Confusions éducatives

Certainement comme moi, il vous est déjà arrivé de vous arrêter devant le kiosque à journaux, le regard attiré par le titre d’un article ou d’un dossier d’une revue ou d’un magazine. Intéressé, vous aurez feuilleté le document, parcouru le sommaire, lu les premiers mots éditoriaux. Et fâché d’y lire -une fois encore- les mêmes inepties, vous aurez reposé le média et serez parti sans l’acheter.

Ce n’est qu’après, quelques jours après, que pris de remords ou décidé à lire même ce qui ne vous plait pas, vous vous serez décidé à, finalement, acheter et lire (vraiment) le dossier en question.

C’est exactement ce que je viens de faire cette semaine pour un dossier intitulé « Refonder l’école », dans la revue Ultreïa que je ne connaissais pas.
Une fois dépassé la fatidique phrase « L’abandon de la méthode syllabique et l’aventurisme des pédagogistes de l’Education nationale ont durablement ébranlé l’acquisition des fondamentaux » signé par le rédacteur en chef et créateur de la revue, le reste des textes est étonnant et révèle – esprit du temps- une véritable confusion éducative.

Le premier article, en effet, s’inscrit dans la veine de ceux qui regrettent nostalgiquement un âge d’or éducatif qui n’a jamais existé. S’il fait remonter les difficultés du système scolaire aux années 1970, il oublie de dire que c’est aussi la période de la démocratisation d’une l’école qui jusqu’alors était organisée en deux parcours distincts : l’un court, s’arrêtant au certificat d’études pour une majorité d’élèves, et l’autre conduisant au lycée une élite minoritaire. Paradoxe également de ne retenir que le plaisir d’apprendre d’une époque qui n’avait banni ni les châtiments corporels, ni les punitions humiliantes et n’avait comme mode de transmission que le cours magistral.
Ainsi donc se dessine un mythe scolaire, réécrivant l’histoire d’une éducation idéale qui aurait été mise à mal par le développement pédagogique porté par les sciences de l’éducation.
L’Histoire -il suffit de lire Claude Lelièvre- nous apprend clairement combien cette invention est fantaisiste. Elle est pourtant largement véhiculée. Et même partagée par le grand public.

Dans la même revue d’autres articles, à l’inverse de cette introduction, revendiquent le rôle d’accompagnateur et d’aide de l’enseignant, la participation active de l’élève, les démarches de coopération, de découverte, de projets. En un mot :  l’innovation pédagogique.

A quelques pages d’intervalle, voici brulés en procès de sorcellerie et portés aux nues (dans une revue qui prône l’œcuménisme de toutes les formes de spiritualité) les mêmes porteurs d’évolution et de transformation éducative.
En fait, lorsqu’on pousse un peu l’analyse, on constate que c’est surtout l’Education nationale qui est au cœur de la critique. L’action d’enseignants ou d’équipes dynamiques est valorisée alors que l’institution éducative est, elle, mise en cause comme source de toutes les difficultés et des échecs scolaires.

Ce phénomène n’est pas isolé et ne se limite pas au domaine éducatif. Partout la confiance dans les institutions est fragilisée. Additionner la lourdeur d’un système centralisé, la pluralité des décisions rectorales, le corporatisme de certains syndicats opposés systématiquement à tout changement et le peu de reconnaissance des acteurs locaux qui expérimentent d’autres approches éducatives, conduit à dénoncer l’organisation d’un « mammouth » incapable d’évoluer et d’implicitement en demander la suppression.

De là à mettre en avant la solution d’écoles privées – et de préférence hors contrat- comme le remède à tous les maux éducatifs, le pas pourrait être vite franchi. Ne l’a-t-il pas déjà symboliquement été par François Fillon présentant son programme éducatif dans une école privée hors contrat ?

Il y a certes une responsabilité considérable de l’Etat, dans son incapacité à porter un projet éducatif global, dans ses valses hésitations empilant les réformettes successives sans aller jusqu’au bout des transformations indispensables.

Le camp du refus permanent est également coupable, pour une part non négligeable, dans le développement et la diffusion de cette image négative d’une école incapable de changer.

L’autodénigrement aura fait le reste.

Mais il faut entendre cette critique, même partiellement injuste.

Il faut l’entendre car elle va bien au-delà du cercle des spécialistes, divisés entre deux approches opposées de l’Education : celle conservatrice de la seule transmission des savoirs par des maîtres et celle progressiste de l’accompagnement de la construction positive de chaque enfant, de chaque jeune, de chaque femme et homme.

Pour le grand public, pour les parents, les proches des jeunes scolarisés, confrontés à leurs difficultés et trop souvent à leurs échecs, pour tous les non professionnels de l’Education, mais éducateurs tout de même, le débat de « chapelles » est incompréhensible. Ils amalgament leurs souvenirs édulcorés d’une école d’antan qui semblait fonctionner et les initiatives heureuses et individuelles qu’ils rencontrent.

Pour peu que certains responsables politiques, syndicaux et soi-disant spécialistes en Education alimentent ce melting-pot, c’est ainsi que ce construit et s’entretient une vaste confusion éducative.

Ne nous y trompons pas : elle interdit toute évolution et ne sert que ceux qui veulent détruire l’Ecole.


