La place de l’émotion dans l’opinion

Alors que 44 personnes ont péri en traversant la mer Égée vendredi 22 janvier 2016, qu’en France, et partout en Europe, les amalgames entre réfugiés et terroristes se multiplient, il est temps de changer de regards sur les migrations. L’UNSA Éducation vous propose de retrouver un article paru dans le numéro 14 de « Questions de société » .

Beaucoup a déjà été dit ou écrit sur la place de l’image dans l’opinion publique, sur notre société submergée d’infos, de signaux. Néanmoins, il nous est apparu indispensable de revenir sur quelles images retiennent l’attention, lesquelles font débat? Pourquoi ce signal là plutôt qu’un autre ? Comment les images sont récupérées, orientées, ou mises en avant.

Au mois de septembre dernier, deux photos du corps du petit Aylan Kurdy, 3 ans, échoué sur la plage de Bodrum, visage contre sable, ont à juste titre provoqué un effroi planétaire.
Ces images d’un drame atroce ont révélé les risques infinis que prenaient les êtres humains qui fuyaient leur pays, seuls, en groupe, en famille, jeunes, âgés, femmes enceintes…
Ces deux clichés qui ont fait la Une de nombreux journaux, et qui ont également circulé sur les réseaux sociaux, ont provoqué une vague de solidarité qui a traversé la planète. Les appels spontanés des citoyens à la solidarité avec les réfugiés se sont multipliés. Les associations ont reçu des donations record pour créer des fonds d’urgence. Certains artistes se sont mobilisés, les uns affirmant qu’ils réserveront une partie de leurs cachets pour venir en aide aux réfugiés, d’autres organisant des manifestations ou des rassemblements.
La mobilisation populaire sur le sort des réfugiés a été, semble-t’il, sans précédent en ce mois de septembre 2015.

Le président François Hollande a ouvert sa conférence de presse le 3 septembre ému par la mort du petit Aylan Kurdy. Le premier ministre Manuel Valls a publié la photo du garçon sur son compte tweeter. L’Allemagne ayant affiché sa volonté d’accueillir les réfugiés, il semble à ce moment là que la classe politique veuille se diriger vers une mobilisation européenne humanitaire.

Pourtant, les informations concernant les êtres humains qui s’échouent sur les côtes de la méditerranée, victimes entre autres des passeurs, des frontières fermées… sont régulièrement présentes dans l’actualité et ce depuis plusieurs mois, même plusieurs années. Sans vouloir être exhaustif, nous devons nous rappeler qu’en 2013, 366 personnes sont mortes près des côtes de Lampedusa suite au naufrage d’une embarcation. En avril 2015 environ 400 migrants seraient morts noyés en Méditerranée alors qu’ils tentaient de rejoindre l’Union européenne depuis les côtes libyennes. De plus, l’été 2015 a été marqué par les récits de situation critique sur entre autres les îles grecques de Kos ou Lesbos. On se rappelle que fin aout 71 personnes ont été retrouvées mortes dans un camion en Autriche… « La pire crise des migrants » a –t-on pu lire régulièrement dans les journaux.

Alors, on peut penser que les images atroces de ce petit garçon ont cristallisé l’effroi suscité tout au long de l’été par les infos qui ont circulé sur les réseaux sociaux et dans les journaux, révélant la violence d’une réalité qui a atteint son point paroxystique.

Mais, les quotidiens français n’ont pas, à l’instar des journaux européens, largement publié sur leur Une les photos d’Aylan. Les rédactions françaises ont en revanche débattu pour savoir si il fallait ou non le faire. Cette absence en Une a été interprétée soit comme une frilosité typiquement française, soit comme de l’intolérance vis à vis des réfugiés. Le journal Le Monde explique avoir « déjà publié des photos d’enfants morts, il n’est pas dans l’habitude du journal de publier des images choquantes comme peut le faire la presse britannique. Sans voyeurisme, il est aussi apparu à une partie de la rédaction que le moment est venu de regarder et de montrer en face la tragédie qui se joue à nos frontières et que le moment est crucial, comme les discussions entre dirigeants européens le montrent. Il s’agissait de donner à cette image une importance à part. »

Dès lors, si une très grande majorité de l’opinion s’est accordée pour condamner la mort tragique d’un enfant de trois ans, des divergences fortes ont refait surface quand s’est posée la question des responsabilités et celle des solutions… La vague de solidarité s’est vue opposer des discours sectaires attisant la peur et le rejet de l’autre. Viennent alors des arguments économiques ou sécuritaires pour justifier la fermeture des frontières.

C’est pourquoi, l’émotion provoquée par la photo d’Aylan doit se transformer en véritable volonté de transformer la situation. Il ne sera pas acceptable de s’arrêter là et d’attendre qu’un prochain drame vienne chasser celui ci, que l’engouement médiatique pour un nouvel évènement provoque l’oubli. Les Etats doivent trouver des mesures d’urgence et également des solutions pérennes pour qu’en vertu des valeurs de solidarité et de fraternité, les personnes puissent trouver la sécurité face à la guerre, à l’oppression et à la misère. Comme le dit Patrick Weil, historien :

« accueillir des réfugiés, ce n’est donc ni une charge ni une chance mais un principe que l’on respecte parce qu’il donne sens depuis ses débuts à notre République. »

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Alors que 44 personnes ont péri en traversant la mer Égée vendredi 22 janvier 2016, qu’en France, et partout en Europe, les amalgames entre réfugiés et terroristes se multiplient, il est temps de changer de regards sur les migrations. L’UNSA Éducation vous propose de retrouver un article paru dans le numéro 14 de « Questions de société » .

