Comment apprendre et vivre la fraternité, entretien avec Pierre Benoit

Pierre Benoit propose dans son dernier ouvrage un parcours de pensée, jalonné par les 26 lettres de notre alphabet. Il s’agit là d’envisager la relation fraternelle en éducation. Un abécédaire qui interroge les mots et donne à réfléchir pour soi-même, en citoyen et en professionnel de l’éducation. A lire un mot derrière l’autre ou en flânant d’un mot à l’autre, ou encore par des entrées thématiques et des fiches pratiques de mise en situations d’apprentissage. Rencontre avec l’auteur.
Comment  définissez-vous la fraternité ?
Pour moi, la fraternité commence là où termine l’empathie. Il ne faut pas réduire cette valeur à son aspect affectif, émotionnel. Souvent, elle s’exprime après des moments tragiques, elle rassemble alors dans un grand élan collectif. Bien qu’écrite dans la devise républicaine, elle doit encore s’inscrire dans la durée, et donc dans le psychisme de chacun.e. On peut la rapprocher d’autres valeurs comme la bienveillance ou la solidarité, mais elle a une spécificité qui la démarque. Elle n’existe que si l’on est deux, elle n’existe pas en dehors de la réciprocité. Elle est liée à la dignité et au respect, il s’agit d’accueillir l’autre en soi.
Et donc pour vous, la fraternité ça s’apprend ?
Oui, elle s’apprend et se vit dans tous les temps éducatifs, et donc à l’école aussi. La fraternité est liée à l’idée de don. Un professeur donne des savoirs à ses élèves mais il donne aussi de lui-même. Il est en partage d’égalité avec ses élèves, une égale humanité.
Concrètement, comment proposez-vous de s’y prendre pour mettre cette valeur au cœur de la relation éducative ?
Cela commence par poser la règle d’or, celle qui est partagée dans de nombreuses philosophies humaines depuis Confucius, il y a 2500 ans : « Je ne fais pas aux autres ce que je n’aimerais pas qu’il me fût fait. » Avec mon association Fratern’Aide, nous l’avons écrite en positif : je fais à l’autre ce que j’aimerais qu’il me soit fait. Donc je ne juge pas, je n’insulte pas, je ne harcèle pas…
Au-delà du travail avec une classe, un groupe, comment peut-on embarquer toute une équipe éducative dans l’apprentissage de la fraternité ?
Dans mon expérience professionnelle, cela a été possible à travers les voyages scolaires, préparés à plusieurs, professeurs et élèves. Ce fut pour nous l’occasion de vivre cette valeur ensemble et avec nos hôtes également en Italie. Puis de continuer dans l’établissement scolaire et au-delà dans la cité par l’engagement associatif.
Est-ce un enjeu mondial ?
Oui, pour dépasser la fraternité qui ne se vivrait que dans une communauté, une entité. Les catholiques, les musulmans, les francs-maçons s’appellent « frères », il peut y avoir un risque d’exclusion de ceux qui ne seraient pas des membres de ces entités. Une fraternité bien utilisée permet de lutter contre l’intolérance, la xénophobie, le racisme. Son fondement conceptuel est bien la reconnaissance d’autrui comme un égal en humanité.

Au Baromètre UNSA EDUCATION 2018 des métiers de l’éducation, à la question « quelle valeur de la République devrait aujourd’hui être plus renforcée et défendue ? », la fraternité arrive en tête avec 45, 9% suivie de l’égalité (37,4%) et de la liberté (11,3%). Ça vous étonne ?
Oui, je suis très étonné et cela me réjouit. Parce que dans notre triptyque républicain, c’est trop  souvent la fraternité qui est oubliée au profit de la solidarité qui est moins engageante. La solidarité peut être ponctuelle alors que la fraternité c’est une révolution mentale qui coûte à chacun.e dans la mesure où elle impose une transformation personnelle. Peut-être que notre société prend acte que liberté et égalité comme des fins en soi ne sont plus fécondes, et qu’en passant par la fraternité on leur redonne du sens !
 

le livre de Pierre Benoit: Apprendre et vivre la fraternité, éditions Chroniques Sociales, juin 2017, 12 euros

