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Légaliser le cannabis, l’avis stupéfiant du Conseil économique, social et environnemental

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) appelle clairement à une légalisation encadrée de « la production, de la distribution et de l’usage dit “récréatif” du cannabis». Après une étude de la situation et l'audition de plusieurs expert.es (médecins, chercheur. euses, économistes, politiques, juristes, sociologues, etc.), il a donc adopté le 24 janvier 2023 un avis intitulé « Cannabis : sortir du statu quo, vers une légalisation encadrée » Il se montre ainsi en opposition avec le gouvernement. Le garde des Sceaux a déclaré récement: «Je fais un lien direct entre les trafiquants et les consommateurs. Le confort festif, ça donne des règlements de compte. Tous ceux qui consomment le petit pétard le samedi soir devraient s'en souvenir». L’UNSA-Éducation vous résume la position très argumentée du CESE sur ce sujet sensible.

Un échec « cuisant »

Cet organe consultatif de la société civile fait le constat de « l’inefficacité » des politiques françaises sur le cannabis en termes de santé publique.

La France est l’un des pays les plus répressifs puisqu’elle punit le simple usage de cannabis au même titre que les autres drogues. Comme tous les stupéfiants, la production, la transformation, la distribution et la consommation sont interdites. Une prohibition qui date de 1916, accentuée par la loi du 31 décembre 1970 pour mettre fin au trafic de cannabis et réduire sa consommation. C’est, pour le CESE un «échec cuisant». En effet notre pays compte le plus grand nombre de consommateurs et consommatrices au sein de l’UE : 45% des 15-64 ans ont déjà expérimenté le cannabis contre 28% aux Pays-Bas et 27% en moyenne pour le continent. On compte 1,5 millions d’utilisateurs.trices régulier.es en 2017. Les usager.es n’ont jamais eu de difficultés pour s’approvisionner. Malgré le tout répressif, l’offre reste importante : 10 tonnes sont importées dans notre pays tous les mois. Le trafic s’est bien adapté : une véritable « ubérisation » du marché illicite existe avec les codes du marketing modernes et des prix attractifs : 8€ le gramme de résine et 10€ le gramme d’herbe. Toutes les couches sociales sont touchées par cette consommation, contrairement aux stéréotypes qui l’assimile trop souvent aux quartiers populaires.

On constate par ailleurs, un double mouvement : une féminisation de l’usage et un vieillissement des usager.es. Les 26-44 ans ont une consommation en croissance continue, ce qui prouve, à nouveau, que la répression n’a rien de dissuasif. Elle se fait, de plus, au détriment de la prévention, l’éducation et l’accompagnement. Effectivement, il n’existe pas de politiques de santé spécifiques au cannabis. Ce manque d’éducation laisse les usager.es ignorant.es face aux trafiquants qui font évoluer leurs offres. Ainsi le taux de THC (molécule neurotoxique du cannabis) a fortement augmenté dans les produits en 20 ans, passant de 12,3 à 26,7% pour la résine par exemple. Les cannabis de synthèse (K2, Buddha Blue, etc.) se répandent et leurs effets sont bien plus dangereux pour la santé.
Le CESE enfonce le clou : loin de les protéger, la loi stigmatise les usager.es qui apparaissent comme des  « malades » voire des « délinquants ». C’est la posture morale de cette loi qui l’explique: « la drogue est un fléau », il faut donc l’éradiquer. Or, cela « traduit la frilosité des politiques qui craignent davantage l’accusation de laxisme que le constat de leur inefficacité ». Aujourd’hui encore, ce qui prime reste la politique du chiffre, tournée « à 80% vers la répression des usagers » et non des trafiquants entraînant une perte de sens pour les forces de l’ordre qui ont le sentiment « de vider l’océan avec une petite cuillère percée » et une « embolie » du système judiciaire.

Construire un modèle de légalisation encadrée

Une fois ce constat posé, le CESE rappelle que plusieurs États « se sont déjà engagés dans la voie de la légalisation ». L’exemple du Canada est encourageant. Tout d’abord car en 2020, 46% des usager.es de ce pays s’approvisionnaient par voie légale contre 31% en 2019. Ensuite car la consommation des mineur.es a baissé de 3% en 3 ans. Ce qui s’explique par des sanctions très lourdes pour toute personne vendant à un.e mineur.e et par une vraie politique de prévention.
L’objectif du Conseil ne consiste pas « à présenter le cannabis comme une expérience sympathique, voire ludique mais (…) de privilégier la prévention le plus tôt possible, pour dissuader ou retarder (…) l’entrée des jeunes dans la consommation ».

Le CESE propose donc de construire cette légalisation encadrée autour de quelques points-clés :

– prévention et réduction des risques spécifiques au cannabis qui seraient intégrées à l’ensemble des conduites addictives, en particulier à destination des mineur.es .

– dépénalisation de l’usage et de la culture de cannabis à titre personnel, et refonte du dépistage du cannabis au volant en basant la sanction uniquement sur l’emprise.

– un débat sociétal « apaisé et objectif» pour construire un modèle d’encadrement prenant en compte les enjeux sanitaires, sociaux, économiques et environnementaux. Il préconise de prendre le modèle de la Convention citoyenne.

Dédiaboliser le cannabis permettrait par ricochet l’épanouissement de toute une économie autour du chanvre. Avec 37,3%, la France en est déjà la première productrice européenne. Les débouchés sont nombreux dans des domaines variés encore sous-investis et pourtant prometteurs : matériaux de construction, textile, papier, plasturgie (notamment pour la construction automobile), alimentation, cosmétique, etc. Ensuite, la culture du cannabis répond aux nouveaux enjeux environnementaux et climatiques : réalisée en plein champ, elle n’appauvrit pas les sols, ne nécessite ni pesticides et elle n’est, n’est pas gourmande en eau. C’est donc une agriculture durable qui pourrait se développer !

L’UNSA Éducation salue les préconisations du CESE. En effet, il ne s’agit pas de banaliser le cannabis ou de promouvoir sa consommation mais de réfléchir à un problème qui touche toute la société et gangrène certains quartiers. Loin des fantasmes et des cadres inefficaces ou dépassés, un débat dépassionné permettrait d’élaborer une politique publique qui            « privilégierait la prévention, la réduction des risques, l’éducation à la consommation et la responsabilisation ». Ce serait, d’après tous les expert.es auditionné.es, la seule façon de mettre un terme aux problèmes sanitaires et sécuritaires que connaît notre pays. Notre syndicat appelle donc ce débat de ses vœux.

Lien vers le rapport du CESE

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