Beaucoup a déjà été dit ou écrit sur la place de l’image dans l’opinion publique, sur notre société submergée d’infos, de signaux. Néanmoins, il nous est apparu indispensable de revenir sur quelles images retiennent l’attention, lesquelles font débat? Pourquoi ce signal là plutôt qu’un autre ? Comment les images sont récupérées, orientées, ou mises en avant.

Au mois de septembre dernier, deux photos du corps du petit Aylan Kurdy, 3 ans, échoué sur la plage de Bodrum, visage contre sable, ont à juste titre provoqué un effroi planétaire.
Ces images d’un drame atroce ont révélé les risques infinis que prenaient les êtres humains qui fuyaient leur pays, seuls, en groupe, en famille, jeunes, âgés, femmes enceintes…
Ces deux clichés qui ont fait la Une de nombreux journaux, et qui ont également circulé sur les réseaux sociaux, ont provoqué une vague de solidarité qui a traversé la planète. Les appels spontanés des citoyens à la solidarité avec les réfugiés se sont multipliés. Les associations ont reçu des donations record pour créer des fonds d’urgence. Certains artistes se sont mobilisés, les uns affirmant qu’ils réserveront une partie de leurs cachets pour venir en aide aux réfugiés, d’autres organisant des manifestations ou des rassemblements.
La mobilisation populaire sur le sort des réfugiés a été, semble-t’il, sans précédent en ce mois de septembre 2015.

Le président François Hollande a ouvert sa conférence de presse le 3 septembre ému par la mort du petit Aylan Kurdy. Le premier ministre Manuel Valls a publié la photo du garçon sur son compte tweeter. L’Allemagne ayant affiché sa volonté d’accueillir les réfugiés, il semble à ce moment là que la classe politique veuille se diriger vers une mobilisation européenne humanitaire.

Pourtant, les informations concernant les êtres humains qui s’échouent sur les côtes de la méditerranée, victimes entre autres des passeurs, des frontières fermées… sont régulièrement présentes dans l’actualité et ce depuis plusieurs mois, même plusieurs années. Sans vouloir être exhaustif, nous devons nous rappeler qu’en 2013, 366 personnes sont mortes près des côtes de Lampedusa suite au naufrage d’une embarcation. En avril 2015 environ 400 migrants seraient morts noyés en Méditerranée alors qu’ils tentaient de rejoindre l’Union européenne depuis les côtes libyennes. De plus, l’été 2015 a été marqué par les récits de situation critique sur entre autres les îles grecques de Kos ou Lesbos. On se rappelle que fin aout 71 personnes ont été retrouvées mortes dans un camion en Autriche… « La pire crise des migrants » a –t-on pu lire régulièrement dans les journaux.

Alors, on peut penser que les images atroces de ce petit garçon ont cristallisé l’effroi suscité tout au long de l’été par les infos qui ont circulé sur les réseaux sociaux et dans les journaux, révélant la violence d’une réalité qui a atteint son point paroxystique.

Mais, les quotidiens français n’ont pas, à l’instar des journaux européens, largement publié sur leur Une les photos d’Aylan. Les rédactions françaises ont en revanche débattu pour savoir si il fallait ou non le faire. Cette absence en Une a été interprétée soit comme une frilosité typiquement française, soit comme de l’intolérance vis à vis des réfugiés. Le journal Le Monde explique avoir « déjà publié des photos d’enfants morts, il n’est pas dans l’habitude du journal de publier des images choquantes comme peut le faire la presse britannique. Sans voyeurisme, il est aussi apparu à une partie de la rédaction que le moment est venu de regarder et de montrer en face la tragédie qui se joue à nos frontières et que le moment est crucial, comme les discussions entre dirigeants européens le montrent. Il s’agissait de donner à cette image une importance à part. »

Dès lors, si une très grande majorité de l’opinion s’est accordée pour condamner la mort tragique d’un enfant de trois ans, des divergences fortes ont refait surface quand s’est posée la question des responsabilités et celle des solutions… La vague de solidarité s’est vue opposer des discours sectaires attisant la peur et le rejet de l’autre. Viennent alors des arguments économiques ou sécuritaires pour justifier la fermeture des frontières.

C’est pourquoi, l’émotion provoquée par la photo d’Aylan doit se transformer en véritable volonté de transformer la situation. Il ne sera pas acceptable de s’arrêter là et d’attendre qu’un prochain drame vienne chasser celui ci, que l’engouement médiatique pour un nouvel évènement provoque l’oubli. Les Etats doivent trouver des mesures d’urgence et également des solutions pérennes pour qu’en vertu des valeurs de solidarité et de fraternité, les personnes puissent trouver la sécurité face à la guerre, à l’oppression et à la misère. Comme le dit Patrick Weil, historien :

« accueillir des réfugiés, ce n’est donc ni une charge ni une chance mais un principe que l’on respecte parce qu’il donne sens depuis ses débuts à notre République. »

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