Vivre une reprise de cours sous la double menace d’une pandémie mondiale et du terrorisme, ce n’est pas rien. Quinze jours après le lâche assassinat de notre collègue, les sentiments qui étaient les miens sur la route du collège au matin du 2 novembre, jour des défunts, étaient un drôle de mélange composé du devoir d’y retourner, du besoin de revoir les collègues et les élèves et d’une peine profonde et tenace.
L’abattement qui a suivi l’événement n’est pas encore tout à fait dissipé – le sera-t-il ? -, et si parfois, des soubresauts de courage se manifestent, ils sont vite mis à mal par les consignes contradictoires qui nous ont finalement privés de la seule chose dont nous avions besoin en ce triste matin. A l’horreur, à l’angoisse latente s’est ajoutée la confusion et la frustration d’un hommage digne, nécessaire mais qui nous a été refusé. Comme si on avait besoin de ça en plus du reste.
Après 20 ans au service de l’éducation nationale, de cours sur Voltaire en projet laïcité avec, chevillée au cœur et au corps, la conviction d’apporter ma pierre à l’édifice, la mort de Samuel Paty au soir des vacances fut un mur pris de plein fouet, une vague d’incompréhension, de rage et de douleur, un effondrement de ma foi en l’homme et de ma conviction hugolienne que l’on tend vers le progrès.
Aujourd’hui, la reprise a eu lieu, médiocre, insuffisante ; toujours sonnés, nous avons repris notre mission de service public. Nous avons, plus qu’à l’habitude, tous, mesuré l’ampleur de la tâche toujours recommencée, le poids terriblement lourd du rocher que, tels une armée de Sisyphe, il nous faudra une fois encore porter à bout de force jusqu’au sommet. Nous n’avons pas le choix.
Aujourd’hui, nous avons aussi compris qu’aux défis éducatifs s’ajoutait celui de la résilience.
Ivry, le 4 novembre 2020,
Caroline Sorez
Principale adjointe
Ancienne professeure de lettres