L’apprentissage, n’est pas qu’une question d’emploi

S’il est une idée entendue et partagée pour résoudre le chômage des jeunes, c’est bien celle du développement de l’apprentissage. A grand renfort de comparaisons avec nos voisins européens (parmi les 15-24 ans, la France ne compte ainsi que 5% d’apprentis contre 16% en Allemagne, par exemple), cette modalité de formation est promue largement comme un remède miracle.

Pratiquement tous les candidats à l’élection présidentielle en ont vanté les mérites et l’impérieuse nécessité de multiplier en France le pourcentage d’apprentis parmi pour les jeunes en formation. Emmanuel Macron ne fait pas exception. « Je souhaite réformer en profondeur l’apprentissage pour faciliter l’insertion professionnelle des jeunes et transformer notre économie » avait-il promis. Et puisqu’il tient à demeurer le président qui fait ce qu’il a annoncé, le chantier de la réforme de l’apprentissage est ouvert depuis le 10 novembre dernier.

Qu’en sortira-t-il ?

Trop tôt pour le dire. Puisque le calendrier prévoit la clôture des travaux de concertation (actuellement 4 groupes de travail qui se réunissent chacun une fois par semaine) pour le 25 janvier, un rapport pour début février et l’adoption d’une loi avant l’été 2018.

Mais alors que le processus est à mi-chemin, des voix grincent et des esprits s’échauffent.

Il faut dire que si Emmanuel Macron se veut être un président de parole, il n’est pas avare de commentaires sur les réformes en cours, y compris durant leur phase d’élaboration. Aussi sur le sujet, il a déclaré, le 21 décembre : « C’est une petite révolution culturelle que l’on est en train de mener […] Nous devons faire des métiers d’apprentissage un des éléments de la fabrique de la nation ». Et, appelant « le monde académique » et « le monde professionnel » à se réconcilier, il a affirmé vouloir « donner beaucoup plus de place aux branches ».

Or c’est justement sur ce point, hautement revendiquer par le Medef, que le bat blesse.

Pour faire pression et rappeler qu’elles ont vocation à piloter tous les dispositifs de formation professionnelle en cohérence avec leur mission de développement économique des territoires, les régions de France, ont claqué la porte lors de la dernière réunion des groupes de travail avant les vacances des fêtes de fin d’année.

Il s’agit évidemment et tout d’abord d’une affaire de gros sous. Puisque retirer aux régions le pilotage de l’apprentissage reviendrait du même coup à les priver du montant de la taxe d’apprentissage qu’elles encaissent. 1,6 milliard d’euros passerait ainsi des finances régionales aux caisses des branches professionnelles. « Une privatisation« , selon l’association Régions de France.

Autres mécontents des orientations que pourraient prendre la réforme de l’apprentissage : les universités. « La place de l’apprentissage dans notre offre de formation est aujourd’hui menacée. Elle sera compromise si les nouvelles perspectives qui émergent se confirment », affirme Gilles Roussel, le président de la CPU.

En effet, les présidents d’université craignent de perdre le financement des formations interbranches, ce qui, selon eux, conduirait à devoir fermer 20.000 places de formation. Ils rappellent que dans le supérieur l’apprentissage est une voie de réussite, qu’elle devrait être enrichie par la création de 22000 places supplémentaires annoncées par le « plan étudiants » mais dont le financement reste encore inconnu, et que le risque existe de la faire disparaitre. On dénombre actuellement 70.000 étudiants concernés (45.000 apprentis et 25.000 contrats professionnels).

Au-delà des questions financières, c’est toute la conception de la formation professionnelle initiale qui est en jeu.

Confier l’apprentissage -et peut-être demain l’enseignement professionnel- aux branches professionnelles revient à renforcer le lien direct entre formation et emploi. Avec un risque fort de ne proposer qu’une vision à court terme et localisée. Le monde de l’emploi est en pleine mutation. Toutes les études montrent que les métiers qui existeront et ceux qui auront disparu demain, ne sont pas encore connus. Accompagner ces changements profonds nécessite donc que la formation initiale fournisse suffisamment de « bagages » méthodologiques, de réflexion, d’analyse, d’adaptation technique… afin que les nouveaux entrants dans la vie professionnelle soient « outillés » pour réussir ces mutations.

