Contre les droites extrêmes : repolitiser la question européenne

La Fondation Jean-Jaurès / Observatoire de la vie politique (www.jean-jaures.org) dans sa note du 28 janvier 2014 propose une analyse de Gaël Brustier (Chercheur en science politique, collaborateur scientifique du CEVIPOL, Université libre de Bruxelles) consacrée aux évolutions des droites extrêmes en Europe et intitulée « Mutation des nouvelles extrêmes droites européennes : un défi pour la gauche ».

Le chercheur part ainsi du constat que les élections européennes de mai prochain lance un nouveau défi : « Il contribue à accélérer l’adaptation de différents partis d’extrême droite européens à l’évolution de nos sociétés. Cette « nouvelle » extrême droite prend acte de l’existence de l’Union européenne et du projet communautaire européen, tente de préempter de nouvelles thématiques et trouve dans l’hostilité à l’islam, au « multiculturalisme », une forme de ciment qui prospère sur l’idéologie répandue et dominante de nos sociétés : l’idéologie de la crise, du déclin, l’occidentalisme. »

Ainsi, le 7 décembre dernier, lors d’un meeting à Vienne intitulé « Füreinfreies Europa » (« Pour une Europe libre »), l’ensemble des partis d’extrême droite européens s’associait pour donner corps à cette campagne. « Cette nouvelle alliance conçoit l’Europe à la fois comme une réalité « civilisationnelle » menacée et comme une construction politique contestable tant sur le plan de la « gouvernance » qui est la sienne que de ses résultats économiques. Plus européenne qu’auparavant, n’en contestant ni les « racines » communes ni le principe de son organisation, elle combine des partis de la nouvelle génération (comme le PVV du Néerlandais Geert Wilders) et des mouvements rénovés de l’ancienne (le FPÖ autrichien, le Front national français, le Vlaams Belang flamand) » constate  Gaël Brustier et de montrer que « sous le nouveau vocable de Rechtsdemokratisch Parteien, on voit poindre une reconfiguration idéologique des droites extrêmes. [Et qu’il devient donc] de plus en plus inutile et inefficace de les renvoyer à leur passé. »

Le chercheur montre que loin d’avoir « un programme commun », les partis d’extrême droite européens « s’adaptent aux temps présents, aux nouvelles configurations sociales, tirent parti des représentations collectives » et développent une « habileté à capter un refus, un rejet », Ainsi leurs « déclarations servent d’abord à élargir le périmètre électoral de ces partis en empruntant des thèmes prégnants dans les sociétés européennes : contestation démocratique de la gouvernance européenne, hétérodoxie économique par rapport à la gestion de la monnaie unique. Ce ne sont pas forcément des thèmes d’extrême droite mais des thèmes peu ou pas traités entre les partis politiques qui gouvernent ».

Parmi les thèmes développés, on retrouve la contestation du centralisme de l’Europe, de sa politique économique et l’Islam est pointé comme un danger. Tout en « préservant son héritage – quitte à l’« euphémiser », le camoufler, l’atténuer – cette nouvelle extrême droite tire parti des contradictions du champ politique européen. En acceptant l’Europe comme un « acquis », en n’en contestant que le « centralisme » ou la politique économique, mais nullement le principe, cette nouvelle extrême droite entend contribuer à remodeler l’imaginaire des pays où elle se développe. Certains y parviennent mieux que d’autres. Les capacités en la matière ne sont pas les mêmes entre le FPÖ, la Lega Nord, le PVV ou le Front national ».


