Analyses et décryptages

Etre prof en Hongrie sous un régime populiste : Qu’en pensent les collègues sur place ?

Erzsébet Nagy, qui a enseigné la biologie et l’allemand dans plusieurs niveaux d’enseignement pendant de nombreuses années, préside la direction collégiale du PDSZ, Syndicat démocratique des pédagogues de Hongrie, qui fait partie, tout comme l’UNSA éducation, du Comité Syndical Européen de l’Éducation. Dans une interview accordée à l’UNSA Éducation, elle revient sur les conséquences de la nouvelle loi éducative statusztorveny prise par Viktor Orban, premier ministre hongrois issu d’un parti populiste, Fidesz, sur l’enseignement, sur les conditions de travail et sur le métier enseignant.

Pour commencer, comment se porte le système éducatif hongrois ?

Erzsébet Nagy : D’abord, il est en tension, les organisations syndicales s’organisent au sein d’un comité de grève depuis octobre 2021 contre les mesures prises par le gouvernement. La pénurie d’enseignants dans le pays est énorme, car les rémunérations sont très faibles et car la charge de travail s’est accrue, on peut même avoir jusqu’à 10 heures de cours en une seule journée ! Le gouvernement refuse de reconnaître ces difficultés, et une vague de démissions sans précédent a eu lieu depuis quelques semaines, elle dépasse la centaine dans certaines circonscriptions.

A quel niveau est fixé la rémunération des personnels éducatifs en Hongrie ?

EN : Elle est quasiment au même niveau que le salaire minimum net mensuel pour les débutants, dans les 400 000 forints (Un peu plus de 1000 euros). D’ailleurs il faut un certain nombre d’années d’expérience pour dépasser ce niveau ! Le salaire est un peu supérieur pour les enseignants de deuxième niveau (accessible par concours), les maîtres pédagogiques, chargés de contrôler la conformité de l’enseignement (30 000 en Hongrie, un poste transformé par Viktor Orban), des sortes de contremaîtres, et les chercheurs pédagogiques, catégorie d’enseignants la mieux rémunérée, des enseignants qui ont fait une thèse et participent à des travaux de recherche.

Pourquoi les organisations syndicales appellent-elles cette loi éducative la « loi de vengeance » ?

EN : A partir de janvier 2024, de nouvelles échelles de rémunération seront mises en œuvre. Elles prévoient une part plancher et une part modulable qui peut quasiment tripler le salaire plancher en passant de 410 000 à 1 060 000 forints mensuels pour un enseignant de premier niveau. Le problème de cette part modulable, c’est qu’elle est laissée à l’appréciation du chef d’établissement, avec quelques critères (ancienneté, diplômes, nombre de disciplines enseignées…). Et qu’elle n’est pas budgétée d’ailleurs, premier aspect de la vengeance, c’est seulement de l’affichage politique.

D’autres aspects sont dangereux, l’obligation du remplacement des collègues dans d’autres disciplines avec des heures supplémentaires non limitées…et qui n’étaient pas payées jusqu’aux recours juridiques soutenus par les syndicats. La loi autorise la mutation d’office des enseignants au sein de circonscriptions très étendues. Elle empêche les personnels de démissionner avec un préavis de deux mois.

En tant que syndicat enseignant, que pouvez-vous faire ?

EN : La Hongrie, depuis que Viktor Orban a pris le pouvoir, donne de moins en moins de place au dialogue social. C’est l’Union Européenne qui a imposé la dernière concertation sur la nouvelle loi éducative car des fonds européens pour la reconstruction des systèmes éducatifs après la crise sanitaire obligeaient le gouvernement à le faire.

Il est difficile de mener un engagement syndical en Hongrie. Les grévistes doivent continuer à faire cours. Les semaines perdues quand les parents n’amènent pas leurs enfants pendant les grèves, en soutien, doivent être rattrapées pendant l’été, ce qui met en difficulté toute la communauté éducative.

Une chambre pédagogique nationale a été créé par le régime pour réduire la place des syndicats, mais elle manque de légitimité, elle compte surtout des chefs d’établissement.

Le syndicalisme est volontairement affaibli, par exemple auparavant les cotisations syndicales des adhérents étaient directement prélevées sur les salaires et ce n’est plus le cas aujourd’hui.

En Hongrie, quelles ont été les conséquences pour l’École de l’arrivée au pouvoir d’un parti populiste ?

EN : Nombreuses : le budget de l’éducation a baissé. Des crèches et des écoles ont été fermées par mesures de « rationalisation ». L’autonomie pédagogique et démocratique des établissements a été réduite. Les hiérarchies sont renforcées et le système recentralisé. Le ministère de l’éducation a été supprimé et l’administration rattachée au ministère de l’intérieur. Les inégalités sociales sont renforcées dans le système éducatif et l’accès à l’université est de plus en plus dépendant des origines. Le modèle d’intégration est revu à la baisse en termes de moyens. Les programmes scolaires sont idéologiques : on dirait que la Hongrie a toujours gagné dans l’histoire ! Tout est héroïque…et mensonger. Il faut bien se rendre compte que l’extrême-droite va très vite quand elle prend le pouvoir : pas de négociation, pas de débat sur les lois, et d’ailleurs il y a moins de lois car le gouvernement passe plus souvent par des ordonnances (avec le prétexte de guerres dans les pays voisins).

L’école privée progresse, notamment les écoles religieuses, dans ce contexte, et dépasse aujourd’hui les 20% des élèves. Quand les enseignants se battent, mènent des actions de désobéissance civile, ils peuvent être virés : 20 personnels dans un établissement de Budapest !

A noter : un article du courrier international revient sur ce sujet : https://www.courrierinternational.com/article/education-les-enseignants-hongrois-brides-par-une-nouvelle-loi-du-gouvernement-orban

Une interview de Viktor Toth, un autre collègue du PDSZ, sur notre chaîne youtube https://youtu.be/eR5lEzEPhWM?si=pffopUXoDJvFOVTn

Sélectionnés pour vous
+ d’actualités nationales