La difficile place des sciences de l’éducation

Au-delà de la situation particulière de l’université de Nantes et des péripéties autour de sa licence des sciences de l’éducation, la France souffre d’un déficit dans le domaine de la réflexion, de la recherche et de la formation pédagogique.

Comme le déplore Philippe Perrenoud « dans certains pays, on a confié la formation des enseignants, des cadres scolaires, des éducateurs spécialisés et des formateurs d’adultes aux facultés de sciences de l’éducation ou à des hautes écoles qui s’en rapprochent. Dans d’autres, on a au moins fortement impliqué les sciences de l’éducation dans la conception et dans le fonctionnement des formations des professionnels de l’éducation. La France est à cet égard une exception. Pourquoi ? La responsabilité me semble partagée entre IUFM et Université. Au moment de la renaissance d’une formation professionnelle des professeurs, rien ne semble avoir changé : quand finira-t-on par comprendre que s’intéresser aux pratiques professionnelles et former des professionnels est un moteur de la recherche fondamentale plutôt qu’une aliénation de la liberté académique ? ».

L’argument généralement mis en avant par les détracteurs des sciences de l’éducation réside essentiellement dans le « fourre-tout » qu’elles constitueraient selon eux, n’étant que la mobilisation –parfois brouillonne- de multiples disciplines constituées. Cette critique, si elle a pu être fondée, il y a déjà longtemps, les choses ont beaucoup évoluées.


Marguerite Altet, de l’université de Nantes, en fait la démonstration : « Progressivement les sciences de l’éducation se sont constitué, par leurs recherches et leurs formations universitaires, un territoire propre autour d’objets contextualisés qu’elles traitent par des approches plurielles, avec la pluridisciplinarité, l’inter, la co-disciplinarité nécessaires autour de nouveaux concepts carrefours comme le « rapport au savoir ».  Ces dernières décennies ont montré qu’il existe d’une part des objets qui nécessitent la spécificité de l’approche plurielle, pluridisciplinaire propre des sciences de l’éducation, qu’il y a d’autre part des noyaux de recherche en éducation irréductibles aux recherches des autres sciences humaines, comme les pratiques enseignantes et éducatives, l’évaluation, l’enseignement-apprentissage, la formation professionnelle, les savoirs, les didactiques disciplinaires, l’éducation familiale et à la santé, le travail social, la pédagogie universitaire….et qu’enfin il y a une façon de mener des travaux de sociologie ou de psychologie au sein des sciences de l’éducation qui se caractérise par une ouverture aux apports des autres sciences humaines dans le champ de la recherche, mais aussi par la construction d’objets spécifiques, sans oublier l’intérêt pour les différentes formes de pratique éducative. »
Elle  prolonge son analyse, montrant qu’ « ainsi, en 45 ans, par les recherches menées et les cursus de formation universitaire qui ont diffusé les résultats de ces travaux, les sciences de l’éducation sont devenues des sciences matures, reconnues sur le plan scientifique international : elles se sont séparées des approches pédagogiques prescriptives ; elles ont inventé un point de vue pluriel, pluri ou interdisciplinaire sur des objets qui leur sont propres ; elles travaillent  sur des zones frontières spécifiques ; elles ont construit des savoirs, des concepts propres ; elles ont développé un corpus de connaissances validées, reconnues ; elles ont rendu intelligibles processus éducatifs ; elles ont travaillé sur les rapports entre savoirs savants et pratiques. » Et de s’interroger : « Comment alors leur interdire de poursuivre leurs avancées théoriques par de nouvelles recherches et leur diffusion dans les formations universitaires ? »

La réinvention d’une formation des enseignants et de l’ensemble des personnels de l’éducation devrait être l’occasion de mobiliser un véritable contenu professionnel, d’articuler davantage savoirs savants et pratiques, de penser les éducateurs comme des chercheurs en éducation.


Nous en sommes certes encore loin. La place des sciences de l’éducation est encore à gagner dans de nombreuses universités, tout comme dans la conception des tenants des disciplines à l’image de cet internaute qui réagissant au dossier « Qui veut la mort des sciences de l’éducation ? » du Café pédagogique, écrit « Je remarque aussi […] l’absence de toute référence aux didactiques des disciplines, dont l’existence, et la reconnaissance acquise, sont pourtant des éléments très importants du problème. Seule Marguerite Altet les cite, mais en les intégrant complètement dans les Sciences de l’éducation, ce qui ne correspond pas à la réalité française, ni sur le terrain de la formation secondaire, ni sur celui de la recherche universitaire. »

Voici une approche encore bien réductrice. Elle demande à être dépasser… en faisant preuve de pédagogie certainement !
 

