et pour combien de temps ?

La bonne nouvelle est que l’égalité femme-homme progresse. Evidemment pas assez, pas partout, pas assez vite. Les stéréotypes ont la vie dure. Pour les combattre, l’évolution de la société ne sera certainement pas suffisante. Une véritable révolution s’impose. Telle était déjà la conviction de Pierre Choderlos de Laclos lorsqu’il écrit en 1783 dans De l’éducation des femmes, ouvrage qui vient d’être republié, préfacé par Geneviève Fraisse : « Venez apprendre comment, nées compagnes de l’homme, vous êtes devenues son esclave. Apprenez qu’on ne sort de l’esclavage que par une grande révolution. Cette révolution est-elle possible ? C’est à vous seules à le dire. »

Aux femmes donc de prendre la parole. Et de dire.

Mais pas à elles seules d’agir. Car si elles sont les premières concernées, l’égalité entre femmes et hommes implique chacune et chacun, dans le modèle de société que nous souhaitons construire et vivre ensemble.

Et, comme le rappelle Laclos, l’Education n’est pas neutre dans ce domaine.

Education libératrice. Education émancipatrice.

Tel est le défi. Et la tâche est immense.

On sait combien nous sommes inconsciemment dans la reproduction des préjugés de genres, orientant spontanément les filles vers telles activités, telles disciplines, telles lectures, tel art, tel sport, telle orientation, tel métier… et les garçons vers d’autres activités, disciplines, lecture, art, sport, orientation, métier…

Parents, éducateurs, enseignants, nous sommes nous-mêmes dépendants de clichés sexués, de rôles genrés qui nous ont été transmis, que nous avons vécu, avec lesquels nous avons été éduqué.e.s. Et dont, d’abord, il nous faut nous libérer.

Les premiers mouvements féministes revendiquaient la « libération de la femme ». On parle aujourd’hui plus volontiers de « droits des femmes » et « d’égalité femmes-hommes ». Des termes qui ont leur justesse, mais ne doivent pas nous faire oublier que le déséquilibre est toujours en défaveur des femmes. Qu’il s’agit moins que la société masculine et machiste leur concède des droits, que de leur capacité à se libérer. Qu’elles soient libres de leurs corps, libres de leurs actes, libres de leurs choix. Que l’Education, en permettant la déconstruction des stéréotypes de genres, donne les moyens de cette libération. Que bien plus réellement et bien plus vite que les héroïnes de Disney, les femmes soient, enfin, libérées.

 

Denis Adam, le 7 mars 2018