Denis ADAM, le 11 janvier 2017

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Certainement comme moi, il vous est déjà arrivé de vous arrêter devant le kiosque à journaux, le regard attiré par le titre d’un article ou d’un dossier d’une revue ou d’un magazine. Intéressé, vous aurez feuilleté le document, parcouru le sommaire, lu les premiers mots éditoriaux. Et fâché d’y lire -une fois encore- les mêmes inepties, vous aurez reposé le média et serez parti sans l’acheter.

Ce n’est qu’après, quelques jours après, que pris de remords ou décidé à lire même ce qui ne vous plait pas, vous vous serez décidé à, finalement, acheter et lire (vraiment) le dossier en question.

C’est exactement ce que je viens de faire cette semaine pour un dossier intitulé « Refonder l’école », dans la revue Ultreïa que je ne connaissais pas.
Une fois dépassé la fatidique phrase « L’abandon de la méthode syllabique et l’aventurisme des pédagogistes de l’Education nationale ont durablement ébranlé l’acquisition des fondamentaux » signé par le rédacteur en chef et créateur de la revue, le reste des textes est étonnant et révèle – esprit du temps- une véritable confusion éducative.

Le premier article, en effet, s’inscrit dans la veine de ceux qui regrettent nostalgiquement un âge d’or éducatif qui n’a jamais existé. S’il fait remonter les difficultés du système scolaire aux années 1970, il oublie de dire que c’est aussi la période de la démocratisation d’une l’école qui jusqu’alors était organisée en deux parcours distincts : l’un court, s’arrêtant au certificat d’études pour une majorité d’élèves, et l’autre conduisant au lycée une élite minoritaire. Paradoxe également de ne retenir que le plaisir d’apprendre d’une époque qui n’avait banni ni les châtiments corporels, ni les punitions humiliantes et n’avait comme mode de transmission que le cours magistral.
Ainsi donc se dessine un mythe scolaire, réécrivant l’histoire d’une éducation idéale qui aurait été mise à mal par le développement pédagogique porté par les sciences de l’éducation.
L’Histoire -il suffit de lire Claude Lelièvre- nous apprend clairement combien cette invention est fantaisiste. Elle est pourtant largement véhiculée. Et même partagée par le grand public.

Dans la même revue d’autres articles, à l’inverse de cette introduction, revendiquent le rôle d’accompagnateur et d’aide de l’enseignant, la participation active de l’élève, les démarches de coopération, de découverte, de projets. En un mot :  l’innovation pédagogique.

A quelques pages d’intervalle, voici brulés en procès de sorcellerie et portés aux nues (dans une revue qui prône l’œcuménisme de toutes les formes de spiritualité) les mêmes porteurs d’évolution et de transformation éducative.
En fait, lorsqu’on pousse un peu l’analyse, on constate que c’est surtout l’Education nationale qui est au cœur de la critique. L’action d’enseignants ou d’équipes dynamiques est valorisée alors que l’institution éducative est, elle, mise en cause comme source de toutes les difficultés et des échecs scolaires.

Ce phénomène n’est pas isolé et ne se limite pas au domaine éducatif. Partout la confiance dans les institutions est fragilisée. Additionner la lourdeur d’un système centralisé, la pluralité des décisions rectorales, le corporatisme de certains syndicats opposés systématiquement à tout changement et le peu de reconnaissance des acteurs locaux qui expérimentent d’autres approches éducatives, conduit à dénoncer l’organisation d’un « mammouth » incapable d’évoluer et d’implicitement en demander la suppression.

De là à mettre en avant la solution d’écoles privées – et de préférence hors contrat- comme le remède à tous les maux éducatifs, le pas pourrait être vite franchi. Ne l’a-t-il pas déjà symboliquement été par François Fillon présentant son programme éducatif dans une école privée hors contrat ?

Il y a certes une responsabilité considérable de l’Etat, dans son incapacité à porter un projet éducatif global, dans ses valses hésitations empilant les réformettes successives sans aller jusqu’au bout des transformations indispensables.

Le camp du refus permanent est également coupable, pour une part non négligeable, dans le développement et la diffusion de cette image négative d’une école incapable de changer.

L’autodénigrement aura fait le reste.

Mais il faut entendre cette critique, même partiellement injuste.

Il faut l’entendre car elle va bien au-delà du cercle des spécialistes, divisés entre deux approches opposées de l’Education : celle conservatrice de la seule transmission des savoirs par des maîtres et celle progressiste de l’accompagnement de la construction positive de chaque enfant, de chaque jeune, de chaque femme et homme.

Pour le grand public, pour les parents, les proches des jeunes scolarisés, confrontés à leurs difficultés et trop souvent à leurs échecs, pour tous les non professionnels de l’Education, mais éducateurs tout de même, le débat de « chapelles » est incompréhensible. Ils amalgament leurs souvenirs édulcorés d’une école d’antan qui semblait fonctionner et les initiatives heureuses et individuelles qu’ils rencontrent.

Pour peu que certains responsables politiques, syndicaux et soi-disant spécialistes en Education alimentent ce melting-pot, c’est ainsi que ce construit et s’entretient une vaste confusion éducative.

Ne nous y trompons pas : elle interdit toute évolution et ne sert que ceux qui veulent détruire l’Ecole.


Denis ADAM, le 11 janvier 2017