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Au-delà de la situation particulière de l’université de Nantes et des péripéties autour de sa licence des sciences de l’éducation, la France souffre d’un déficit dans le domaine de la réflexion, de la recherche et de la formation pédagogique.

Comme le déplore Philippe Perrenoud « dans certains pays, on a confié la formation des enseignants, des cadres scolaires, des éducateurs spécialisés et des formateurs d’adultes aux facultés de sciences de l’éducation ou à des hautes écoles qui s’en rapprochent. Dans d’autres, on a au moins fortement impliqué les sciences de l’éducation dans la conception et dans le fonctionnement des formations des professionnels de l’éducation. La France est à cet égard une exception. Pourquoi ? La responsabilité me semble partagée entre IUFM et Université. Au moment de la renaissance d’une formation professionnelle des professeurs, rien ne semble avoir changé : quand finira-t-on par comprendre que s’intéresser aux pratiques professionnelles et former des professionnels est un moteur de la recherche fondamentale plutôt qu’une aliénation de la liberté académique ? ».

L’argument généralement mis en avant par les détracteurs des sciences de l’éducation réside essentiellement dans le « fourre-tout » qu’elles constitueraient selon eux, n’étant que la mobilisation –parfois brouillonne- de multiples disciplines constituées. Cette critique, si elle a pu être fondée, il y a déjà longtemps, les choses ont beaucoup évoluées.


Marguerite Altet, de l’université de Nantes, en fait la démonstration : « Progressivement les sciences de l’éducation se sont constitué, par leurs recherches et leurs formations universitaires, un territoire propre autour d’objets contextualisés qu’elles traitent par des approches plurielles, avec la pluridisciplinarité, l’inter, la co-disciplinarité nécessaires autour de nouveaux concepts carrefours comme le « rapport au savoir ».  Ces dernières décennies ont montré qu’il existe d’une part des objets qui nécessitent la spécificité de l’approche plurielle, pluridisciplinaire propre des sciences de l’éducation, qu’il y a d’autre part des noyaux de recherche en éducation irréductibles aux recherches des autres sciences humaines, comme les pratiques enseignantes et éducatives, l’évaluation, l’enseignement-apprentissage, la formation professionnelle, les savoirs, les didactiques disciplinaires, l’éducation familiale et à la santé, le travail social, la pédagogie universitaire….et qu’enfin il y a une façon de mener des travaux de sociologie ou de psychologie au sein des sciences de l’éducation qui se caractérise par une ouverture aux apports des autres sciences humaines dans le champ de la recherche, mais aussi par la construction d’objets spécifiques, sans oublier l’intérêt pour les différentes formes de pratique éducative. »
Elle  prolonge son analyse, montrant qu’ « ainsi, en 45 ans, par les recherches menées et les cursus de formation universitaire qui ont diffusé les résultats de ces travaux, les sciences de l’éducation sont devenues des sciences matures, reconnues sur le plan scientifique international : elles se sont séparées des approches pédagogiques prescriptives ; elles ont inventé un point de vue pluriel, pluri ou interdisciplinaire sur des objets qui leur sont propres ; elles travaillent  sur des zones frontières spécifiques ; elles ont construit des savoirs, des concepts propres ; elles ont développé un corpus de connaissances validées, reconnues ; elles ont rendu intelligibles processus éducatifs ; elles ont travaillé sur les rapports entre savoirs savants et pratiques. » Et de s’interroger : « Comment alors leur interdire de poursuivre leurs avancées théoriques par de nouvelles recherches et leur diffusion dans les formations universitaires ? »

La réinvention d’une formation des enseignants et de l’ensemble des personnels de l’éducation devrait être l’occasion de mobiliser un véritable contenu professionnel, d’articuler davantage savoirs savants et pratiques, de penser les éducateurs comme des chercheurs en éducation.


Nous en sommes certes encore loin. La place des sciences de l’éducation est encore à gagner dans de nombreuses universités, tout comme dans la conception des tenants des disciplines à l’image de cet internaute qui réagissant au dossier « Qui veut la mort des sciences de l’éducation ? » du Café pédagogique, écrit « Je remarque aussi […] l’absence de toute référence aux didactiques des disciplines, dont l’existence, et la reconnaissance acquise, sont pourtant des éléments très importants du problème. Seule Marguerite Altet les cite, mais en les intégrant complètement dans les Sciences de l’éducation, ce qui ne correspond pas à la réalité française, ni sur le terrain de la formation secondaire, ni sur celui de la recherche universitaire. »

Voici une approche encore bien réductrice. Elle demande à être dépasser… en faisant preuve de pédagogie certainement !