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Pierre Benoit propose dans son dernier ouvrage un parcours de pensée, jalonné par les 26 lettres de notre alphabet. Il s’agit là d’envisager la relation fraternelle en éducation. Un abécédaire qui interroge les mots et donne à réfléchir pour soi-même, en citoyen et en professionnel de l’éducation. A lire un mot derrière l’autre ou en flânant d’un mot à l’autre, ou encore par des entrées thématiques et des fiches pratiques de mise en situations d’apprentissage. Rencontre avec l’auteur.
Comment  définissez-vous la fraternité ?
Pour moi, la fraternité commence là où termine l’empathie. Il ne faut pas réduire cette valeur à son aspect affectif, émotionnel. Souvent, elle s’exprime après des moments tragiques, elle rassemble alors dans un grand élan collectif. Bien qu’écrite dans la devise républicaine, elle doit encore s’inscrire dans la durée, et donc dans le psychisme de chacun.e. On peut la rapprocher d’autres valeurs comme la bienveillance ou la solidarité, mais elle a une spécificité qui la démarque. Elle n’existe que si l’on est deux, elle n’existe pas en dehors de la réciprocité. Elle est liée à la dignité et au respect, il s’agit d’accueillir l’autre en soi.
Et donc pour vous, la fraternité ça s’apprend ?
Oui, elle s’apprend et se vit dans tous les temps éducatifs, et donc à l’école aussi. La fraternité est liée à l’idée de don. Un professeur donne des savoirs à ses élèves mais il donne aussi de lui-même. Il est en partage d’égalité avec ses élèves, une égale humanité.
Concrètement, comment proposez-vous de s’y prendre pour mettre cette valeur au cœur de la relation éducative ?
Cela commence par poser la règle d’or, celle qui est partagée dans de nombreuses philosophies humaines depuis Confucius, il y a 2500 ans : « Je ne fais pas aux autres ce que je n’aimerais pas qu’il me fût fait. » Avec mon association Fratern’Aide, nous l’avons écrite en positif : je fais à l’autre ce que j’aimerais qu’il me soit fait. Donc je ne juge pas, je n’insulte pas, je ne harcèle pas…
Au-delà du travail avec une classe, un groupe, comment peut-on embarquer toute une équipe éducative dans l’apprentissage de la fraternité ?
Dans mon expérience professionnelle, cela a été possible à travers les voyages scolaires, préparés à plusieurs, professeurs et élèves. Ce fut pour nous l’occasion de vivre cette valeur ensemble et avec nos hôtes également en Italie. Puis de continuer dans l’établissement scolaire et au-delà dans la cité par l’engagement associatif.
Est-ce un enjeu mondial ?
Oui, pour dépasser la fraternité qui ne se vivrait que dans une communauté, une entité. Les catholiques, les musulmans, les francs-maçons s’appellent « frères », il peut y avoir un risque d’exclusion de ceux qui ne seraient pas des membres de ces entités. Une fraternité bien utilisée permet de lutter contre l’intolérance, la xénophobie, le racisme. Son fondement conceptuel est bien la reconnaissance d’autrui comme un égal en humanité.

Au Baromètre UNSA EDUCATION 2018 des métiers de l’éducation, à la question « quelle valeur de la République devrait aujourd’hui être plus renforcée et défendue ? », la fraternité arrive en tête avec 45, 9% suivie de l’égalité (37,4%) et de la liberté (11,3%). Ça vous étonne ?
Oui, je suis très étonné et cela me réjouit. Parce que dans notre triptyque républicain, c’est trop  souvent la fraternité qui est oubliée au profit de la solidarité qui est moins engageante. La solidarité peut être ponctuelle alors que la fraternité c’est une révolution mentale qui coûte à chacun.e dans la mesure où elle impose une transformation personnelle. Peut-être que notre société prend acte que liberté et égalité comme des fins en soi ne sont plus fécondes, et qu’en passant par la fraternité on leur redonne du sens !
 

le livre de Pierre Benoit: Apprendre et vivre la fraternité, éditions Chroniques Sociales, juin 2017, 12 euros