Du (plus ou moins) bon goût

Marronnier éducatif du mois d’octobre, la semaine du goût revient pour la 27ème année. Evénement paradoxal puisque conçu et soutenu par les professionnels des produits alimentaires (dont les industries du sucre) en partenariat avec l’Education nationale.

Marronnier éducatif du mois d’octobre, la semaine du goût revient pour la 27ème année. Événement paradoxal puisque conçu et soutenu par les professionnels des produits alimentaires (dont les industries du sucre) en partenariat avec l’Éducation nationale. Ainsi cette journée devenue semaine est à la fois une vitrine promotionnelle pour des produits qui n’entrent pas tous dans un approche alimentaire de bonne santé ainsi qu’une possibilité de développer des actions passionnantes d’éducation au goût, à l’alimentation et à la consommation.

Ironie du langage, on pourrait presque dire qu’il y a « à boire et à manger » dans cette initiative. Au propre comme au figuré.

Et il suffit pour s’en convaincre d’aller regarder les différentes manifestations qui sont largement médiatisées et valorisées sur les sites dédiés.

Permettre de sensibiliser les enfants, les jeunes et mêmes les adultes à des goûts différents, parfois inconnus –comme l’umami, ce cinquième goût japonais- se familiariser avec des aliments moins fréquents, plus exotiques ou réintroduits (comme les rutabagas ou les variétés anciennes de tomates,…), imaginer mêler chimie et gastronomie dans l’élaboration d’une cuisine moléculaire, aider à proposer des menus équilibrés et variés… sont autant de vertus largement mises en avant au cours de cette semaine.

De nombreux établissements scolaires et écoles, comme beaucoup de centres de loisirs ou de structures socioculturelles mettent en place des ateliers, des expositions, invitent des cuisiniers, proposent des animations à la cantine…

Pédagogiquement, l’occasion est idéale pour faire de nombreux liens avec les disciplines et les programmes scolaires, mais aussi au-delà pour valoriser une démarche plus citoyenne, réfléchir sur la « malbouffe », sur la santé, sur l’approche environnementale d’une agriculture raisonnée, sur le gaspillage, la crise de l’eau, les déséquilibres nord/sud…

Bien entendu – puisqu’il s’agit également d’une opération « publicitaire », le risque est que les intérêts des uns et des autres soient parfois inconciliables. Comment permettre une survalorisation des produits sucrés alors même qu’il convient de promouvoir et d’aider à la lutte contre l’obésité ? Comment équilibrer la promotion des producteurs de viande avec le fait de réduire les aliments carnés dans notre alimentation ? Comment concilier la nécessité de prix bas pour les repas des cantines et la présence de produits frais, bio, diversifiés… dans leurs menus ?

La semaine du goût n’a de sens éducatif que si elle met en évidence ces contradictions, si elle invite les enfants, les jeunes, avec les adultes qui agissent pour leur éducation à en débattre, si elle débouche sur des pistes d’actions. En un mot, si elle ne se limite pas à une action ponctuelle mais s’inscrit dans le cadre plus large d’une éducation à la consommation et à la citoyenneté.

À ce propos, il est assez choquant de voir -mais le diable, même laïque, ne se cache-t-il pas dans les détails ?- que les revendications identitaires s’invitent également à la table de cette semaine du goût avec l’idée de « manger français ».

Non pas comme un appel à consommer des produits « made in France » -avec ce beau paradoxe linguistique- mais avec l’idée qu’il y aurait une identité culinaire française à défendre. Ainsi sont organisés des « petits déjeuners français » desquels, j’imagine, sont bannis œufs, fromages ou charcuteries… mais peut-être pas le jus d’orange (« 5 fruits et légumes » par jour impose) alors qu’il ne fait certainement pas parti d’une tradition bien ancienne… Les tenants des traditions identitaires feraient d’ailleurs à ce sujet bien de lire l’excellent ouvrage dirigé par Eric Hobsbawm, Terence Ranger intitulé L’invention de la tradition qui montre comment « les sociétés dites « traditionnelles », ont délibérément cherché, souvent avec succès, à réinterpréter radicalement ou à inventer, parfois de toutes pièces, des traditions et des « contre-traditions » pour se légitimer, s’inscrire dans la longue durée, assurer la cohésion de la communauté ou encore garantir le contrôle des métropoles impériales sur les sujets coloniaux ».

S’il s’agit de mettre en avant un savoir-faire culinaire parmi d’autres, l’idée est louable. La semaine permet en effet de gouter aux mets et aux cuisines du monde et c’est une richesse dont il ne faut priver personne.

Si, au contraire, il s’agit d’opposer, de valoriser pour mieux se distinguer, d’établir des hiérarchies et de marquer son appartenance communautaire, autant dire que la démarche est condamnable et s’éloigne totalement de l’approche éducative et humaniste que devrait porter tout échange culturel, dont la cuisine est un élément majeur.

Si une semaine du goût il doit y avoir, qu’elle soit le support à un enrichissement, à des découvertes, à des échanges. Qu’elle permette de mettre en évidence la richesse de la diversité des produits alimentaires et des recettes. Qu’elle conduise à l’ouverture, à l’appropriation des mets des autres, à une acculturation gastronomique.

