Écrire pour (mieux apprendre à) lire

Lire est un acte complexe et face à son apprentissage tous les élèves « doivent surmonter des obstacles ». Mais pour un grand nombre d’enfants (on parle de 15 à 20% des élèves entrant au collège), apprendre à lire se révèle encore plus difficile. Pour eux, l’École tente des remédiations. Mais ne devrait-elle pas avant tout tenter de « concevoir les situations d’apprentissage appropriées » ? Tel était le point de réflexions et de pratiques du pédagogue et chercheur André Ouzoulias qui vient de nous quitter.

« Quand on s’interroge sur le parcours d’apprentissage d’élèves caractérisés comme « en grande difficulté en lecture » à l’entrée du collège, le plus souvent des enfants des milieux populaires, on observe que, cinq ou six ans plus tôt, à l’entrée au CP, ces élèves manifestaient une grande fragilité dans le maniement du langage oral ou une très grande inexpérience face à la langue écrite, les deux difficultés pouvant malheureusement se cumuler. Mais il faut bien reconnaitre aussi que, pour ces élèves, l’école n’a pas su concevoir les situations d’apprentissage appropriées. Elle s’emploie surtout à mettre en place des dispositifs de « remédiation », « d’aide », « d’accompagnement », de « soutien », de « remise à niveau »… pour tenter de réduire après coup les difficultés de ces élèves. Tout se passe comme si elle s’interdisait de repenser ses choix pédagogiques en se tenant à peu près ce discours : fondamentalement, notre enseignement est bon, ce sont les « élèves-en- difficulté » qui ne sont pas adaptés à celui-ci.
Or, nous croyons, par expérience, que l’école peut bien mieux assumer sa mission de démocratisation de la culture écrite. Il faudrait pour cela qu’elle ne considère pas les échecs des enfants des milieux populaires comme un phénomène indépendant des pratiques pédagogiques. » écrivait André Ouzoulias dans un texte intitulé « Les difficultés en lecture-écriture : et si on cherchait aussi à les prévenir ? » dans lequel il plaidait « en faveur d’une pédagogie active pour tous, donnant une place centrale à l’écriture (entendue comme production de textes) dès la Grande Section de maternelle.
»


Il concède que « cette position est à rebours de la représentation dominante venue du fond des temps qui veut qu’on ne commence à écrire qu’après avoir appris à déchiffrer » constatant que « près d’un siècle après l’introduction de « l’imprimerie à l’école » par Célestin Freinet, la plupart de nos écoles fonctionnent encore, pour l’apprentissage de l’écrit, à l’instar des professeurs de musique d’antan qui refusaient que l’élève jouât d’un instrument avant de savoir lire le solfège… ». Il aurait également pu faire la comparaison avec l’apprentissage de la natation qui a longtemps consisté à enseigner les gestes de la nage avant d’autoriser les enfants à aller dans l’eau…


Ainsi il mettait en avant qu’en « plus des obstacles cognitifs dans l’accès à l’écrit pour les enfants, il y a là un obstacle au changement des pratiques chez les maitres eux- mêmes ». C’est même là, pensait-il, qu’est « l’obstacle principal sur le chemin vers une pédagogie de l’écrit plus active et plus populaire ».


Sans dénier l’apport indispensable des expériences de lecture partagée, André Ouzoulias militait pour l’introduction de situations d’écriture, irremplaçables pour rendre aussi claire que possible l’activité de lecture et ses enjeux, affirmant « alors que la réception est opaque, la position d’émetteur éclaire immédiatement l’activité du récepteur ». Et de conclure « Écrire un petit texte (récit de vie, texte poétique, etc.) avec l’aide de l’adulte et le redire ensuite une multitude de fois en suivant du doigt les lignes et les mots : une situation modeste, de grands effets cognitifs ! »


Conscient de la difficulté de « faire écrire des enfants non-lecteurs », de l’aspect chronophage des situations de productions accompagnées de récits de vie et de l’absence de formation des enseignants, André Ouzoulias, pédagogue, aura cherché à expliquer de manière pratique comment rendre l’élève acteur de son apprentissage, la lecture et l’écriture connectées à la production de sens et faire de l’enseignant un accompagnateur et un facilitateur.


Nul doute que ses conseils et son approche demeureront longtemps des pistes d’évolution à approfondir pour rendre l’apprentissage populaire et l’École plus aidante pour chacun.