Au-delà, il s’agit également de fournir à toutes et tous les éléments indispensables à l’insertion dans une vie sociale et citoyenne, grâce aux capacités de vivre avec les autres dans le respect, la bonne intelligence et la coopération, l’implication dans les décisions collectives, la solidarité. Et de développer la dimension écocitoyenne afin de former des citoyens et des professionnels intégrant la dimension environnementale dans leurs préoccupations quotidiennes.

Les branches professionnelles sont-elles en capacité de relever ses défis ?

Actuellement, et si elles sont seules au pilotage de la formation professionnelle initiale, la réponse s’impose : elle est négative.

Il ne s’agit pourtant pas nier l’implication forte que doivent avoir les entreprises dans ce domaine. Il passe par le développement de la notion d’entreprise apprenante. En effet, l’accueil et de l’accompagnement des apprenants et des apprentis est une des conditions de la réussite de leur formation. Aussi, l’investissement des acteurs professionnels et tout particulièrement des maitres d’apprentissage demande à être reconnu et valorisé.

L’alternance, sous toutes ses formes, est l’occasion de découvrir des modes d’organisation et de gestion diversifiés : entreprises, travailleurs indépendants, coopératives, associations…. Elle doit faciliter la prise en compte prospective de l’évolution économiques des secteurs et des branches professionnelles, des métiers et des emplois en devenir.

Les périodes en entreprise doivent également permettre de réfléchir sur l’évolution même des entreprises, des modes de management, des prises de responsabilités individuelles et collectives, des formes de représentation et d’implication des personnels.

Evitons les solutions basiques, fausses bonnes réponses à l’évolution complexe de notre monde.

En matière d’apprentissage, comme plus globalement pour toutes les questions de formations, les coopérations sont plus productives que les monopoles. Un bon équilibre entre les responsabilités des régions, des branches professionnelles et de l’Etat est à construire. Lui seule pourra garantir la réussite et le développement des différentes modalités de formation professionnelle initiale. Tout autre choix ne permettrait pas une réponse fiable et pérenne.

Espérons que le bon sens l’emporte sur les rigidités idéologiques. Parce que l’apprentissage, n’est pas qu’une question d’emploi, c’est une question d’avenir.

 

Denis Adam, le 27 décembre 2017
 

 

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S’il est une idée entendue et partagée pour résoudre le chômage des jeunes, c’est bien celle du développement de l’apprentissage. A grand renfort de comparaisons avec nos voisins européens (parmi les 15-24 ans, la France ne compte ainsi que 5% d’apprentis contre 16% en Allemagne, par exemple), cette modalité de formation est promue largement comme un remède miracle.

Pratiquement tous les candidats à l’élection présidentielle en ont vanté les mérites et l’impérieuse nécessité de multiplier en France le pourcentage d’apprentis parmi pour les jeunes en formation. Emmanuel Macron ne fait pas exception. « Je souhaite réformer en profondeur l’apprentissage pour faciliter l’insertion professionnelle des jeunes et transformer notre économie » avait-il promis. Et puisqu’il tient à demeurer le président qui fait ce qu’il a annoncé, le chantier de la réforme de l’apprentissage est ouvert depuis le 10 novembre dernier.

Qu’en sortira-t-il ?

Trop tôt pour le dire. Puisque le calendrier prévoit la clôture des travaux de concertation (actuellement 4 groupes de travail qui se réunissent chacun une fois par semaine) pour le 25 janvier, un rapport pour début février et l’adoption d’une loi avant l’été 2018.

Mais alors que le processus est à mi-chemin, des voix grincent et des esprits s’échauffent.

Il faut dire que si Emmanuel Macron se veut être un président de parole, il n’est pas avare de commentaires sur les réformes en cours, y compris durant leur phase d’élaboration. Aussi sur le sujet, il a déclaré, le 21 décembre : « C’est une petite révolution culturelle que l’on est en train de mener […] Nous devons faire des métiers d’apprentissage un des éléments de la fabrique de la nation ». Et, appelant « le monde académique » et « le monde professionnel » à se réconcilier, il a affirmé vouloir « donner beaucoup plus de place aux branches ».

Or c’est justement sur ce point, hautement revendiquer par le Medef, que le bat blesse.

Pour faire pression et rappeler qu’elles ont vocation à piloter tous les dispositifs de formation professionnelle en cohérence avec leur mission de développement économique des territoires, les régions de France, ont claqué la porte lors de la dernière réunion des groupes de travail avant les vacances des fêtes de fin d’année.