Mais c’est –selon les conseils de l’auteur de l’étude aux partis de gauche- à cette mutation « qu’il faut s’adapter, sous peine d’être défaits. ». Il rappelle les propos qu’Hubert Védrine écrivait voici peu d’années : « Ni les rituels slogans nunuches (l’Europe c’est la paix, la jeunesse, l’avenir, etc.), ni les objectifs leurres (Europe politique, Europe sociale, Europe puissance), ni la démagogie inutile (les lamentations sur le prétendu déficit démocratique) ne comportaient de réponse aux nouvelles questions des peuples face au nouveau jeu mondial ». Et invite « à infléchir notre approche du débat européen pour lutter plus efficacement contre la stratégie des nouvelles extrêmes droites européennes. »

Deux solutions lui semblent être les pistes à suivre. Tout d’abord, « il faut donc défendre l’acquis européen, comme pacification des relations interétatiques, et contribuer à introduire la dimension européenne dans tous les aspects du débat public. Les interdépendances entre Etats et individus se développent, il s’agit de les organiser. » Ensuite, « il convient enfin de repolitiser tous les sujets qui ont été victimes d’une forme de dépolitisation. Politique monétaire, politique budgétaire, politique commerciale, droit de la concurrence : il importe que le discours politique se ressaisisse de ces sujets pour éviter qu’ils ne soient laissés aux droites extrêmes. »

Davantage militant que chercheur, il conclut : « Tout le problème consiste, d’une part, à intégrer la dimension européenne au débat public pour faire en sorte que l’Europe ne reste pas un sujet élitaire, sans quoi celui-ci sera l’objet de surenchères démagogiques et, d’autre part, à renforcer le poids du citoyen dans la décision au niveau européen. Double enjeu donc.
Face à cette nouvelle extrême droite, non dénuée de suite dans les idées, l’indignation ou les anathèmes ne suffiront pas. Il faut opposer le sursaut de la volonté, un projet politique émancipateur et un imaginaire radicalement alternatif.
»

Un message pour tous ceux qui seront des candidats sincères de la cause européenne lors des élections de mai prochain, mais aussi pour ceux –qui comme nous- luttent contre la banalisation d’une droite extrême qui tente d’utiliser l’Europe et les difficultés de sa construction communautaire pour imposer leur nouvel imaginaire et se faire les chantres de solutions qui ne sont que retour en arrière, recul démocratique et rejet de l’autre.

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La Fondation Jean-Jaurès / Observatoire de la vie politique (www.jean-jaures.org) dans sa note du 28 janvier 2014 propose une analyse de Gaël Brustier (Chercheur en science politique, collaborateur scientifique du CEVIPOL, Université libre de Bruxelles) consacrée aux évolutions des droites extrêmes en Europe et intitulée « Mutation des nouvelles extrêmes droites européennes : un défi pour la gauche ».

Le chercheur part ainsi du constat que les élections européennes de mai prochain lance un nouveau défi : « Il contribue à accélérer l’adaptation de différents partis d’extrême droite européens à l’évolution de nos sociétés. Cette « nouvelle » extrême droite prend acte de l’existence de l’Union européenne et du projet communautaire européen, tente de préempter de nouvelles thématiques et trouve dans l’hostilité à l’islam, au « multiculturalisme », une forme de ciment qui prospère sur l’idéologie répandue et dominante de nos sociétés : l’idéologie de la crise, du déclin, l’occidentalisme. »

Ainsi, le 7 décembre dernier, lors d’un meeting à Vienne intitulé « Füreinfreies Europa » (« Pour une Europe libre »), l’ensemble des partis d’extrême droite européens s’associait pour donner corps à cette campagne. « Cette nouvelle alliance conçoit l’Europe à la fois comme une réalité « civilisationnelle » menacée et comme une construction politique contestable tant sur le plan de la « gouvernance » qui est la sienne que de ses résultats économiques. Plus européenne qu’auparavant, n’en contestant ni les « racines » communes ni le principe de son organisation, elle combine des partis de la nouvelle génération (comme le PVV du Néerlandais Geert Wilders) et des mouvements rénovés de l’ancienne (le FPÖ autrichien, le Front national français, le Vlaams Belang flamand) » constate  Gaël Brustier et de montrer que « sous le nouveau vocable de Rechtsdemokratisch Parteien, on voit poindre une reconfiguration idéologique des droites extrêmes. [Et qu’il devient donc] de plus en plus inutile et inefficace de les renvoyer à leur passé. »

