Cent ans encombrants et édifiants
C’était il y a tout juste un siècle, en pleine grande guerre, la révolution bolchévique initiait un nouveau découpage du monde en introduisant une nouvelle idéologie sociale et politique : la victoire du prolétariat.
C’était il y a tout juste cent ans. Et c’est un anniversaire , pour certains, bien encombrant.
En Russie d’abord, car la société russe est partagée, entre la nostalgie de la puissance soviétique et la condamnation de ses crimes, en particulier de la période stalinienne, mais pas uniquement.
L’anniversaire y sera donc célébré de manière modeste, presque discrète, sans faste ni grandes commémorations officielles.
Un très détaillé article de la Tribune.fr explique d’ailleurs comment s’est diffusé en Russie, puis en URSS le « mythe d’octobre » d’une révolution « née sous l’inspiration des masses », simplifiant à l’extrême le processus révolutionnaire, ses étapes, ses soubresauts, pour n’en retenir que la victoire du peuple.
Aujourd’hui les dirigeants russes privilégient l’image du pouvoir impérial et se méfient des possibles soulèvements populaires. Autant dire que le mythe de 1917 n’entre pas exactement dans l’imaginaire politique qu’ils cherchent à imposer.
Ailleurs dans le monde, et particulièrement dans le monde occidental qui a souvent été partagé voire hostile aux thèses marxistes, on semble (re)découvrir les apports tant politiques, sociaux que culturelles issues de la révolution russe et son importance dans l’histoire mondiale du XXème siècle et dans la compréhension de notre actualité.
A bien chercher, on peut regretter que cet événement historique ne trouve que peu de place dans les programmes scolaires. C’est essentiellement dans le programme d’histoire de la classe de troisième semble-t-il qu’il peut être réellement abordé, complété en classe de première pour certaines séries du lycée général.
Dommage car il est difficile d’appréhender le monde actuel sans comprendre ce qui pendant des décennies a instauré un clivage majeur, organisant la géopolitique mondiale encore en vigueur même si elle est en pleine évolution, opposant les modèles économiques, sociaux, politiques, inspirant à la fois les réflexions sur les acquis et les limites de la démocratie.
Il s’agit là d’un événement majeur de l’Histoire, pas seulement pour la Russie, mais pour le monde.
Depuis l’ouverture des archives russes dans les années 1990, les historiens de tout bord ont pu réviser leur propre approche des événements qui ont marqué cette année 1917 et ont conduit par étapes de la chute du tsarisme à la prise de pouvoir bolchévique. Si les faits sont connus, les analyses, elles, sont encore souvent polémiques. Les unes privilégient les apports sociaux et les influences économiques qu’a provoqué l’instauration de l’idéologie marxiste. Les autres condamnent le totalitarisme et son lot de barbarie.
Heureusement, la diversité des supports proposés en France à l’occasion de ce centenaire offre une large palette d’approches. Livres, expositions, conférences, émissions de radio et de télévision, films, numéros spéciaux des magazines… permettent d’appréhender cet apport historique sous des angles différents et complémentaires. La toile Internet couvre largement le sujet également.
Encore faut-il avoir quelques notions historiques, sociales, politiques pour pouvoir poser un regard critique sur les approches et les discours proposés.
S’il n’est pas inutile que le programme scolaire d’histoire permette d’aborder cette période et son contexte, il ne peut y suffire. La philosophie et l’histoire des idées est indispensable ici pour se forger une opinion. Quant à la culture politique, elle se forge justement dans la confrontation de ses grands courants qui ont structuré sa pensée et son organisation, et qui, même remis en question aujourd’hui, continuent à l’influencer.
Former les citoyens, ce n’est pas occulter les côtés encombrants d’une histoire passée et mythifiée, c’est mettre à jour les aspects édifiants de cette construction intellectuelle vécue et toujours influente.
Denis Adam, le 8 novembre 2017