En cela, elle sera éducative et de bon goût.

 

Denis ADAM, le 12 octobre 2016

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Marronnier éducatif du mois d’octobre, la semaine du goût revient pour la 27ème année. Événement paradoxal puisque conçu et soutenu par les professionnels des produits alimentaires (dont les industries du sucre) en partenariat avec l’Éducation nationale. Ainsi cette journée devenue semaine est à la fois une vitrine promotionnelle pour des produits qui n’entrent pas tous dans un approche alimentaire de bonne santé ainsi qu’une possibilité de développer des actions passionnantes d’éducation au goût, à l’alimentation et à la consommation.

Ironie du langage, on pourrait presque dire qu’il y a « à boire et à manger » dans cette initiative. Au propre comme au figuré.

Et il suffit pour s’en convaincre d’aller regarder les différentes manifestations qui sont largement médiatisées et valorisées sur les sites dédiés.

Permettre de sensibiliser les enfants, les jeunes et mêmes les adultes à des goûts différents, parfois inconnus –comme l’umami, ce cinquième goût japonais- se familiariser avec des aliments moins fréquents, plus exotiques ou réintroduits (comme les rutabagas ou les variétés anciennes de tomates,…), imaginer mêler chimie et gastronomie dans l’élaboration d’une cuisine moléculaire, aider à proposer des menus équilibrés et variés… sont autant de vertus largement mises en avant au cours de cette semaine.

De nombreux établissements scolaires et écoles, comme beaucoup de centres de loisirs ou de structures socioculturelles mettent en place des ateliers, des expositions, invitent des cuisiniers, proposent des animations à la cantine…

Pédagogiquement, l’occasion est idéale pour faire de nombreux liens avec les disciplines et les programmes scolaires, mais aussi au-delà pour valoriser une démarche plus citoyenne, réfléchir sur la « malbouffe », sur la santé, sur l’approche environnementale d’une agriculture raisonnée, sur le gaspillage, la crise de l’eau, les déséquilibres nord/sud…

Bien entendu – puisqu’il s’agit également d’une opération « publicitaire », le risque est que les intérêts des uns et des autres soient parfois inconciliables. Comment permettre une survalorisation des produits sucrés alors même qu’il convient de promouvoir et d’aider à la lutte contre l’obésité ? Comment équilibrer la promotion des producteurs de viande avec le fait de réduire les aliments carnés dans notre alimentation ? Comment concilier la nécessité de prix bas pour les repas des cantines et la présence de produits frais, bio, diversifiés… dans leurs menus ?

La semaine du goût n’a de sens éducatif que si elle met en évidence ces contradictions, si elle invite les enfants, les jeunes, avec les adultes qui agissent pour leur éducation à en débattre, si elle débouche sur des pistes d’actions. En un mot, si elle ne se limite pas à une action ponctuelle mais s’inscrit dans le cadre plus large d’une éducation à la consommation et à la citoyenneté.

À ce propos, il est assez choquant de voir -mais le diable, même laïque, ne se cache-t-il pas dans les détails ?- que les revendications identitaires s’invitent également à la table de cette semaine du goût avec l’idée de « manger français ».

Non pas comme un appel à consommer des produits « made in France » -avec ce beau paradoxe linguistique- mais avec l’idée qu’il y aurait une identité culinaire française à défendre. Ainsi sont organisés des « petits déjeuners français » desquels, j’imagine, sont bannis œufs, fromages ou charcuteries… mais peut-être pas le jus d’orange (« 5 fruits et légumes » par jour impose) alors qu’il ne fait certainement pas parti d’une tradition bien ancienne… Les tenants des traditions identitaires feraient d’ailleurs à ce sujet bien de lire l’excellent ouvrage dirigé par Eric Hobsbawm, Terence Ranger intitulé L’invention de la tradition qui montre comment « les sociétés dites « traditionnelles », ont délibérément cherché, souvent avec succès, à réinterpréter radicalement ou à inventer, parfois de toutes pièces, des traditions et des « contre-traditions » pour se légitimer, s’inscrire dans la longue durée, assurer la cohésion de la communauté ou encore garantir le contrôle des métropoles impériales sur les sujets coloniaux ».

S’il s’agit de mettre en avant un savoir-faire culinaire parmi d’autres, l’idée est louable. La semaine permet en effet de gouter aux mets et aux cuisines du monde et c’est une richesse dont il ne faut priver personne.

Si, au contraire, il s’agit d’opposer, de valoriser pour mieux se distinguer, d’établir des hiérarchies et de marquer son appartenance communautaire, autant dire que la démarche est condamnable et s’éloigne totalement de l’approche éducative et humaniste que devrait porter tout échange culturel, dont la cuisine est un élément majeur.

Si une semaine du goût il doit y avoir, qu’elle soit le support à un enrichissement, à des découvertes, à des échanges. Qu’elle permette de mettre en évidence la richesse de la diversité des produits alimentaires et des recettes. Qu’elle conduise à l’ouverture, à l’appropriation des mets des autres, à une acculturation gastronomique.

En cela, elle sera éducative et de bon goût.

 

Denis ADAM, le 12 octobre 2016