Le chercheur montre que loin d’avoir « un programme commun », les partis d’extrême droite européens « s’adaptent aux temps présents, aux nouvelles configurations sociales, tirent parti des représentations collectives » et développent une « habileté à capter un refus, un rejet », Ainsi leurs « déclarations servent d’abord à élargir le périmètre électoral de ces partis en empruntant des thèmes prégnants dans les sociétés européennes : contestation démocratique de la gouvernance européenne, hétérodoxie économique par rapport à la gestion de la monnaie unique. Ce ne sont pas forcément des thèmes d’extrême droite mais des thèmes peu ou pas traités entre les partis politiques qui gouvernent ».

Parmi les thèmes développés, on retrouve la contestation du centralisme de l’Europe, de sa politique économique et l’Islam est pointé comme un danger. Tout en « préservant son héritage – quitte à l’« euphémiser », le camoufler, l’atténuer – cette nouvelle extrême droite tire parti des contradictions du champ politique européen. En acceptant l’Europe comme un « acquis », en n’en contestant que le « centralisme » ou la politique économique, mais nullement le principe, cette nouvelle extrême droite entend contribuer à remodeler l’imaginaire des pays où elle se développe. Certains y parviennent mieux que d’autres. Les capacités en la matière ne sont pas les mêmes entre le FPÖ, la Lega Nord, le PVV ou le Front national ».


Mais c’est –selon les conseils de l’auteur de l’étude aux partis de gauche- à cette mutation « qu’il faut s’adapter, sous peine d’être défaits. ». Il rappelle les propos qu’Hubert Védrine écrivait voici peu d’années : « Ni les rituels slogans nunuches (l’Europe c’est la paix, la jeunesse, l’avenir, etc.), ni les objectifs leurres (Europe politique, Europe sociale, Europe puissance), ni la démagogie inutile (les lamentations sur le prétendu déficit démocratique) ne comportaient de réponse aux nouvelles questions des peuples face au nouveau jeu mondial ». Et invite « à infléchir notre approche du débat européen pour lutter plus efficacement contre la stratégie des nouvelles extrêmes droites européennes. »

Deux solutions lui semblent être les pistes à suivre. Tout d’abord, « il faut donc défendre l’acquis européen, comme pacification des relations interétatiques, et contribuer à introduire la dimension européenne dans tous les aspects du débat public. Les interdépendances entre Etats et individus se développent, il s’agit de les organiser. » Ensuite, « il convient enfin de repolitiser tous les sujets qui ont été victimes d’une forme de dépolitisation. Politique monétaire, politique budgétaire, politique commerciale, droit de la concurrence : il importe que le discours politique se ressaisisse de ces sujets pour éviter qu’ils ne soient laissés aux droites extrêmes. »

Davantage militant que chercheur, il conclut : « Tout le problème consiste, d’une part, à intégrer la dimension européenne au débat public pour faire en sorte que l’Europe ne reste pas un sujet élitaire, sans quoi celui-ci sera l’objet de surenchères démagogiques et, d’autre part, à renforcer le poids du citoyen dans la décision au niveau européen. Double enjeu donc.
Face à cette nouvelle extrême droite, non dénuée de suite dans les idées, l’indignation ou les anathèmes ne suffiront pas. Il faut opposer le sursaut de la volonté, un projet politique émancipateur et un imaginaire radicalement alternatif.
»

Un message pour tous ceux qui seront des candidats sincères de la cause européenne lors des élections de mai prochain, mais aussi pour ceux –qui comme nous- luttent contre la banalisation d’une droite extrême qui tente d’utiliser l’Europe et les difficultés de sa construction communautaire pour imposer leur nouvel imaginaire et se faire les chantres de solutions qui ne sont que retour en arrière, recul démocratique et rejet de l’autre.