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Lire est un acte complexe et face à son apprentissage tous les élèves « doivent surmonter des obstacles ». Mais pour un grand nombre d’enfants (on parle de 15 à 20% des élèves entrant au collège), apprendre à lire se révèle encore plus difficile. Pour eux, l’École tente des remédiations. Mais ne devrait-elle pas avant tout tenter de « concevoir les situations d’apprentissage appropriées » ? Tel était le point de réflexions et de pratiques du pédagogue et chercheur André Ouzoulias qui vient de nous quitter.

« Quand on s’interroge sur le parcours d’apprentissage d’élèves caractérisés comme « en grande difficulté en lecture » à l’entrée du collège, le plus souvent des enfants des milieux populaires, on observe que, cinq ou six ans plus tôt, à l’entrée au CP, ces élèves manifestaient une grande fragilité dans le maniement du langage oral ou une très grande inexpérience face à la langue écrite, les deux difficultés pouvant malheureusement se cumuler. Mais il faut bien reconnaitre aussi que, pour ces élèves, l’école n’a pas su concevoir les situations d’apprentissage appropriées. Elle s’emploie surtout à mettre en place des dispositifs de « remédiation », « d’aide », « d’accompagnement », de « soutien », de « remise à niveau »… pour tenter de réduire après coup les difficultés de ces élèves. Tout se passe comme si elle s’interdisait de repenser ses choix pédagogiques en se tenant à peu près ce discours : fondamentalement, notre enseignement est bon, ce sont les « élèves-en- difficulté » qui ne sont pas adaptés à celui-ci.
Or, nous croyons, par expérience, que l’école peut bien mieux assumer sa mission de démocratisation de la culture écrite. Il faudrait pour cela qu’elle ne considère pas les échecs des enfants des milieux populaires comme un phénomène indépendant des pratiques pédagogiques. » écrivait André Ouzoulias dans un texte intitulé « Les difficultés en lecture-écriture : et si on cherchait aussi à les prévenir ? » dans lequel il plaidait « en faveur d’une pédagogie active pour tous, donnant une place centrale à l’écriture (entendue comme production de textes) dès la Grande Section de maternelle.
»


Il concède que « cette position est à rebours de la représentation dominante venue du fond des temps qui veut qu’on ne commence à écrire qu’après avoir appris à déchiffrer » constatant que « près d’un siècle après l’introduction de « l’imprimerie à l’école » par Célestin Freinet, la plupart de nos écoles fonctionnent encore, pour l’apprentissage de l’écrit, à l’instar des professeurs de musique d’antan qui refusaient que l’élève jouât d’un instrument avant de savoir lire le solfège… ». Il aurait également pu faire la comparaison avec l’apprentissage de la natation qui a longtemps consisté à enseigner les gestes de la nage avant d’autoriser les enfants à aller dans l’eau…


Ainsi il mettait en avant qu’en « plus des obstacles cognitifs dans l’accès à l’écrit pour les enfants, il y a là un obstacle au changement des pratiques chez les maitres eux- mêmes ». C’est même là, pensait-il, qu’est « l’obstacle principal sur le chemin vers une pédagogie de l’écrit plus active et plus populaire ».


Sans dénier l’apport indispensable des expériences de lecture partagée, André Ouzoulias militait pour l’introduction de situations d’écriture, irremplaçables pour rendre aussi claire que possible l’activité de lecture et ses enjeux, affirmant « alors que la réception est opaque, la position d’émetteur éclaire immédiatement l’activité du récepteur ». Et de conclure « Écrire un petit texte (récit de vie, texte poétique, etc.) avec l’aide de l’adulte et le redire ensuite une multitude de fois en suivant du doigt les lignes et les mots : une situation modeste, de grands effets cognitifs ! »


Conscient de la difficulté de « faire écrire des enfants non-lecteurs », de l’aspect chronophage des situations de productions accompagnées de récits de vie et de l’absence de formation des enseignants, André Ouzoulias, pédagogue, aura cherché à expliquer de manière pratique comment rendre l’élève acteur de son apprentissage, la lecture et l’écriture connectées à la production de sens et faire de l’enseignant un accompagnateur et un facilitateur.


Nul doute que ses conseils et son approche demeureront longtemps des pistes d’évolution à approfondir pour rendre l’apprentissage populaire et l’École plus aidante pour chacun.