Il s’agit évidemment et tout d’abord d’une affaire de gros sous. Puisque retirer aux régions le pilotage de l’apprentissage reviendrait du même coup à les priver du montant de la taxe d’apprentissage qu’elles encaissent. 1,6 milliard d’euros passerait ainsi des finances régionales aux caisses des branches professionnelles. « Une privatisation« , selon l’association Régions de France.

Autres mécontents des orientations que pourraient prendre la réforme de l’apprentissage : les universités. « La place de l’apprentissage dans notre offre de formation est aujourd’hui menacée. Elle sera compromise si les nouvelles perspectives qui émergent se confirment », affirme Gilles Roussel, le président de la CPU.

En effet, les présidents d’université craignent de perdre le financement des formations interbranches, ce qui, selon eux, conduirait à devoir fermer 20.000 places de formation. Ils rappellent que dans le supérieur l’apprentissage est une voie de réussite, qu’elle devrait être enrichie par la création de 22000 places supplémentaires annoncées par le « plan étudiants » mais dont le financement reste encore inconnu, et que le risque existe de la faire disparaitre. On dénombre actuellement 70.000 étudiants concernés (45.000 apprentis et 25.000 contrats professionnels).

Au-delà des questions financières, c’est toute la conception de la formation professionnelle initiale qui est en jeu.

Confier l’apprentissage -et peut-être demain l’enseignement professionnel- aux branches professionnelles revient à renforcer le lien direct entre formation et emploi. Avec un risque fort de ne proposer qu’une vision à court terme et localisée. Le monde de l’emploi est en pleine mutation. Toutes les études montrent que les métiers qui existeront et ceux qui auront disparu demain, ne sont pas encore connus. Accompagner ces changements profonds nécessite donc que la formation initiale fournisse suffisamment de « bagages » méthodologiques, de réflexion, d’analyse, d’adaptation technique… afin que les nouveaux entrants dans la vie professionnelle soient « outillés » pour réussir ces mutations.

Au-delà, il s’agit également de fournir à toutes et tous les éléments indispensables à l’insertion dans une vie sociale et citoyenne, grâce aux capacités de vivre avec les autres dans le respect, la bonne intelligence et la coopération, l’implication dans les décisions collectives, la solidarité. Et de développer la dimension écocitoyenne afin de former des citoyens et des professionnels intégrant la dimension environnementale dans leurs préoccupations quotidiennes.

Les branches professionnelles sont-elles en capacité de relever ses défis ?

Actuellement, et si elles sont seules au pilotage de la formation professionnelle initiale, la réponse s’impose : elle est négative.

Il ne s’agit pourtant pas nier l’implication forte que doivent avoir les entreprises dans ce domaine. Il passe par le développement de la notion d’entreprise apprenante. En effet, l’accueil et de l’accompagnement des apprenants et des apprentis est une des conditions de la réussite de leur formation. Aussi, l’investissement des acteurs professionnels et tout particulièrement des maitres d’apprentissage demande à être reconnu et valorisé.

L’alternance, sous toutes ses formes, est l’occasion de découvrir des modes d’organisation et de gestion diversifiés : entreprises, travailleurs indépendants, coopératives, associations…. Elle doit faciliter la prise en compte prospective de l’évolution économiques des secteurs et des branches professionnelles, des métiers et des emplois en devenir.

Les périodes en entreprise doivent également permettre de réfléchir sur l’évolution même des entreprises, des modes de management, des prises de responsabilités individuelles et collectives, des formes de représentation et d’implication des personnels.

Evitons les solutions basiques, fausses bonnes réponses à l’évolution complexe de notre monde.

En matière d’apprentissage, comme plus globalement pour toutes les questions de formations, les coopérations sont plus productives que les monopoles. Un bon équilibre entre les responsabilités des régions, des branches professionnelles et de l’Etat est à construire. Lui seule pourra garantir la réussite et le développement des différentes modalités de formation professionnelle initiale. Tout autre choix ne permettrait pas une réponse fiable et pérenne.

Espérons que le bon sens l’emporte sur les rigidités idéologiques. Parce que l’apprentissage, n’est pas qu’une question d’emploi, c’est une question d’avenir.

 

Denis Adam, le 27 décembre 2017